Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

mercredi 13 juin 2018

"Feuilles d'automne" de Millais


Article publié dans le n° 5 de la Revue L'Ecole des lettres, 2011-2012.

Le tableau de Millais, Les feuilles d’automne (Autumn Leaves), fait partie d’un triptyque avec lequel Millais affirme une doctrine de l’art pour l’art, s’éloignant ainsi du préraphaélisme[1] dont il avait pourtant été l’un des piliers et membres fondateurs. La Fille aveugle (1856), Feuilles d’automne (1856) et Printemps (1859) sont les trois volets de ce triptyque qui, pour le peintre désormais membre de la Royal Academy, manifestent sa liberté retrouvée. Avec la Fille aveugle qui s’appuie sur un thème à vocation sociale (l’errance des enfants sans famille) le peintre évite tout misérabilisme et met en image une communion heureuse de l’homme avec la nature. Tableau « sans sujet », selon la propre femme de l’artiste, Feuilles d’automne constitue l’une des œuvres les plus mystérieuses du peintre. L’artiste a cherché à rendre, à travers une scène de genre, la mélancolie inhérente à la prise de conscience du temps qui passe. D’après Malcolm Warner[2], Millais aurait puisé le sujet de son tableau dans les jardins de sa propriété de Perth en Ecosse, les critiques évoquent généralement l’influence des vers de Tennyson[3] (pour qui le peintre éprouvait une vive admiration) :
Tears, idle tears, I know not what they mean,
Tears from the depth of some divine despair
Rise in the heart, and gather to the eyes,
In looking on the happy autumn-fields,
And thinking of the days that are no more.

Description et composition du tableau

Au premier plan, quatre jeunes filles entourent un tas de feuilles destinées à être brûlées, deux d’entre elles (les plus âgées) sont vêtues de robes noires et alimentent le feu, l’une tient la corbeille remplie de feuilles, l’autre les jette sur le tas dont s’échappent déjà quelques fumerolles. La ressemblance des deux jeunes femmes est frappante, accentuée par la similitude de leurs tenues vestimentaires. A leur gauche, une jeune fille et une fillette vêtues plus grossièrement participent à la scène : l’une tient le manche de ce qui doit être un râteau ; l’autre, une pomme à la main, contemple le feu d’un air rêveur. Toujours d’après Malcolm Warner, les deux jeunes femmes en noir seraient les belles-sœurs de Millais (Alice et Sophie Gray) et les deux autres modèles, deux jeunes filles de Perth.
A l’arrière-plan, l’obscurité envahit une campagne vallonnée, quelques silhouettes de peupliers se dressent, décharnées, en direction d’un ciel jauni par le couchant. Les contrastes occasionnés par les jeux de lumières sont saisissants et contribuent à l’atmosphère onirique qui émane du tableau. La lumière vient frapper le tas de feuilles mortes qui se détachent ainsi particulièrement sur le fond noir d’encre des robes. De la même façon, les visages des deux belles-sœurs de Millais semblent surgir de la nuit, encadrés par l’arrière-plan ténébreux de la campagne et le noir profond de leurs tenues.
Le premier plan du tableau semble obéir à un principe de composition parabolique : le tas de feuille forme une parabole qui part du sol et dont le sommet est orienté vers le centre du tableau, cette première parabole est cernée par une deuxième parabole que l’on obtient en joignant comme autant de points, par une ligne, les visages des jeunes filles. Le peintre établit donc un rapport quasi-géométrique entre le tas de feuilles et le groupe féminin. On notera la récurrence du motif parabolique dans les chevelures des jeunes belles-sœurs entourées d’une discrète aura lumineuse.
L’arrière-plan semble, quant à lui, construit selon un principe de perspective frontale orientée vers un point de fuite qui serait situé à la droite du tableau, à la jonction du ciel et de la terre. Le peintre accentue ainsi l’effet de profondeur ; il établit aussi un contraste entre l’arrière-plan livré aux ténèbres et le premier plan qui saisit, dans l’espace de la parabole, l’intimité d’une scène domestique.

Interprétation

Tous les commentateurs ont noté l’aspect solennel, de la scène, la gravité des deux jeunes femmes en noir dont les gestes ressemblent à l’accomplissement d’un rite. L’expression absente de la jeune fille au râteau et le recueillement de la petite fille qui tient la pomme confirment cette atmosphère quasi religieuse.
Le parallélisme de la composition du premier plan semble suggérer une analogie entre les jeunes femmes dont le peintre saisit un instant de vie éphémère et les feuilles mortes, images de la destinée humaine. 

La suite ; 

http://www.ecoledeslettres.fr/index.php?mode=rs&ot=&nl=0&p=article_fiche&ra=12131

[1] Le mouvement (la confrérie) préraphaélite nait de la rencontre de trois jeunes peintres (Rossetti, Hunt et Millais) qui voient dans l’œuvre de Raphaël une « corruption » de l’art. Ils affichent donc la volonté de revenir aux principes de l’art primitif italien. Ils suivent en cela les conseils du critique Ruskin qui dans Les peintres modernes fustige l’académisme de la peinture anglaise de l’époque. S’ils représentent volontiers le Moyen-Âge ou des scènes tirés de la littérature contemporaine, les préraphaélites manifesteront toujours des préoccupations d’ordre moral et social.
[2] Peter Funnell, Malcolm Warner, Kate Flint, H.C.G. Matthew, Leonée Ormond, Millais, portraits, Princeton University Press, 1999.
[3] Poème lyrique publié dans The Princess, en 1847. Traduction approximative : « Larmes, vaines larmes, je ne sais ce qu’elles signifient, / Les larmes issues des tréfonds d’un divin désespoir / S’élèvent du cœur et affluent dans les yeux, / Lorsque contemplant le bonheur des champs d’automne / Je pense aux jours qui ne sont plus.

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