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vendredi 15 novembre 2024

Lire Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, aujourd’hui, du collège au lycée

 


Il y a peu, j’ai demandé à mes élèves de première de lire un roman évoquant le thème de la marginalité. Ils avaient le choix entre une trentaine de titres parmi lesquels figurait le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. J’avais mis en garde les lecteurs peu entraînés. Il s’est malgré tout trouvé une demi-douzaine d’aventuriers pour explorer les arcanes du roman d’Hugo, cinq d’entre eux ont fini par abandonner. J’ai évidemment félicité la lectrice de fond qui avait effectué le parcours jusqu’au bout. Et, avec les autres, nous avons cherché les raisons de cet échec. La plupart ont évoqué le rythme du récit, une action qui tarde à démarrer, l’absence de héros ou d’héroïne immédiatement identifiable, les difficultés posées par une syntaxe parfois baroque, et la richesse d’un lexique un brin clinquant qui cherche la couleur locale. Bref, une écriture déroutante bien éloignée des standards d’aujourd’hui qui privilégient provocation et surprise. L’anecdote fait apparaître que la lecture de Victor Hugo, même en classe de première, devient difficile. Alors comment, dès lors, aborder ou faire lire une telle œuvre aujourd’hui ?

Confronté au problème, on songe tout de suite à l’ancienne pratique des morceaux choisis, Gallimard a d’ailleurs publié une anthologie[1] pertinente de Notre-Dame de Paris, commentée par Alain Goetz, lequel commence ainsi sa préface : « Hugo a interdit qu’on découpe ses textes en morceaux. En 1859, il écrit : “Les libraires [les éditeurs] qui, abusant du domaine public, tronqueront mes œuvres sous prétexte de choix, œuvres choisies, théâtre choisi, etc., etc., seront, je le leur dis d’avance, des imbéciles. J’existerai par l’ensemble.” Soit ! Hugo fait bien partie de ces « hommes océan », de ces génies dont il évoque l’existence dans la préface de son William Shakespeare. Mais il nous faut convenir que la plupart d’entre nous avons appris à nager en piscine, et l’on peut considérer que si des élèves de première n’en sont plus tout à fait au stade de l’apprentissage, on peut, sans remords, conseiller aux collégiens une anthologie ou une édition abrégée pour pallier la difficulté que posent longueurs et digressions dans les romans d’Hugo. Cela dit, il n’est pas pour autant certain que des collégiens parviendront à s’emparer seuls de l’excellente version abrégée de l’école des loisirs[2] (à laquelle nous nous référerons dans la première partie de l’article). Il faudra aussi que le professeur les aide, dessine des parcours, ait recours à la lecture à voix haute.

En cinquième : destins d’enfants trouvés

Notre-Dame de Paris est un roman qui convient parfaitement aux enjeux des classes de cinquième. La dimension historique autorise une approche interdisciplinaire, et le roman illustre avec pertinence l’objet d’étude « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Les deux figures héroïques du roman, la Esmeralda et Quasimodo, sont des « sans famille », des enfants adoptés. L’un et l’autre seront d’ailleurs cause de la ruine de leurs familles d’adoption respectives. Il est, dès lors, tout à fait possible de montrer comment se dessine ce double parcours dans le roman. La Esmeralda est immédiatement liée à la cour des Miracles dont elle constitue, par son innocence et sa pureté, un paradoxe et un motif de fierté. Le professeur peut lire à voix haute les premiers chapitres du livre II (pages 35 à 50) qui permettent de familiariser le lecteur avec la vision fantasmagorique que Victor Hugo donne à ce lieu. Il invite les élèves à lire le livre IV qui rapporte l’adoption de Quasimodo, et le troisième chapitre du livre VI qui raconte en quelles circonstances la petite Esmeralda (appelée alors Agnès) est enlevée à sa mère.

Il s’agit ensuite de montrer comment le romancier a tissé les fils croisés de deux destinées fatales, l’emprisonnement de la Esmeralda dans les tours de Notre-Dame suscite le soulèvement de la cour des Miracles et son anéantissement par les troupes du roi. L’amour désespéré de Quasimodo pour la belle bohémienne le conduira à balancer son père adoptif par-dessus les balustrades du haut des tours de la cathédrale.



https://www.ecoledeslettres.fr/lire-notre-dame-de-paris-de-victor-hugo-aujourdhui-du-college-au-lycee/

mercredi 16 août 2023

Sept contre-vérités sur l’éducation, ou pourquoi l’école se doit de transmettre des connaissances.

La librairie des écoles vient de publier un ouvrage qui, en Angleterre, a soulevé de vives polémiques, sans doute parce qu’il prend le contre-pied de toutes les réformes mises en place depuis quelques décennies dans l’enseignement. Il s’agit des 7 contre-vérités sur l’éducation de Daisy Christodoulou. Jean Nemo, fondateur des éditions La Librairie des écoles, explique, en introduction, l’intérêt d’un tel ouvrage pour les enseignants français. La promotion des compétences au détriment des connaissances n’est pas un phénomène spécifiquement français, elle s’est effectuée de la même manière en Angleterre ainsi que dans d’autres pays européens et s’accompagne du même désenchantement lorsqu’on se penche sur les évaluations des élèves. Baisse du niveau de lecture à l’entrée au collège, piètres performances en mathématiques… Jean Nemo en arrive donc à la conclusion qu’il faut savoir « remettre en cause les méthodes d’enseignements et agir. » Agir comment ? En se fondant sur les conclusions mises en avant par les neurosciences et oser braver les contre-vérités largement diffusées dans les milieux dirigeants et dans les écoles de formations des enseignants.

Recensons donc ces « contre-vérités ‑ Daisy Christodoulou utilise en réalité le mot « mythe », moins polémique – que pointe l’auteur de l’ouvrage :

- Comprendre est plus important que connaître ;

- Un enseignement trop guidé rend les élèves passifs ;

- Le XXIe siècle rend obsolète les vieilles méthodes d’enseignement ;

- Les élèves pourront toujours faire des recherches en ligne ;

- Il faut enseigner des compétences transversales plutôt que des connaissances figées ;

- C’est par les projets et les activités que les élèves apprennent le mieux ;

- Transmettre des connaissances, c’est endoctriner les élèves.

