Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

mardi 2 septembre 2025

Pourquoi abréger?


Purquoi abréger ? Toute œuvre est-elle "abrégeable" ?

On abrège pour rendre une œuvre accessible à de jeunes lecteurs. Je crois que personne aujourd’hui n’envisagerait raisonnablement de faire lire Le Comte de Monte Cristo en version intégrale à des élèves de quatrième. Je cite Boris Moissard, qui lui-même citait Florian :

« Après avoir mentionné divers «oublis, plaisanteries répétées et tableaux peu agréables » [sic] commis par Cervantes, qui n’aurait «pas toujours pris la peine de se relire » [re-sic],Florian déclare


: «N’espérant point faire passer dans ma langue les continuelles beautés qui compensent si fort ces taches légères, j’ai cru devoir les affaiblir en supprimant les répétitions et abrégeant les digressions, neuves sans doute lorsqu’elles parurent, mais devenues aujourd’hui communes; enfin, en serrant beaucoup les récits, et suppléant par la rapidité à des ornements que je ne pouvais rendre. Les personnes tolérantes peuvent s’en rapporter à mon amour pour Cervantes de l’extrême attention que j’ai mise à ne retrancher de son ouvrage que ce qui n’aurait pas semblé digne de lui dans le mien

On ne saurait mieux plaider la cause des amputations pratiquées au bénéfice de l’amputé, ni vanter l’irrespect par respect. »

Boris Moissard m’a servi de guide, je vous signale le lien :

https://ecoledeslettres.fr/abreger-le-roman-lirrespect-par-respect/

Comment abrégez-vous ? À quel niveau du texte se font les coupes ? (Phrase, paragraphes, chapitres entiers, descriptions, dialogues…)

J’abrège en coupant des phrases (parfois des propositions), des paragraphes, des répliques de dialogues. Jamais de chapitre, vos questions ultérieures m’amèneront à la dire, mais j’essaie de conserver la littérarité du texte.


Il m’est arrivé aussi de couper plusieurs pages, dans L’île au trésor par exemple, lorsque Jim remonte seul l’Hispaniola vers le nord de l’île, pour le cacher, l’épisode est très long et une ellipse ne pose pas de problème.

 

Comment déterminez-vous ce qu’on peut couper et ce qu’il ne faut pas toucher dans un texte ? 
Je crois qu’il faut avoir repérer les principes structurants ou ce qui fait la littérarité du texte. J’ai fait étudier Jane Eyre en 4e, la version l’école des lettres est inéressantes parce qu’ella a maintenu les scènes où Jane se révolte, à chaque révolte correspond une inflexion dans l’intrigue (son destin change). Le livre de poche jeunesse ne l’a pas fait et c’est bien dommage, le texte perd en intensité dramatique.

 

Comment travaillez-vous avec l’éditeur ?

Tout dépend de l’éditeur, Hachette pour qui j’ai fait deux classiques (Le Peuple de l’abîme et 1984)  ne m’a demandé que très peu de correction, avec Maris Hélène Sabard, pour l'école des lettres, il y a toujours un gros travail de relecture. Pour les Claudine qui vont paraître à l’automne, j’avais beaucoup coupé dans les aparte ou les digressions que fait Claudine narratrice, MHS en a rétablit beaucoup, et elle a bien fait car contrairement à Jane Eyre, l’intérêt littéraire des Claudine tient beaucoup au style.

 

 

Avez-vous remarqué une différence dans le travail d’un éditeur à l’autre ? Les éditeurs vous laissent-ils carte blanche ?

J’ai un peu répondu précédemment, généralement les éditeurs nous font confiance mais peuvent se donner le droit de reprendre le travail.

 

Est-ce la même chose d’abréger un texte écrit en français et une traduction ?


Pratiquement, je n’ai pour ma part travaillé que sur des textes en anglais et je fais alors en sorte d’avoir le texte anglais. Comme on travaille généralement sur des traductions libres de droit, on peut les réviser pour se trouver plus près du texte. Les traductions anciennes prenaient parfois beaucoup de libertés.


