Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

jeudi 16 janvier 2025

Audace et préjugés d'Alexis Karlins-Marchat

Jane Austen, Charlotte Brontë, Virginia Woolf, quatre oeuvres clés de la littérature qui sont autant d'étapes dans l'affirmation d'une pensée féministe, c'est ce que montre Alexis Karklins Marchat qui éclaire de façon particulièrement judicieuse ce parcours au coeur de la littérature anglaise. (article disponible en accès libre sur le site de l'école des l'École des lettres :

https://www.ecoledeslettres.fr/audace-prejuges-relecture-de-chefs-doeuvre-feministes/



vendredi 20 décembre 2024

L’Auteur, l’auteur !, de David Lodge : le style face au succès

 
Avec L’Auteur, l’auteur !, David Lodge met en scène deux figures d’écrivains que tout oppose (deux amis pourtant !), Henri James, adepte du style recherché dont l’œuvre est longtemps restée confidentielle et George Du Maurier, auteur amateur qui remporte soudainement un succès considérable.

La richesse d’une œuvre

« Londres, décembre 1915 », Henry James se meurt. Célibataire endurci, voué à son art, il est entouré de sa secrétaire, de ses domestiques et de sa belle sœur qui vient d’arriver. Consternation et tristesse se sont emparées du personnel qui voue un véritable culte à ce maître distant et bon qu’est « le vieux gentleman » comme on le surnomme avec un mélange de respect et d’affection. Deux figures émergent de ce premier chapitre de L’auteur ! L’auteur !, le roman que David Lodge consacre à Henry James : Théodora Bosanquet, la secrétaire de l’écrivain qui a pris en notes les derniers chefs d’œuvre du grand homme et Minnie Kidd, jeune servante réservée. Désireuse de comprendre ce qui fait la renommée de son maître, Minnie demande à Théodora de lui conseiller un livre du maître.

La secrétaire met entre les mains de Minnie, La bête de jungle et lorsque Théodora, le lendemain, demandera à Minnie si elle a aimé la nouvelle, la jeune servante sera obligée d’admettre que « tout est difficile dans ce livre ». Théodora explique alors à la jeune femme la dimension symbolique du titre : « Toute sa vie Marcher [le héros] a eu le pressentiment qu’il va lui arriver quelque chose d’extraordinaire  et de terrible, qu’il compare à une bête sauvage qui attend de bondir sur sa proie. » La scène présente un double intérêt, elle met en place l’une des questions qui ne vont cesser de hanter l’intrigue, « qu’est-ce qui fait la différence entre la littérature populaire et littérature tout court ? », et apporte une première réponse : si le texte littéraire  « exige beaucoup de ses lecteurs », il lui apporte aussi énormément.

[1] Jean-Michel Ganteau, David Lodge. Le choix de l’éloquence, Presses universitaires de Bordeaux, 2011.

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vendredi 22 novembre 2024

Le Fantôme de l’Opéra, de Gaston Leroux : labyrinthe et manipulation


Publié en feuilleton au cours des années 1909 et 1910, Le Fantôme de l’Opéra est sans doute le plus célèbre des romans de Gaston Leroux. Peuvent en témoigner les nombreuses adaptations cinématographiques dont le livre a fait l’objet: Rupert Julian2 (1925), Arthur Lubin (1943), Terence Fisher (1962), Brian de Palma (sous le titre Phantom of the Paradise, en 1974), Dario Argento (1998), etc. Comment expliquer la fascination exercée par ce roman sur des générations de cinéastes? Dans la plus pure tradition du roman populaire, Gaston Leroux a, certes, composé un récit fait de rebondissements spectaculaires, mais le principal attrait de l’œuvre réside sans doute dans la topographie qu’elle met en place. L’opéra Garnier, cet édifice un brin clinquant qui accueille les spectacles les plus prestigieux, auxquels se presse la haute société parisienne, est aussi un espace labyrinthique fait de portes dérobées, de souterrains et de chausse-trapes à forte valeur symbolique. En outre, rédigeant Le Fantôme de l’Opéra, Gaston Leroux remet à l’honneur un genre qui avait suscité l’engouement des lecteurs cent ans plus tôt: le roman gothique.