Dans chaque chapitre Daisy Christodoulou commence par montrer sur quels fondements théoriques s’appuient les mythes dont elle conteste l’absolue vérité puis elle analyse la manière dont ces idées sont mises en pratique et encouragées dans le système scolaire avant de démontrer en quoi ces pratiques éducatives défient, malgré la bénédiction des autorités éducatives, toute logique élémentaire.

Comprendre est plus important que connaître

C’est à Rousseau, Dewey et Paulo Freire qu’incombe la dévalorisation des savoirs. Tous établissent une opposition entre « les faits généralement perçus comme néfastes » et « la compréhension, le raisonnement », « la signification ». Chez ces pédagogues, la connaissance est perçue comme néfaste car la transmettre revient à placer l’élève en situation de réceptacle passif.

Daisy Christodoulou montre ensuite comment les programmes anglais qui privilégient depuis 2007 les compétences transversales ont considérablement allégé la liste des connaissances à transmettre, un peu à la manière de ce qui s’est produit plus récemment en France avec les programmes de 2016.

Pourquoi cette idée relève-t-elle du mythe ? S’appuyant sur les travaux du psychologue américain J.-C. Anderson, Daisy Christodoulou montre que « L’intelligence n’est rien d’autre que l’accumulation et l’ajustement d’une multitude de petites unités de connaissance dont l’ensemble donne naissance à la cognition complexe. »

Il n’y a donc pas de compétences sans connaissances, les connaissances qui s’inscrivent dans la mémoire à long terme, libèrent la mémoire de travail que l’élève mobilise pour réfléchir. Nous emprunterons à l’ouvrage un exemple très simple : bien peu d’entre nous s’avèrent capable de trouver instantanément le résultat d’une multiplication comme 46 x 7. Et nous n’y parviendrons qu’en décomposant l’opération, soit 40 x 7 + 6 x 7. Mais encore faut-il pour ce faire, avoir mémorisé ses tables de multiplication !

Ce qui est vrai en arithmétique vaut aussi pour les compétences langagières, la maîtrise de la profondeur historique ou les lois physiques de l’univers.

Un enseignement trop directif rend les élèves passifs

Toujours se référant à Rousseau, Dewey et Freire, Daisy Christodoulou montre que pour ces pédagogues, le maître doit se garder d’intervenir et se placer en retrait pour laisser s’épanouir la curiosité naturelle des élèves. A leurs yeux, imposer des connaissances serait immoral et néfaste. Immoral dans la mesure où la contrainte vide l’enseignement de toute joie et néfaste parce que l’enfant à qui l’on impose des connaissances devient passif, apprenant sans comprendre.

Or, il existe trois arguments majeurs en faveur de l’intervention des enseignants et d’une transmission explicite des connaissances : le premier est historique. Qu’il s’agisse de l’alphabet ou des grandes découvertes scientifiques, comment imaginer qu’un enfant puisse les reconstituer seul sans l’aide des adultes ? Si les enfants apprennent naturellement à parler, il est illusoire de penser que l’apprentissage de l’écriture ou celui des grandes lois naturelles découvertes par Euclide et Newton puisse s’opérer de la même manière.

Le second argument est d’ordre théorique : « Il nous est difficile d’assimiler de nouvelles informations lorsque nous ne bénéficions que d’un accompagnement limité, voire inexistant. C’est la conséquence des limites de notre mémoire de travail. » Confronter les élèves à des problèmes complexes, sans leur donner les moyens de les résoudre revient donc à les décourager.

Le dernier argument est d’ordre empirique : John Hattie, chercheur en science de l’éducation a comparé différentes pédagogies et montré que les plus efficaces étaient les pédagogies explicites  qui consistent à clairement définir les objectifs à atteindre et les critères de réussite, puis à effectuer des démonstrations sans détour, à en évaluer la compréhension pour ensuite si nécessaire répéter ce qui a été abordé.

Or ce type d’enseignement jugé ennuyeux par les autorités académiques est, de plus en plus souvent et partout, découragé.

Le XXIe siècle rend obsolète les vieilles méthodes d’enseignement, Les élèves pourront toujours faire des recherches en ligne 

En quoi notre époque, différant tellement des précédentes, nécessiterait-elle une pédagogie tellement nouvelle ? La première raison serait que l’existence d’espaces de stockage en ligne a mis le savoir à la disposition de tous, partout et à tout moment, il est donc devenu inutile de l’apprendre ; La deuxième raison, ressassée à l’envie par les dirigeants des milieux économiques, serait que les progrès sont devenus tellement rapides que le système scolaire se doit de développer des compétences transférables qui permettront à l’individu de s’adapter aux constants bouleversements engendrés par une technologie en perpétuelle mutation.

Avec ce type de discours on en arrive très vite à la conclusion que la somme des connaissances étant devenue exponentielle, il est inutile de les transmettre.

Or Daisy Christodoulou rappelle qu’il faut savoir hiérarchiser les connaissances et que plus une connaissance est ancienne plus elle risque de s’avérer valables dans les années à venir. Elle cite ainsi Larry Sanger, cofondateur de Wikipedia : « …posons-nous la question suivante : qu’est-ce qu’il aurait mieux valu que j’apprenne en 1995, quand j’avais 17 ans : les tenants et les aboutissants de WordPerfect et de BASIC, ou l’histoire américaine ?

La question ne devrait même plus se poser : ce que j’ai appris en histoire va rester inchangé et faire l’objet de peu de corrections. En revanche, il est parfaitement inutile aujourd’hui de connaître WordPerfect ou BASIC »

Et de conclure : « Rien ne vieillit plus vite que l’avant-garde », les défenseurs des compétences font donc fausse route lorsqu’ils invitent à sans cesse se renouveler.

Quant aux recherches sur internet, elles ne pourront jamais remplacer les connaissances puisqu’il faut précisément des connaissances pour hiérarchiser l’information à disposition sur le web.

Il faut enseigner comment apprendre plutôt qu’apprendre des connaissances

Là encore, Daisy Christodoulou démontre qu’apprendre à apprendre est une illusion et que cette idée d’un transfert des  compétences si évidente pour bien des pédagogues n’a aucune réalité. Ce n’est pas parce qu’on a exercé son esprit critique sur les origines de la seconde guerre mondiale qu’on devient capable de le faire pour une partie d’échecs. S’appuyant sur une série d’expériences célèbres, l’auteur va plus loin démontrant qu’aux échecs, comme dans toutes les disciplines, ce sont les connaissances qui font la compétence. Les grands joueurs sont ceux qui, s’étant penchés sur l’histoire des échecs, ont étudié des milliers de position, s’avérant ainsi capables, grâce à cette mémoire du jeu, de battre n’importe quel joueur moyen.