Comment travaille-t-on à deux sur une édition abrégée d’un ouvrage de littérature étrangère ? Y a-t-il un dialogue entre le traducteur et l’abrégeur pour déterminer ce qui sera coupé avant d’entamer le travail de traduction ?

Je n’ai vécu cette expérience qu’une fois, j’avais propose à Hachette de prévoir l’arrivée dans le domaine publique d’Orwell. J’ai traduit de mon côté La fermes de animaux et une amie collègue d’anglais s’est attaqué à 1984. Je lui ai confié un exemplaire de 1984 en anglais ou j’avais biffé les passages à ne pas traduire, elle m’envoyait son travail au fur et à mesure et nous constations que la lecture était fluide, ça s’est donc fait assez naturellement.

 

 

Quelle est la part de réécriture dans les abrégés d’un éditeur à l’autre ? Y a-t-il des éditeurs qui acceptent aujourd’hui de faire de la réécriture ?

Il n’y a généralement aucune part de réécriture. A mes yeux ce qui fait l’intérêt des classiques abrégés, c’est justement de confronter des élèves de collèges ou lycée à une écriture littéraire.

Le seul que j’ai entièrement réécrit, c’est le Gilgamesh mais pour lequel il n’y avait pas de version ado. J’ai pris les deux éditions scientifiques alors disponibles (Tournay et Bottéro) plus une édition anglaise, celle de R. Thompson. J’ai bâti un scénario à partir des trois, en respectant le contenu des tablettes connues et me suis mis à écrire en respectant la tonalité répétitive du texte. Mais comme dans les deux versions françaises, je constatais que l’utilisation des temps du passé était incohérente, j’ai chois le présent de narration, ce qui a donné un résultat plutôt poétique. Mais ce texte mis à part, je ne réécris jamais.

 

Y a-t-il une part de censure dans les abrégés ? Coupez-vous ce qui peut choquer un jeune dans une version abrégée ?

Non pas de censure, ce que je parfois je regrette, plusieurs collègues m’ont dit avoir renoncé à Gilgamesh en 6e à


cause de la scène de sexe de la première partie où Enkidu reçoit son humanité d’une prostituée. Mais non, un texte patrimonial  est un texte patrimonial et je suis certain que le petit côté pervers de Claudine va choquer beaucoup d’élèves – surtout devant leur professeur.

 

Y a-t-il eu un changement dans la réception des classiques abrégés ? Pourquoi à votre avis ?

Pas vraiment.

Il y a toujours des puristes qui refusent par principe l’abrégé. Leur utilisation est néanmoins largement admise en collège. Par contre elle est systématiquement proscrite en lycée. Ce qui ce conçoit, les modes d’approche du texte étant très différents. J’autorise néanmoins les abrégés au lycée quand il s’agit de lectures cursives, peu de lycéens sont à même de lire de façon autonome Notre Dame de Paris, par exemple. J’ai aussi recommandé aux élèves qui ne parvenaient pas à lire La peau de chagrin de recourir au livre de poche jeunesse pour se faire une idée d’ensemble de l’intrigue. Mais pour les passages à présenter au bac nous avons évidemment recours à des textes non coupés.

 

Quelle est la réception des classiques abrégés en classe ? Comment travaillez-vous en classe sur un classique abrégé ? Jusqu'à quel point les élèves sont-ils autonomes ? Comment l’enseignant choisit-il l’édition à adopter en classe ?

Tout dépend, généralement, si l’abrégé est respectueux, je le traite comme un texte non abrégé. Mais je peux aussi le compléter par des photocopies. Dans la première séquence que j’ai réalisée pour la revue l’école des lettres, je trouvais qu’il était intéressant de montrer la dimension symbolique du décor dans Jane Eyre (celle de la « chambre rouge » dans laquelle l'héroïne est enfermée au début du roman). Comme elle avait été coupée, je l’ai donnée à lire, ce qui a été l’occasion de montrer justement en quoi consistait le travail de l’abrègement mais aussi en quoi il pouvait appauvrir le texte. L’abrégé lu en collège peut être une invitation à relire l’intégral plus tard. J’ai eu le plaisir de constater que des élèves qui avaient lu Jane Eyre en abrégé en 4e le reprenaient en version intégrale au lycée.