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vendredi 15 novembre 2024

Lire Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, aujourd’hui, du collège au lycée

 


Il y a peu, j’ai demandé à mes élèves de première de lire un roman évoquant le thème de la marginalité. Ils avaient le choix entre une trentaine de titres parmi lesquels figurait le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. J’avais mis en garde les lecteurs peu entraînés. Il s’est malgré tout trouvé une demi-douzaine d’aventuriers pour explorer les arcanes du roman d’Hugo, cinq d’entre eux ont fini par abandonner. J’ai évidemment félicité la lectrice de fond qui avait effectué le parcours jusqu’au bout. Et, avec les autres, nous avons cherché les raisons de cet échec. La plupart ont évoqué le rythme du récit, une action qui tarde à démarrer, l’absence de héros ou d’héroïne immédiatement identifiable, les difficultés posées par une syntaxe parfois baroque, et la richesse d’un lexique un brin clinquant qui cherche la couleur locale. Bref, une écriture déroutante bien éloignée des standards d’aujourd’hui qui privilégient provocation et surprise. L’anecdote fait apparaître que la lecture de Victor Hugo, même en classe de première, devient difficile. Alors comment, dès lors, aborder ou faire lire une telle œuvre aujourd’hui ?

Confronté au problème, on songe tout de suite à l’ancienne pratique des morceaux choisis, Gallimard a d’ailleurs publié une anthologie[1] pertinente de Notre-Dame de Paris, commentée par Alain Goetz, lequel commence ainsi sa préface : « Hugo a interdit qu’on découpe ses textes en morceaux. En 1859, il écrit : “Les libraires [les éditeurs] qui, abusant du domaine public, tronqueront mes œuvres sous prétexte de choix, œuvres choisies, théâtre choisi, etc., etc., seront, je le leur dis d’avance, des imbéciles. J’existerai par l’ensemble.” Soit ! Hugo fait bien partie de ces « hommes océan », de ces génies dont il évoque l’existence dans la préface de son William Shakespeare. Mais il nous faut convenir que la plupart d’entre nous avons appris à nager en piscine, et l’on peut considérer que si des élèves de première n’en sont plus tout à fait au stade de l’apprentissage, on peut, sans remords, conseiller aux collégiens une anthologie ou une édition abrégée pour pallier la difficulté que posent longueurs et digressions dans les romans d’Hugo. Cela dit, il n’est pas pour autant certain que des collégiens parviendront à s’emparer seuls de l’excellente version abrégée de l’école des loisirs[2] (à laquelle nous nous référerons dans la première partie de l’article). Il faudra aussi que le professeur les aide, dessine des parcours, ait recours à la lecture à voix haute.

En cinquième : destins d’enfants trouvés

Notre-Dame de Paris est un roman qui convient parfaitement aux enjeux des classes de cinquième. La dimension historique autorise une approche interdisciplinaire, et le roman illustre avec pertinence l’objet d’étude « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Les deux figures héroïques du roman, la Esmeralda et Quasimodo, sont des « sans famille », des enfants adoptés. L’un et l’autre seront d’ailleurs cause de la ruine de leurs familles d’adoption respectives. Il est, dès lors, tout à fait possible de montrer comment se dessine ce double parcours dans le roman. La Esmeralda est immédiatement liée à la cour des Miracles dont elle constitue, par son innocence et sa pureté, un paradoxe et un motif de fierté. Le professeur peut lire à voix haute les premiers chapitres du livre II (pages 35 à 50) qui permettent de familiariser le lecteur avec la vision fantasmagorique que Victor Hugo donne à ce lieu. Il invite les élèves à lire le livre IV qui rapporte l’adoption de Quasimodo, et le troisième chapitre du livre VI qui raconte en quelles circonstances la petite Esmeralda (appelée alors Agnès) est enlevée à sa mère.

Il s’agit ensuite de montrer comment le romancier a tissé les fils croisés de deux destinées fatales, l’emprisonnement de la Esmeralda dans les tours de Notre-Dame suscite le soulèvement de la cour des Miracles et son anéantissement par les troupes du roi. L’amour désespéré de Quasimodo pour la belle bohémienne le conduira à balancer son père adoptif par-dessus les balustrades du haut des tours de la cathédrale.



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vendredi 11 octobre 2024

Briony May Smith redonne le sourire aux Brontë


 « Les gens ont tendance à penser que les enfants Brontë ont eu une vie triste et lugubre », constate, assez justement Sara O’Leary, scénariste de l’album Au pays des histoires. L’enfance de Charlotte, Branwell, Emily et Anne Brontë. Mais ils pensent aussi que, « pendant les années où ils vivaient ensemble et où ils laissaient libre cours à leur imagination, leur enfance semble avoir été heureuse ». La page de couverture donne le ton : les quatre enfants Brontë, au cœur de la grisaille des paysages de lande qui ont inspiré Les Hauts de Hurlevent, sous un ciel chargé de nuages bas, ont le sourire, un rayon de soleil éclaire leurs visages rêveurs et animés. L’image reprend la composition du fameux tableau à la colonne de Branwell : Anne rêve, Emily est absorbée dans sa lecture, Charlotte, plume à la main, retranscrit, sous le regard attentif de Branwell, les idées romanesques que suscite l’émulation des quatre imaginations réunies.