C’est par les projets, les activités que les élèves apprennent le mieux

Avec ce chapitre Daisy Christodoulou remet en cause l’un des dogmes des reformes récentes : la nécessité du décloisonnement et la mise en place de projets interdisciplinaires. On attend ainsi de l’élève qu’il se mette à réfléchir « comme un scientifique ou comme un historien ». Or, comme elle le fait justement remarquer par la suite : ce qui fait la différence entre l’historien, le scientifique et l’élève en apprentissage, c’est le stock de connaissances que les premiers ont assimilé et qui leur permet de juger de la valeur de leurs découvertes.

« Ce dont nous devons prendre conscience, conclut-elle, c’est que le processus d’enseignement par projet a quelque chose de profondément inéquitable. Cela nécessite des connaissances préalables mais ne fait rien pour les enseigner. »

L’auteure s’appuie sur de nombreux exemples qui rappellent les pratiques pédagogiques préconisées dans nos ESPE, qu’il s’agisse de faire peindre des assiettes commémoratives en histoire ou fabriquer des marionnettes pour aborder Roméo et Juliette. Que de temps perdu ! D’autant que les élèves, que ce soit en France ou en Angleterre, ne sont pas exonérés d’évaluations. « Si l’on perd du temps à faire des activités tangentes qui détournent l’attention des élèves, ces derniers finiront par apprendre par cœur – sans doute avec des erreurs – des connaissances et des compétences qui auraient dû leur être enseignées dans un contexte porteur de sens. »

Transmettre des connaissances c’est endoctriner les élèves

Tout un courant pédagogique, bien souvent d’obédience marxiste, invite à tenir pour suspectes des connaissances disciplinaires élitistes qui constituent l’apanage d’une classe sociale (la bourgeoisie) et dont la maîtrise ne vise qu’à reproduire les inégalités sociales. En conséquence, il ne faudrait pas imposer de connaissance extérieures aux élèves mais travailler sur des connaissances et expériences qu’ils ont déjà pour développer leurs facultés.

Or, fait remarquer Mme Christodoulou « Réduire et marginaliser l’enseignement des connaissances  à l’école revient à accentuer les caractéristiques antidémocratiques et inégalitaires de notre société. »

Le but de l’école devrait être de transmettre le patrimoine culturel de l’humanité : « La phrase en anglais, les valeurs de positions en mathématiques, l’énergie en physique… », autant de concepts qui ont permis à l’humanité de progresser.

Les enseigner à tous, c’est donner à tous la possibilité de revendiquer l’héritage de l’humanité, c’est aussi donner à tous les outils qui permettent de s’orienter dans un monde complexe, où la désinformation prend souvent le pas sur l’information. « Les connaissances n’endoctrinent pas, elles libèrent. »

 

Pour tous les professeurs qui n’ont pas renoncé à enseigner, à vouloir transmettre leur discipline et qui se voient parfois stigmatisés par leur hiérarchie, l’ouvrage de Daisy Christodoulou apporte non seulement la confirmation de leurs intuitions mais aussi un réconfort certain. Il n’est pas de compétences sans connaissance. Et c’est bien la connaissance  qui fonde notre humanité, il faut savoir le dire aux élèves que découragent la lecture de Racine ou l’apprentissage du subjonctif. Me reviennent en tête au moment où je rédige cette conclusion les paroles idéalistes de Keating le professeur enthousiaste (un peu trop peut être) du Cercle des poètes disparus « On lit et on écrit de la poésie parce qu’on fait partie de l’humanité et que l’humanité est faite de passions. » Passions qui ne s’arrêtent pas à la poésie mais qui valent pour tous les savoirs et savoir-faire élaborés au cours des siècles par la communauté humaine.

jeudi 3 août 2023

Réforme de l’épreuve de français : quel bilan cet été ?

Peut-on déjà dresser un bilan de la réforme du lycée initiée par Jean-Michel Blanquer, trois ans après sa mise en application ? Témoignage d’un correcteur nuancé sur l’épreuve de lettres de ce nouveau bac qui repose sur des archaïsmes mais autorise aussi un véritable questionnement sur la littérature. 

 Peut-on déjà dresser un bilan de la réforme du lycée initiée par Jean-Michel Blanquer, trois ans après sa mise en application ? Témoignage d’un correcteur nuancé sur l’épreuve de lettres de ce nouveau bac qui repose sur des archaïsmes mais autorise aussi un véritable questionnement sur la littérature. Pour la deuxième année, l’ensemble des épreuves anticipées du baccalauréat ont pu se tenir intégralement. 

Si l’on considère les programmes de français dans leur intégralité, on est frappé par la mise en avant de « L’étude de la langue » qui occupe six pages sur les douze que comportent les instructions officielles. Pourquoi cette irruption de la grammaire dans les programmes de lycée ? Était-ce à dire que le collège n’avait pas fait son travail ? Et qu’il fallait revenir sur des notions (cause et conséquence, concession, etc.) qui n’avaient pas été assimilées dans les classes antérieures ? Sans doute. Dans les faits, d’ailleurs, il faut avouer que bien peu de collégiens parviennent désormais à identifier une subordonnée conjonctive ou à maîtriser la syntaxe de la phrase complexe. La solution aura donc consisté à reporter la maîtrise de ces acquis à la fin de la classe de première. 

 L’idée est-elle judicieuse ? Oui, si l’on considère que la grammaire est un outil d’analyse essentiel à l’auto-correction. Il suffit de demander aux élèves de seconde de poser une problématique pour constater que plus de la moitié d’entre eux ne font pas la différence entre interrogations directe et indirecte. Y consacrer une leçon, proposer des exercices d’expression permet, certes, de régler le problème, mais on peut déplorer que les professeurs de lycée soient désormais obligés de passer par ces remédiations qui prennent un temps qu’on utilisait autrefois à enseigner la littérature.






mercredi 4 mai 2022

Comprendre la littérature de jeunesse : analyses et résonances

Bel objet, ces cours, issus du Mooc de l’université de Liège en Belgique et coédités par les éditions Pastel et L’École des lettres, auscultent les genres majeurs de la littérature de jeunesse, la construction de l’interaction entre les textes et l’image, ainsi que les rapports de l’œuvre littéraire aux nouvelles technologies. Ce qui en fait un outil précieux pour les enseignants.