 

Pourquoi choisir de travailler sur un classique abrégé plutôt qu’une édition plus scolaire ?

Un abrégé est un livre, une édition scolaire est un manuel. Utiliser l’abrégé c’est tenter de faire passer le plaisir de la lecture avant l’étude. J’aurais tendance à préférer les abrégés pour le roman. Au bonheur des dames en abrégé est plus agréable à lire qu’une édition scolaire qui comporte des coupures, des questions, etc. et qui rappelle à l’élève qu’il est davantage élève que lecteur. Maintenant, au lycée, les éditions scolaires sont parfois nécessaires. Les élèves de premières qui vont devoir aborder les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle auront besoin des notes et de l’appareil pédagogique pour entrer dans le texte.


https://classiques.ecoledesloisirs.fr/passeur/Stephane-Labbe

jeudi 16 janvier 2025

Audace et préjugés d'Alexis Karlins-Marchat

Jane Austen, Charlotte Brontë, Virginia Woolf, quatre oeuvres clés de la littérature qui sont autant d'étapes dans l'affirmation d'une pensée féministe, c'est ce que montre Alexis Karklins Marchat qui éclaire de façon particulièrement judicieuse ce parcours au coeur de la littérature anglaise. (article disponible en accès libre sur le site de l'école des l'École des lettres :

https://www.ecoledeslettres.fr/audace-prejuges-relecture-de-chefs-doeuvre-feministes/



vendredi 20 décembre 2024

L’Auteur, l’auteur !, de David Lodge : le style face au succès

 
Avec L’Auteur, l’auteur !, David Lodge met en scène deux figures d’écrivains que tout oppose (deux amis pourtant !), Henri James, adepte du style recherché dont l’œuvre est longtemps restée confidentielle et George Du Maurier, auteur amateur qui remporte soudainement un succès considérable.

La richesse d’une œuvre

« Londres, décembre 1915 », Henry James se meurt. Célibataire endurci, voué à son art, il est entouré de sa secrétaire, de ses domestiques et de sa belle sœur qui vient d’arriver. Consternation et tristesse se sont emparées du personnel qui voue un véritable culte à ce maître distant et bon qu’est « le vieux gentleman » comme on le surnomme avec un mélange de respect et d’affection. Deux figures émergent de ce premier chapitre de L’auteur ! L’auteur !, le roman que David Lodge consacre à Henry James : Théodora Bosanquet, la secrétaire de l’écrivain qui a pris en notes les derniers chefs d’œuvre du grand homme et Minnie Kidd, jeune servante réservée. Désireuse de comprendre ce qui fait la renommée de son maître, Minnie demande à Théodora de lui conseiller un livre du maître.

La secrétaire met entre les mains de Minnie, La bête de jungle et lorsque Théodora, le lendemain, demandera à Minnie si elle a aimé la nouvelle, la jeune servante sera obligée d’admettre que « tout est difficile dans ce livre ». Théodora explique alors à la jeune femme la dimension symbolique du titre : « Toute sa vie Marcher [le héros] a eu le pressentiment qu’il va lui arriver quelque chose d’extraordinaire  et de terrible, qu’il compare à une bête sauvage qui attend de bondir sur sa proie. » La scène présente un double intérêt, elle met en place l’une des questions qui ne vont cesser de hanter l’intrigue, « qu’est-ce qui fait la différence entre la littérature populaire et littérature tout court ? », et apporte une première réponse : si le texte littéraire  « exige beaucoup de ses lecteurs », il lui apporte aussi énormément.