La première double page montre Anne et Charlotte à travers l’une des fenêtres du presbytère d’Haworth, où elles ont grandi, en train de confectionner un petit livre. Charlotte écrit pour sa petite sœur. De façon symbolique, la maison qui occupe la page de droite dévore une partie de la page précédente, laquelle laisse entrevoir le même paysage de lande que sur la couverture. Le monde de l’intériorité symbolisé par la maison prend ainsi le pas sur le monde extérieur. Sur la page suivante, Anne ouvre le petit livre confectionné par Charlotte, et les motifs de l’histoire, des parents qui voyagent, une petite fille et un château, s’impriment sur la tapisserie, à l’arrière-plan. Les frontières entre l’imaginaire et le réel apparaissent ainsi poreuses, le monde de l’imagination en vient à s’inscrire dans le réel.

L’animation l’emporte sur les ténèbres

Le scénario n’occulte pas les drames vécus par la famille Brontë. Une double page saisit en plongée la famille réunie autour d’une table : sur la page de gauche, le père et les quatre enfants sont en train de dîner, à droite, l’autre moitié de la table et trois chaises vides rappellent que la mère et les deux sœurs aînées (Maria et Elizabeth) sont mortes prématurément, « si bien que la maison a été baignée de tristesse pendant de longues années », précise la narratrice.

Les mots du texte sont inscrits sur la partie droite de la table, comme sur une pierre tombale, et la page de droite semble envahie par l’obscurité. La vie et la mort se font face sur cette double page qui n’a cependant rien de sinistre. Le pasteur Brontë préside une table où l’animation des enfants l’emporte sur les ténèbres.

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samedi 7 septembre 2024

Autant en emporte le vent ou le souffle destructeur de l’histoire (sujet type bac HLP)


Alors qu’elle demeurait prostrée, trop faible pour réagir les souvenirs et les craintes l’assaillirent comme des vautours attirés par la mort. Elle n'avait plus la force de dire ; « Je penserai à Maman et à Papa et à Ashley et à tout ce désastre plus tard … Oui, plus tard quand je pourrai le supporter. » Mais qu’elle l’eût on non voulu, c’était maintenant, alors qu’elle ne pouvait pas le supporter, qu’elle pensait à eux. Les pensées tournoyaient et fondaient sur elle, plongeant et enfonçant leurs griffes acérées et leurs becs tranchants dans son esprit. Pendant un temps infini, elle resta inerte, sous les rayons d’un soleil implacable, le visage dans la poussière, se souvenant de choses et de personnes qui étaient mortes, se remémorant un mode de vie à jamais disparu et contemplant les perspective d’un avenir bien sombre.

Lorsqu’elle se releva enfin et vit de nouveau les ruines noircies des Douze Chênes, elle avait la tête haute mais son visage avait définitivement perdu une part de sa jeunesse, de sa beauté et de son aptitude à faire preuve de tendresse. Le passé était le passé. Les morts étaient bien morts. Le luxe paresseux des jours anciens avait disparu et ne reviendrait plus. Et tandis qu’elle ajustait le lourd panier à son bras, Scarlett était résolue, elle savait quelles règles régiraient dorénavant sa vie et son esprit.

Il n'y avait pas de retour en arrière possible, désormais elle irait de l’avant. Dans tout le Sud et durant les cinquante années à venir, il y aurait des femmes qui jetteraient un œil amer sur des temps révolus, sur des hommes disparus, qui évoqueraient des souvenirs douloureux et futiles, tout en supportant la pauvreté avec une fierté acrimonieuse pour la simple raison qu’elles possédaient ces souvenirs. Mais Scarlett ne regarderait jamais en arrière. Elle fixa les pierres noircies et, pour la dernière fois, elle vit les Douze Chênes se dresser devant ses yeux tels qu'ils avaient été, riches et fiers, symbole d'une race et d'un mode de vie. Puis elle se mit en route vers Tara, le lourd panier lui tailladant la chair.

La faim rongeait de nouveau son estomac vide et elle dit à haute voix : « Dieu m’en est témoin, Dieu m’en est témoin, je ne me laisserai pas abattre par les Yankees. Je vais survivre à cela, et quand ce sera fini, je ne connaîtrai plus jamais la faim. Non, ni aucun de mes proches. Et même si je dois voler ou tuer – que Dieu en soit témoin ­, je ne connaîtrai plus jamais la faim. »

Margaret Mitchell, Gone with the wind (Autant en emporte le vent), trad. S. Labbe, 1936.

Question d’interprétation (littérature)

Comment l’héroïne réagit-elle aux événements historiques dont elle est témoins ?

Question de réflexion (philosophie)

Le temps est-il essentiellement destructeur ?

 

https://nrp-lycee.nathan.fr/sequences/autant-en-emporte-le-vent-ou-le-souffle-destructeur-de-lhistoire/