Bel objet, ces cours, issus du Mooc de l’université de Liège en Belgique et coédités par les éditions Pastel et L’École des lettres, auscultent les genres majeurs de la littérature de jeunesse, la construction de l’interaction entre les textes et l’image, ainsi que les rapports de l’œuvre littéraire aux nouvelles technologies. Ce qui en fait un outil précieux pour les enseignants. 

Plan de l'article

Définition d'un champ détude

Une grammaire de l'album

Les évolutions du roman pour adolescent

Des champs d'exploration nouveaux




mardi 2 février 2021

Interview au sujet d'Orwell, réalisée pour la NRP

Penguin place l’œuvre l’Orwell aujourd’hui tout en haut de la liste de ses bestsellers. Cela vous surprend-il ?

Est-ce qu’on peut vraiment être surpris d’un tel résultat ? Nous vivons une époque extrêmement anxiogène, où les gens qui lisent cherchent des réponses à leurs questions. Avant l’épidémie de la covid il y a eu celle du populisme. Le brexit qui a eu raison de l’union européenne, Erdogan, Bolosnaro, Trump… Qui aurait cru qu’on verrait un jour un président américain inciter ses supporters à s’en prendre au capitole ?

L’épidémie qu’on vit actuellement à conduit les gouvernements à prendre des mesures autoritaires qui posent aussi question sur la politique. Qui sont les penseurs accessibles qui ont réfléchi à ces questions ? Montesquieu, Rousseau, qui sont un peu lointains, Marx dont on se méfie aujourd’hui. Restent des gens comme Camus ou Orwell qui bénéficient du statut de classiques, restent abordables et ont eu le mérite de ne pas céder aux sirènes de l’idéologie.

Orwell plus que Camus encore parce que la politique est l’affaire de sa vie, la matière de son écriture. Je cite dans la préface Pourquoi j’écris, un essai qui montre à quel point Orwell est lucide dans sa pratique de l’écriture : « C’est toujours là où je n’avais pas de visée politique que j’ai écrit des livres sans vie. »

Oui Orwell rentre en collision avec les problématiques de notre temps d’autant que depuis la généralisation d’internet, le monde de 1984 est devenu possible. La Chine de XI jinping n’en semble pas si éloignée que ça. Orwell avec ses analyses politiques, avec ses romans nous donne les clés pour comprendre ce monde.

Quelle lecture de La Ferme des animaux peuvent faire des jeunes d’aujourd’hui pour lesquels la référence au système soviétique est nettement moins présente ? Peut-on justement (faut-il ?) déconnecter le texte de son contexte ?

La première réaction des élèves à qui l’on met la Ferme des animaux entre les mains est une réaction de rejet. Oh un livre de bébé… Le professeur qui veut faire lire la Ferme des animaux est tout de suite obligé de se justifier. Je suis assez reconnaissant aux éditions du Livre de Poche Jeunese car ils ont trouvé une couverture attractive qui va nous faciliter la tâche. Le regard de Napoléon qui embrase le monde est inquiétant à souhait et montre tout de suite qu’on n’a pas affaire à une simple histoire d’animaux.

Faut-il contextualiser ? Il y a deux écoles à ce sujet et personnellement je n’ai pas de religion sur la question. J’ai fait mes études à l’époque où le structuralisme dominait dans les universités, époque où l’on ne se préoccupait peu du contexte où l’on pensait pouvoir démontrer la littérarité d’une œuvre en observant les structures récurrentes, l’architecture savante de l’œuvre. La vulgarisation du structuralisme, les schémas narratifs qu’on n’interprète pas, les schémas actantiels sont un peu dévalorisés. Il n’empêche que, pratiquée avec intelligence, c’est une méthode qui montre quelque chose.

Le schéma narratif selon lequel les cochons dupent les autres animaux est à peu près le même tout au long du livre, simplement les cochons deviennent de plus en plus gros, de plus en plus forts et leurs mensonges se font de plus en plus gros. On peut passer par ce type d’analyse et arriver je pense à dégager la substance de l’œuvre qui vise finalement à dénoncer le mensonge en politique.

Maintenant rapporter le texte à son contexte est évidemment utile, on prend toujours plaisir à faire trouver les parallèles qui existent entre Napoléon et Staline, Boxeur et Stakhanov, Major et Marx, Boule de Neige et Trotsky. C’est utile, je pense qu’il faut ramener cette lecture à l’expérience qu’Orwell a eu de la guerre d’Espagne au désenchantement qui l’accompagne. Simon Leys dans un essai paradoxal qu’il intitulera Orwell ou l’horreur de la politique montre comment Orwell, (je crois que je le raconte aussi dans la préface) a pris conscience de la duplicité des staliniens. Alors que les républicains se replient en Catalogne, les staliniens en profitent pour éliminer les trotskistes, et cette tromperie qui fait l’objet d’un des plus beau livre d’Orwell, Hommage à la Catalogne, explique aussi que l’écrivain ait eu besoin de solder ses comptes avec Staline.

Mais au-delà de Staline, Animal Farm est un livre qui dénonce toutes les formes de mensonges politiques

 Comment êtes-vous venu à la traduction ?

Je ne suis pas traducteur, je suis avant tout professeur de français, j’enseigne à temps plein entre collège et lycée. Mais dans le titre un peu pompeux qu’on nous donne aujourd’hui - il semble plus prestigieux d’être professeur de lettre que professeur de français – bref, dans professeur de lettres, le mot lettres est au pluriel. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca peut renvoyer à la tradition des lettres classiques mais je crois plus volontiers que lorsqu’on est professeur de lettres modernes on est professeur de littératures au pluriel. On est amené à montrer que la littérature française n’est pas une littérature qui s’est épanouie seule dans son coin. L’Italie au XVIe, l’Allemagne fin XVIIIe, l’Angleterre avec les influences de Shakespeare et de Walter Scott sur le romantisme ont joué un rôle fondamental dans la construction de l’édifice.

J’ai envie de dire que c’est l’amour de la littérature qui m’a conduit à la traduction. J’avais réalisé plusieurs classiques pour l’école des loisirs, les Fables de Florian, les Contes d’Hoffmann et j’ai eu envie de faire une édition du Peter Pan de James barrie, un livre formidable, plein de fantaisie, d’invention. Un livre sombre aussi, trop mésestimée. Bref !  L’école des loisirs n’avait les droits d’aucune traduction, j’ai relu le livre en anglais et je me suis lancé.