[1] Jean-Michel Ganteau, David Lodge. Le choix de l’éloquence, Presses universitaires de Bordeaux, 2011.

https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/lauteur-lauteur-de-david-lodge-le-style-face-au-succes/

vendredi 22 novembre 2024

Le Fantôme de l’Opéra, de Gaston Leroux : labyrinthe et manipulation


Publié en feuilleton au cours des années 1909 et 1910, Le Fantôme de l’Opéra est sans doute le plus célèbre des romans de Gaston Leroux. Peuvent en témoigner les nombreuses adaptations cinématographiques dont le livre a fait l’objet: Rupert Julian2 (1925), Arthur Lubin (1943), Terence Fisher (1962), Brian de Palma (sous le titre Phantom of the Paradise, en 1974), Dario Argento (1998), etc. Comment expliquer la fascination exercée par ce roman sur des générations de cinéastes? Dans la plus pure tradition du roman populaire, Gaston Leroux a, certes, composé un récit fait de rebondissements spectaculaires, mais le principal attrait de l’œuvre réside sans doute dans la topographie qu’elle met en place. L’opéra Garnier, cet édifice un brin clinquant qui accueille les spectacles les plus prestigieux, auxquels se presse la haute société parisienne, est aussi un espace labyrinthique fait de portes dérobées, de souterrains et de chausse-trapes à forte valeur symbolique. En outre, rédigeant Le Fantôme de l’Opéra, Gaston Leroux remet à l’honneur un genre qui avait suscité l’engouement des lecteurs cent ans plus tôt: le roman gothique.



https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/le-fantome-de-lopera-de-gaston-leroux-labyrinthe-et-manipulation/

vendredi 15 novembre 2024

Lire Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, aujourd’hui, du collège au lycée

 


Il y a peu, j’ai demandé à mes élèves de première de lire un roman évoquant le thème de la marginalité. Ils avaient le choix entre une trentaine de titres parmi lesquels figurait le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. J’avais mis en garde les lecteurs peu entraînés. Il s’est malgré tout trouvé une demi-douzaine d’aventuriers pour explorer les arcanes du roman d’Hugo, cinq d’entre eux ont fini par abandonner. J’ai évidemment félicité la lectrice de fond qui avait effectué le parcours jusqu’au bout. Et, avec les autres, nous avons cherché les raisons de cet échec. La plupart ont évoqué le rythme du récit, une action qui tarde à démarrer, l’absence de héros ou d’héroïne immédiatement identifiable, les difficultés posées par une syntaxe parfois baroque, et la richesse d’un lexique un brin clinquant qui cherche la couleur locale. Bref, une écriture déroutante bien éloignée des standards d’aujourd’hui qui privilégient provocation et surprise. L’anecdote fait apparaître que la lecture de Victor Hugo, même en classe de première, devient difficile. Alors comment, dès lors, aborder ou faire lire une telle œuvre aujourd’hui ?

Confronté au problème, on songe tout de suite à l’ancienne pratique des morceaux choisis, Gallimard a d’ailleurs publié une anthologie[1] pertinente de Notre-Dame de Paris, commentée par Alain Goetz, lequel commence ainsi sa préface : « Hugo a interdit qu’on découpe ses textes en morceaux. En 1859, il écrit : “Les libraires [les éditeurs] qui, abusant du domaine public, tronqueront mes œuvres sous prétexte de choix, œuvres choisies, théâtre choisi, etc., etc., seront, je le leur dis d’avance, des imbéciles. J’existerai par l’ensemble.” Soit ! Hugo fait bien partie de ces « hommes océan », de ces génies dont il évoque l’existence dans la préface de son William Shakespeare. Mais il nous faut convenir que la plupart d’entre nous avons appris à nager en piscine, et l’on peut considérer que si des élèves de première n’en sont plus tout à fait au stade de l’apprentissage, on peut, sans remords, conseiller aux collégiens une anthologie ou une édition abrégée pour pallier la difficulté que posent longueurs et digressions dans les romans d’Hugo. Cela dit, il n’est pas pour autant certain que des collégiens parviendront à s’emparer seuls de l’excellente version abrégée de l’école des loisirs[2] (à laquelle nous nous référerons dans la première partie de l’article). Il faudra aussi que le professeur les aide, dessine des parcours, ait recours à la lecture à voix haute.

