Article publié dans le n° 5 de la Revue L'Ecole des lettres, 2011-2012.
Le tableau de Millais, Les
feuilles d’automne (Autumn Leaves),
fait partie d’un triptyque avec lequel Millais affirme une doctrine de l’art
pour l’art, s’éloignant ainsi du préraphaélisme[1]
dont il avait pourtant été l’un des piliers et membres fondateurs. La Fille aveugle (1856), Feuilles d’automne (1856) et Printemps (1859) sont les trois volets
de ce triptyque qui, pour le peintre désormais membre de la Royal Academy, manifestent
sa liberté retrouvée. Avec la Fille aveugle
qui s’appuie sur un thème à vocation sociale (l’errance des enfants sans
famille) le peintre évite tout misérabilisme et met en image une communion heureuse
de l’homme avec la nature. Tableau « sans sujet », selon la propre
femme de l’artiste, Feuilles d’automne
constitue l’une des œuvres les plus mystérieuses du peintre. L’artiste a
cherché à rendre, à travers une scène de genre, la mélancolie inhérente à la
prise de conscience du temps qui passe. D’après Malcolm Warner[2],
Millais aurait puisé le sujet de son tableau dans les jardins de sa propriété
de Perth en Ecosse, les critiques évoquent généralement l’influence des vers de
Tennyson[3]
(pour qui le peintre éprouvait une vive admiration) :
Tears, idle tears, I know not what they mean,
Tears from the depth of some divine despair
Rise in the heart, and gather to the eyes,
In looking on the happy autumn-fields,
And thinking of the days that are no more.
Description et composition du tableau
Au premier plan, quatre jeunes filles entourent un tas de
feuilles destinées à être brûlées, deux d’entre elles (les plus âgées) sont
vêtues de robes noires et alimentent le feu, l’une tient la corbeille remplie
de feuilles, l’autre les jette sur le tas dont s’échappent déjà quelques
fumerolles. La ressemblance des deux jeunes femmes est frappante, accentuée par
la similitude de leurs tenues vestimentaires. A leur gauche, une jeune fille et
une fillette vêtues plus grossièrement participent à la scène : l’une tient
le manche de ce qui doit être un râteau ; l’autre, une pomme à la main, contemple
le feu d’un air rêveur. Toujours d’après Malcolm Warner, les deux jeunes femmes
en noir seraient les belles-sœurs de Millais (Alice et Sophie Gray) et les deux
autres modèles, deux jeunes filles de Perth.
A l’arrière-plan, l’obscurité envahit une campagne
vallonnée, quelques silhouettes de peupliers se dressent, décharnées, en
direction d’un ciel jauni par le couchant. Les contrastes occasionnés par les
jeux de lumières sont saisissants et contribuent à l’atmosphère onirique qui
émane du tableau. La lumière vient frapper le tas de feuilles mortes qui se
détachent ainsi particulièrement sur le fond noir d’encre des robes. De la même
façon, les visages des deux belles-sœurs de Millais semblent surgir de la nuit,
encadrés par l’arrière-plan ténébreux de la campagne et le noir profond de
leurs tenues.
Le premier plan du tableau semble obéir à un principe de
composition parabolique : le tas de feuille forme une parabole qui part du
sol et dont le sommet est orienté vers le centre du tableau, cette première
parabole est cernée par une deuxième parabole que l’on obtient en joignant comme
autant de points, par une ligne, les visages des jeunes filles. Le peintre
établit donc un rapport quasi-géométrique entre le tas de feuilles et le groupe
féminin. On notera la récurrence du motif parabolique dans les chevelures des
jeunes belles-sœurs entourées d’une discrète aura lumineuse.
L’arrière-plan semble, quant à lui, construit selon un
principe de perspective frontale orientée vers un point de fuite qui serait
situé à la droite du tableau, à la jonction du ciel et de la terre. Le peintre
accentue ainsi l’effet de profondeur ; il établit aussi un contraste entre
l’arrière-plan livré aux ténèbres et le premier plan qui saisit, dans l’espace
de la parabole, l’intimité d’une scène domestique.
Interprétation
Tous les commentateurs ont noté l’aspect solennel, de la
scène, la gravité des deux jeunes femmes en noir dont les gestes ressemblent à
l’accomplissement d’un rite. L’expression absente de la jeune fille au râteau
et le recueillement de la petite fille qui tient la pomme confirment cette
atmosphère quasi religieuse.
Le parallélisme de la composition du premier plan
semble suggérer une analogie entre les jeunes femmes dont le peintre saisit un
instant de vie éphémère et les feuilles mortes, images de la destinée humaine.
La suite ;
http://www.ecoledeslettres.fr/index.php?mode=rs&ot=&nl=0&p=article_fiche&ra=12131
[1] Le
mouvement (la confrérie) préraphaélite nait de la rencontre de trois jeunes
peintres (Rossetti, Hunt et Millais) qui voient dans l’œuvre de Raphaël une
« corruption » de l’art. Ils affichent donc la volonté de revenir aux
principes de l’art primitif italien. Ils suivent en cela les conseils du
critique Ruskin qui dans Les peintres
modernes fustige l’académisme de la peinture anglaise de l’époque. S’ils
représentent volontiers le Moyen-Âge ou des scènes tirés de la littérature
contemporaine, les préraphaélites manifesteront toujours des préoccupations
d’ordre moral et social.
[2] Peter Funnell,
Malcolm Warner, Kate Flint, H.C.G. Matthew, Leonée Ormond, Millais, portraits, Princeton University Press, 1999.
[3] Poème
lyrique publié dans The Princess, en
1847. Traduction approximative : « Larmes, vaines larmes, je ne sais
ce qu’elles signifient, / Les larmes issues des tréfonds d’un divin désespoir /
S’élèvent du cœur et affluent dans les yeux, / Lorsque contemplant le bonheur
des champs d’automne / Je pense aux jours qui ne sont plus.
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