Que vous apporte, à titre personnel, la pratique de la traduction ? Quelle peut-être la richesse pédagogique de cet exercice pour des élèves qui le pratiqueraient régulièrement ?

A titre personnel, je prends la traduction comme un défi. Je connais des traducteurs qui travaillent pour l’industrie et traduisent des notices, j’en ai connu d’autres qui travaillaient à la traduction de roman sentimentaux. Ils font tous un travail utile mais en ce qui me concerne et comme ce n’est pas mon travail je peux et je n’ai d’ailleurs l’envie de traduire que des textes littéraire, or évidemment traduire un texte littéraire est un défi. Un défi qu’il faut aborder humblement car traduire un génie dans toutes les dimensions qu’il a su imprimer à son œuvre est impossible. 

 Traduttore, traditore, c’est bien connu. Et c’est juste. Je m’y suis essayé avec la poésie d’Emily Brontë, mais elle y perd évidemment une grande partie de sa saveur, les jeux de sonorités notamment si essentiels à la poésie. La traduction curieusement me replonge au cœur de mon métier de professeur de lettres, et traduire un texte littéraire c’est chercher à restituer cette littérarité du texte. Ce surcroît de plaisir esthétique dont parle Freud qui nous amène à goûter particulièrement les œuvres littéraires. Quant à la richesse de l’exercice pour des élèves amenés à le pratiquer; je ne saurais trop vous répondre, n’étant pas professeur d’anglais. 

C’est un exercice évidemment éminemment formateur en ce qu’il oblige à comprendre la langue mais aussi l’intentionnalité d’un discours et à le passer dans sa langue. L’exercice a aussi évidemment le mérite de conduire celui qui le pratique à s’interroger sur les ressources que lui offre sa propre langue, la grammaire, les sonorités.

Les élèves de 1re et Tle qui suivent la spé Anglais ont de l’ « initiation à la traduction ». Quelles vous semblent les principales difficultés de la traduction de l’anglais au français ? Pourriez-vous donner quelques exemples de ce qui « résiste » à la traduction ?

Anglais / français ? Le français est la langue de Descartes, c’est une langue qui s’organise au XVIIe siècle et qui se veut rationnelle, l’anglais est la langue de Shakespeare qui peut-être s’attache moins à décrire la réalité comme quelque chose de fixe. C’est aussi une langue accentuée qui convient particulièrement à la poésie, à l’expression du sentiment et des impressions. Le verbe anglais supporte tout un tas de postpositions qui vont permettre d’en nuancer le sens. J’ai envie de dire que les principaux écueils sont là : comment rendre cette rythmique de la langue et ces nuances ?

Je pense à la première phrase du roman, par exemple qui évoque M. Jones rentrant chez lui complètement saoul. La rythmique da la phrase est incohérente et retranscrit bien l’ivresse de M. Jones, il est difficile de faire la même chose en français, je me suis amusé à jouer avec les sons pour obtenir une allitération en p qui donne un peu le même effet.

J’ai dû faire quelque chose  d’assez semblables avec le moment ou Napoléon fait intervenir ses chiens : il se produit un barouf épouvantable qui tétanise toute le monde, là aussi j’ai compensé le manque d’accentuation du français par des allitérations en k et en r pour montrer la férocité des chiens.

Mais fondamentalement, je crois avec Bachelard que la traduction est un exercice essentiel qui nous ouvre des portes sur les autres cultures, et que l’essentiel est dans la restitution de l’imaginaire !

Sans se référer nécessairement aux programmes, quelle place aimez-vous donner aux littératures étrangères, et en particulière à la littérature anglaise dans les cours de français ?

En 2017 j’ai écrit un plaidoyer pour une ouverture sur la littérature européenne, « Pour des programmes ouverts sur la littérature européenne » (dans L’école des lettres), j’y expliquai que nous sommes terriblement centrés, au lycée,  sur la culture française, c’est sans doute dû à notre sempiternel exercice de l’explication de texte, qui exige une analyse du lien fond forme pour aller vite. La spécialité littérature philo a partiellement comblé mes vœux. J’ai la chance de l’enseigner actuellement. Nous avons travaillé sur les nouvelles de Poe pour aborder la question des limites du moi et la critique psychanalytique. Actuellement nous commençons l’étude des Robots, et il n’est pas rare que je donne les textes en anglais et en français.

J’ai coutume de dire à mes élèves que la littérature est une langue universelle je ne voyais d’ailleurs aucun inconvénient, à l’époque où les professeurs de français de 1ère pouvaient choisir leurs œuvres à faire étudier à mes élèves des pièces de Shakespeare ou à introduire dans un groupement de textes un extrait de Goethe, de Byron ou de Mary Shelley.

Au collège, je trouve que la traduction rend justement plus facile la prise en main des classique, Shakespeare marche mieux que Corneille en 4e

Avez-vous déjà essayé de travailler avec des professeurs de langue ?

Oui, la littérature nous conduit sur des terrains communs en terminale, je le disais tout à l’heure.

Et  en collège, j’ai déjà emmené mes élèves sur les traces de Daphné du Maurier ou d’Agatha Christie en Cornouailles, de Shakespeare dans les Costwolds. Il est plus facile en collège de monter des projets interdisciplinaires qu’en lycée. J’aime bien emmener les élèves sur les lieux qui ont inspiré leurs auteurs. Si on se promène sur les collines de Haworth ou a vécu Emily Brontë on comprend l’âpreté de Wuthering Heights.

Si vous deviez conseiller des œuvres de littérature anglaise à des collégiens et des lycéens, que leur conseilleriez-vous ?

Les grands romans d’aventure sont ango-saxons : on pense à Stevenson bien sûr, mais aussi  à Jack London, à Kipling, ou à Falkner qui peuvent fournir des œuvres particulièrement intéressantes pour des élèves de 5e. Les romans du XIxe peuvent s’avérer passionnants j’ai une affection particulière pour les sœurs Brontë auxquelles j’ai consacré un essai biographique. Je trouve que Jane Eyre ou Agnes Grey sont des œuvres magnifiques  pour montrer l’émergence de valeurs féministes au XIXe.