En cinquième : destins d’enfants trouvés

Notre-Dame de Paris est un roman qui convient parfaitement aux enjeux des classes de cinquième. La dimension historique autorise une approche interdisciplinaire, et le roman illustre avec pertinence l’objet d’étude « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Les deux figures héroïques du roman, la Esmeralda et Quasimodo, sont des « sans famille », des enfants adoptés. L’un et l’autre seront d’ailleurs cause de la ruine de leurs familles d’adoption respectives. Il est, dès lors, tout à fait possible de montrer comment se dessine ce double parcours dans le roman. La Esmeralda est immédiatement liée à la cour des Miracles dont elle constitue, par son innocence et sa pureté, un paradoxe et un motif de fierté. Le professeur peut lire à voix haute les premiers chapitres du livre II (pages 35 à 50) qui permettent de familiariser le lecteur avec la vision fantasmagorique que Victor Hugo donne à ce lieu. Il invite les élèves à lire le livre IV qui rapporte l’adoption de Quasimodo, et le troisième chapitre du livre VI qui raconte en quelles circonstances la petite Esmeralda (appelée alors Agnès) est enlevée à sa mère.

Il s’agit ensuite de montrer comment le romancier a tissé les fils croisés de deux destinées fatales, l’emprisonnement de la Esmeralda dans les tours de Notre-Dame suscite le soulèvement de la cour des Miracles et son anéantissement par les troupes du roi. L’amour désespéré de Quasimodo pour la belle bohémienne le conduira à balancer son père adoptif par-dessus les balustrades du haut des tours de la cathédrale.



https://www.ecoledeslettres.fr/lire-notre-dame-de-paris-de-victor-hugo-aujourdhui-du-college-au-lycee/

vendredi 11 octobre 2024

Briony May Smith redonne le sourire aux Brontë


 « Les gens ont tendance à penser que les enfants Brontë ont eu une vie triste et lugubre », constate, assez justement Sara O’Leary, scénariste de l’album Au pays des histoires. L’enfance de Charlotte, Branwell, Emily et Anne Brontë. Mais ils pensent aussi que, « pendant les années où ils vivaient ensemble et où ils laissaient libre cours à leur imagination, leur enfance semble avoir été heureuse ». La page de couverture donne le ton : les quatre enfants Brontë, au cœur de la grisaille des paysages de lande qui ont inspiré Les Hauts de Hurlevent, sous un ciel chargé de nuages bas, ont le sourire, un rayon de soleil éclaire leurs visages rêveurs et animés. L’image reprend la composition du fameux tableau à la colonne de Branwell : Anne rêve, Emily est absorbée dans sa lecture, Charlotte, plume à la main, retranscrit, sous le regard attentif de Branwell, les idées romanesques que suscite l’émulation des quatre imaginations réunies.

La première double page montre Anne et Charlotte à travers l’une des fenêtres du presbytère d’Haworth, où elles ont grandi, en train de confectionner un petit livre. Charlotte écrit pour sa petite sœur. De façon symbolique, la maison qui occupe la page de droite dévore une partie de la page précédente, laquelle laisse entrevoir le même paysage de lande que sur la couverture. Le monde de l’intériorité symbolisé par la maison prend ainsi le pas sur le monde extérieur. Sur la page suivante, Anne ouvre le petit livre confectionné par Charlotte, et les motifs de l’histoire, des parents qui voyagent, une petite fille et un château, s’impriment sur la tapisserie, à l’arrière-plan. Les frontières entre l’imaginaire et le réel apparaissent ainsi poreuses, le monde de l’imagination en vient à s’inscrire dans le réel.

L’animation l’emporte sur les ténèbres

Le scénario n’occulte pas les drames vécus par la famille Brontë. Une double page saisit en plongée la famille réunie autour d’une table : sur la page de gauche, le père et les quatre enfants sont en train de dîner, à droite, l’autre moitié de la table et trois chaises vides rappellent que la mère et les deux sœurs aînées (Maria et Elizabeth) sont mortes prématurément, « si bien que la maison a été baignée de tristesse pendant de longues années », précise la narratrice.

Les mots du texte sont inscrits sur la partie droite de la table, comme sur une pierre tombale, et la page de droite semble envahie par l’obscurité. La vie et la mort se font face sur cette double page qui n’a cependant rien de sinistre. Le pasteur Brontë préside une table où l’animation des enfants l’emporte sur les ténèbres.

https://www.ecoledeslettres.fr/briony-may-smith-redonne-le-sourire-aux-bronte/