Jack London et Le Peuple de l’Abîme peuvent donner une magnifique leçon de journalisme engagé à des 4e.

Stevenson, Wilde, ou Dickens sont excellents pour aborder le fantastique.

Au lycée Jane Austen rencontre souvent un franc succès chez les jeunes filles. Les romanciers américains, Steinbeck, Hammett, Hemingway, Eskirne Caldwell, Carson Mc Cullers sont parfaits pour aborder le réalisme. La science fiction intéresse souvent les jeunes et les contre utopie d’Huxley, d’Orwell  d’Ira Levin sont de grands textes littéraires.  Il y a une multitude de choix…

vendredi 27 juillet 2018

"La Guerre de Catherine" de Julia Billet

La Guerre de Catherine, roman de Julia Billet, paru à l’école des loisirs en 2012, est un roman fort, adroitement construit et dont l’intrigue, basée sur des faits réels, conduira les adolescents d’aujourd’hui à prendre conscience de ce qu’était la France occupée. Il y eut certes des « justes », mais il y avait aussi les autres. Julia Billet ne les met, ces autres, que très peu en scène, est-il besoin de le faire ? Leurs interventions glaçantes, l’effroi qu’ils suscitent chez ceux qui ont choisi le camp de la justice suffisent à faire ressentir au lecteur, la malédiction d’une époque. 
Comment des gens ordinaires, des voisins souriants, ont-ils pu s’abaisser à devenir des bourreaux ou de lâches délateurs par opportunisme ? Le livre n’apporte pas de réponse, c’est l’action des justes qu’il donne à voir. Mais le mal est à l’œuvre, insidieux, obstiné. La Guerre de Catherine apparaît comme une sorte d’odyssée dont les étapes sont autant de séjours chez des justes, qui tous prennent des risques pour sauver la vie d’enfants juifs qu’ils savent en grand danger. Le livre achevé et refermé, c’est d’abord le portrait de ces justes qui subsiste dans la mémoire du lecteur.

jeudi 25 janvier 2018

Et si le métier d'enseignant consistait à transmettre des savoirs?!

Aux collègues, qui sans doute comme moi, finissent par être un peu agacés par le prêchi-prêcha de certains inspecteurs et autres pédagogues, lesquels ne fréquentent nos classes que de façons occasionnelles, j’aimerais apporter quelques références tout aussi scientifiques que celles qui sous-tendent les pratiques de classes inversées, classes en îlots, et autres activités qui visent à mettre l’enseignant en posture d’observateur bienveillant. 
Si ces pratiques peuvent constituer une diversion bienvenue, elles ne sauraient fournir un enseignement structuré qui permette à l’élève de se forger une culture. On me rétorquera évidemment que la biographie de Chateaubriand se trouve désormais partout en ligne et qu’il n’est nul besoin que je la raconte à mes élèves. A quoi je répondrai : "Je doute fort que Killian utilise jamais son portable pour savoir qui était Chateaubriand", et le fastidieux condensé qu’il trouvera sur Wikipedia ne vaudra jamais l’histoire que je pourrais lui raconter si j’y mets un peu de cœur et de passion". "Si Peau d'âne m'était conté, nous rappelle par ailleurs malicieusement La Fontaine, / J'y prendrais un plaisir extrême,/ Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant, et l’amuser par des histoires."(1)
Dans Sept mythes sur l’éducation, ouvrage à paraître en mars prochain (2), Daisy Chritodoulou, spécialiste de l’éducation au Royaume-Uni démontre que le plus grand mythe contemporain au sujet de l’éducation est celui qui consiste à croire que la connaissance n’a plus d’importance. Dans une interview accordée au Figaro, il y a un peu plus d’un an, elle disait ceci : "La science n'est pas du côté des pédagogues progressistes. La recherche menée ces cinquante dernières années par la psychologie cognitive montre bien combien nous dépendons du savoir stocké dans la mémoire longue pour tous nos procédés mentaux." (3) 
Ce qu’elle appelle la "mémoire de travail", celle qui sert à aborder l'information nouvelle et l'environnement immédiat, "est très limitée. Il est donc important "de savoir "par cœur" des choses, même si elles n'ont pas une utilité immédiate." Et elle poursuit, un peu comme je le faisais à propos de Châteaubriand: "Ainsi, même si tout le monde dispose désormais de calculatrices, il est indispensable de connaître ses tables de multiplications par cœur. Car après vous serez capable de résoudre des problèmes plus complexes sans avoir à utiliser l'espace limité et précieux de la mémoire de travail pour calculer les tables de multiplication.
De la même façon, cette chère Daisy démonte les pédagogies qui se targuent de mettre l’enfant au coeur des apprentissages "Le problème avec les approches qui mettent l'enfant au centre de l'apprentissage, c'est que les enfants sont vite désorientés, ne comprennent pas les concepts fondamentaux et perdent du temps dans des digressions secondaires.» La digression est aussi le problème qui guette la pratique si à la mode des îlots. L’absurdité est portée à son comble quand le professeur de langue fait dialoguer entre eux des élèves qui n’ont pas un minimum de compétences linguistiques pour poser un échange construit, fructueux ou tout simplement acceptable (au sens linguistique du terme).
Pour ceux qui trouverait mes propos réactionnaires ou qui craignent de s’élever contre l’effet de mode, qu’ils sachent qu’il existe une associations : l’APPEx(4) (Association pour la pédagogie explicite) qui milite, dans les écoles – mais ce qui vaut pour l’école vaut pour le collège ‑, pour la
transmission de savoirs clairement énoncés (teaching) et mis en pratique (learning). Un syndicat, le SNALC,(5) ouvert aux enseignants du privé, met aussi au cœur de ses préoccupation la transmission d’un enseignement de qualité centré sur les savoirs. A tous ceux qui sentent de grands moments de solitudes lorsque, en réunion, tout le monde approuve ou feint d’approuver les exhortations à cesser une "pédagogie frontale dépassée", sachez qu’elle n’est pas aussi dépassée qu’on veut nous le faire croire. Nous n’avons pas passé des années à devenir des experts dans notre discipline, des heures à préparer nos cours, réfléchir nos progressions, pour être transformés en GO de Clubs Med. Nous avons à transmettre les mathématiques, l’histoire, l’anglais, la littérature… tout ce qui permet à l’enfant/adolescent de se constituer en être humain doué de culture et de passion.

1. La Fontaine, "Le Pouvoir des fables", Fables,1668.
2. Daisy Christodoulou, Sept mythes sur l'éducation, La Librairie des écoles, mi-mars, 2018.
3. http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/05/29/31003-20150529ARTFIG00340-ecole-l-idee-que-le-savoir-n-a-plus-d-importance-est-le-plus-grand-mythe-des-pedagogues.php
4. http://www.3evoie.org/, voir aussi : https://laclassedemallory.net/2017/05/01/la-pedagogie-explicite-kesako/
5. https://www.snalc.fr/national/menu/333/page/1/page/1/




jeudi 5 octobre 2017

Pour des programmes ouverts sur la littérature européenne

La littérature européenne, 
un secteur encore marginal 
Pascal Caglar posait il y a peu, dans le numéro de rentrée, la question de savoir quelle la place il convient de donner à la littérature européenne dans les programmes, s’appuyant sur une recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui considère la littérature européenne comme "un instrument incontournable de la consolidation d’une conscience européenne.
Il s’interrogeait avec pertinence sur la manière d’aborder le fait littéraire européen dans nos enseignements et montrait comment les programmes autorisent une ouverture sur la littérature européenne, tout en se demandant s’il était pertinent d’envisager un tel enseignement. 
On constatera avec lui que la place accordée à la littérature européenne dans les programmes est un possible. Une vitualité souvent altérée par des recommandations qui restreignent la possibilité de s’y référer. Quand, il est recommandé en cinquième d’border l’objet d’étude "Avec autrui : familles, amis, réseaux" par une comédie du XVIIe siècle, on voit mal qui d’autre que Molière pourra venir illustrer la thématique. Est-ce qu’une bonne adaptation du Conte d’hiver ou une comédie de Térence n’aurait pas les mêmes vertus ? Quand, dans les programmes de quatrième, il est recommandé d’aborder le thème «regarder le monde, inventer des mondes » par un roman ou des nouvelles réalistes, les manuels se remplissent de Zola et Maupassant oubliant que Tchékov, Thomas Hardy, ou l’Irlandais John Moore pourraient avec pertinence enrichir de leurs regards sur le monde le jeune lecteur français.
http://actualites.ecoledeslettres.fr/litteratures/litterature-europeenne/

mardi 11 juillet 2017

Nouveau brevet, quand la compétence se fait note

La plupart des établissements de France et de Navarre n’ont pas abandonné, malgré la forte pression du ministère, les notes. La plupart des professeurs de France et de Navarre se trouvent donc condamnés à la double tâche d’évaluer leurs élèves par des notes et par des compétences. Le nouveau brevet a parfaitement acté cette situation puisqu’il invite à évaluer les élèves à la fois par un système de validation des compétences, elle mêmes transformées par le miracle des conseils de classes – et les rectifications opérées par la hiérarchie – en… notes.

http://actualites.ecoledeslettres.fr/education/nouveau-brevet-competence-se-note/

vendredi 7 juillet 2017

Collège 2017, le retour du bon sens?

La réforme des collèges a-t-elle vécu ? Il semblerait que ce soit le cas et les collègues qui s’en plaignent ne devraient pas être pléthore. La réduction des EPI est une bonne nouvelle, elle a engendré des heures de concertations stériles, des projets qui n’ont enthousiasmé que leurs initiateurs et se sont achevés dans une indifférence générale révélatrice. http://actualites.ecoledeslettres.fr/education/college-2017-retour-sens/

vendredi 17 mars 2017

Les "Belles" des cours de récéréation

La Belle et la bête, la dernière production Disney, avec Emma Watson dans le rôle titre, est un remake du dessin animé de 1991. Belle y était déjà une jeune femme un peu marginale mais volontaire, intelligente et courageuse. Emma Watson auréolée des exploits d'Hermione Granger vient encore renforcer cette détermination dans la différence.
Le personnage me fait penser à certaines de ces élèves qu'on rencontre dans nos classes, des jeunes filles souvent brillantes, qui aiment la lecture et ne se soucient que très peu des codes de la meute adolescentes. Elles vont leur chemin, en marge, un peu effrayées probablement, par cette course à une maturité sexuelle, qui n'est d'ailleurs bien souvent que bluff et hâblerie dans les cours de récréation.
Quelque chose en elles désire le vrai, la bête les effraie, comme elle effraie tout le monde. Mais elles veulent prendre le temps de reconnaître l'humain derrière l'animal. Elles sont souvent graves et ne jouent pas, elles s'apprêtent juste à réussir leur vie...

samedi 28 mai 2016

Elaborer une progression en terminale L

L'existence d'un programme national, la réduction des horaires à deux heures et des programmes à deux domaines d'étude, la nécessaire préparation des épreuves du bac occultent souvent la possibilité de construire l'enseignement de littérature selon une progression réfléchie et cohérente qui tiennent compte des spécificités de l’année de terminale. La réforme appliquée en 2012, tout en diminuant le nombre et la nature des domaines d’étude a maintenu un coefficient 4 à la discipline – le coefficient est le même que celui attribué à l’histoire géographie –  lui conférant une importance qui bien souvent justifie la tentation du bachotage. La plupart du temps les deux œuvres au programme sont abordées successivement par le professeur qui grosso modo passe un peu plus de quatre mois sur la première et consacre autant de temps à la seconde. Rappelons que les IO invitent à « diversifier les situations d'expression écrite et orale, sans se limiter à celles qui permettront d'évaluer les élèves à l'examen de fin d'année » et qu’elles incitent le professeur à introduire dans son enseignement des méthodes et des contenus utiles aux formations post-bac.
Nous proposons ici un exemple de progression annuelle qui vise à briser la routine des deux séquences centrées chacune sur une œuvre et à diversifier les approches pour l'année à venir, nous expliciterons ensuite brièvement les raisons de nos choix.

Séquence 1 : Introduction aux études littéraires (3 à 4 h.)
Objectifs : définir le texte littéraire, situer les approches critiques qui peuvent en être réalisées.
Séquence 2 : Lire Madame Bovary
(14 à 15 h.)
Objectifs : connaître la genèse de Madame Bovary, lire le roman et en apprécier les enjeux littéraires, s'initier aux épreuves du baccalauréat.
Séquence 3 : Situer les œuvres au programme dans leurs contextes littéraires. (7 à 8 h.)
Objectifs: réaliser un exposé oral sur les auteurs et notions esthétiques, école artistiques et/ou littéraires susceptibles d'éclairer le projet et la dimension esthétiques des œuvres. Prendre des notes.
Séquence 4 : Lire Oedipe Roi
(9 à 10h.)
Objectifs : lire la pièce de Sophocle, comprendre ses enjeux esthétiques et idéologiques en fonction du contexte de sa production. S'entraîner à l'écrit du bac.
Séquence 5 : La réception d'une œuvre dérangeante. (7 à 8 h.)
Objectifs : appréhender la dimension scandaleuse de l’œuvre de Flaubert, reconstituer le procès intenté par le ministère public. S'initier à la synthèse de texte.
Séquence 6 : De la tragédie au film à
(12 à 13 h.)
Objectifs : s'initier au langage cinématographique, analyser la lecture que fait Pasolini de la tragédie antique. Interroger les choix mis en œuvre dans le processus d'adaptation.
Séquence 7 : Les objets d'études et leur intérêt sur le plan littéraire. (5 à 6h)
Objectifs : élargir la réflexion suscitée par les domaines d’études en s’appuyant sur d’autres exemples relevant des champs littéraire ou cinématographique patrimoniaux.



Réforme, la promotion du vide

Le véritable débat sur la réforme des collèges aura-t-il lieu ? Ou serons-nous, une fois de plus obligés d'accorder crédit à ces discours, dits scientifiques et qui assurent que l'élève apprend mieux seul ou en collaboration avec ses congénères qu'avec un professeur. 
Le problème est bien aujourd’hui de savoir comment faire accéder le plus grand nombre à la culture. Et contrairement aux idées reçues, aux modes pédagogiques – car il y a des modes en pédagogie, nous sommes par exemple actuellement dans l’ère de la collaboration - elle même née de la fascination pour les outils numériques - : priorité donc aux travaux de groupes, à la performance collective. Ce ne sont hélas pas quelques heures de travaux de groupes interdisciplinaires qui donneront à l'élève en difficulté des chances accrues de réussite.
C’est à nous professeurs, en tant qu’individus forts d’une expérience, d’une passion, de faire admettre, comprendre et si possible apprécier, la valeur de ce que nous enseignons. Chaque discipline est porteuse de points de repères essentiels pour la culture et la formation d’un être humain. Il faut savoir le rappeler. L’histoire nous donne le sens de la collectivité et du devenir  humains, une appréhension de la notion de progrès, le français peut procurer le sens de l’expression juste et précise, les bases de l’esthétique, faire accéder à la subtilité du texte littéraire, les maths confrontent à la logique et à l’abstraction, les langues apprennent à communiquer différemment mais aussi à voir le monde autrement.
Ce sont ces valeurs, ces directions inhérentes à chaque discipline qu’il convient de manifester. Il est des réformes – et celle qui est en cours en fait partie – qui semblent dire aux professeurs : « Vous ne connaissez pas votre métier, vous ne savez pas transmettre, il faut faire autrement. Vous ne savez pas intéresser vos élèves, il faut qu’ils soient actifs, productifs entre eux, effacez-vous, laissez-les faire… »
L’empereur Hadrien selon Marguerite Yourcenar disait fort bien entrevoir une société où il n’y aurait peut-être plus d’esclaves mais où l’esclavage prendrait la forme plus insidieuse du divertissement. Une société où les hommes seraient esclaves de leurs divertissements. Nous y sommes. Ce qui distingue aujourd’hui les élèves qui réussissent de ceux qui échouent, c’est que bien souvent ils ont été éduqués, soutenus par des familles qui elles-mêmes savent, la valeur et les conditions de l’effort intellectuel. Ceux qui échouent sont bien souvent livrés seuls aux divertissements innombrables que notre société de consommation a imaginés.
L’école peut-elle compenser ces différences de milieux familiaux ? C’est possible mais il nous faut sortir de cet univers carnavalesque qui fait croire à l’inversion des valeurs. Et ce n’est pas une réforme qui préconise le travail de groupe et l’interdisciplinarité, sous couverts de travaux en sciences de l’éducation irréfutables (et par là-même suspects) qui changera quoi que ce soit.
Il faut que Mateo sache qu’il ne trouvera pas la liberté livré seul à facebook ou aux émissions de télé-réalité qu’il peut voir et revoir sur les écrans de sa chambre. Il faut qu’il apprenne qu’intello n’est pas une insulte, mais un beau mot – dans sa forme complète, en tout cas ‑ qui renvoie à l’une des plus nobles facultés de l’être humain.
Éduquer n’est pas le seul fait de l’école, l’éducation résulte d’un consensus, d’une convention qui engage toutes les parties de la société. Or s’il est bien un élément consensuel dans notre société, c’est le « bien des enfants ». Mais ce bien passe-t-il par la consommation effrénée des gadgets, par la transformation de nos bambins en geeks ou supporters de Nabila ? Le consensus, s’il existait, devrait porter sur la valorisation de l’effort.
Et ce que je reprocherais à la philosophie de cette reforme c’est de faire passer l’effort au second plan. D'accorder la priorité, pour ce qui concerne le français par exemple, à l’expression orale. C’est bien l’oral, mais encore faut-il avoir quelque chose à dire ! Je lui reprocherais également de minimiser le recours au patrimoine littéraire – j’aime la littérature pour la jeunesse mais il me semble qu’un projet de programme qui concerne la nation ne devrait pas placer sur le même plan, tel roman historique d’un auteur de littérature jeunesse à la mode et Victor Hugo. Je lui reproche enfin de reléguer la grammaire : sous le couvert d’éviter « l’inflation terminologique », on verra donc encore dans les ESPE, comme anciennement dans les IUFM, des formateurs considérer que le mot « conjonction » est un gros mot.
Le programme précédent qui n’était pas sans défaut avait focalisé – un peu trop peut-être – l’attention des professeurs sur la grammaire. Non sans raison malgré tout. Car combien d’élèves aujourd’hui sont à même, en seconde, de lire une pièce de Racine, une fable de La Fontaine, un conte de Voltaire ? Qui enseigne dans un lycée non sélectif est amené à faire ce constat au quotidien. Lisons le texte avec la classe, déplaçons les pronoms ou les adverbes et le texte classique se fait lisible. L’élève qui n’a pas été habitué à jouer avec la grammaire par le biais d’exercices un peu fastidieux n’accèdera jamais à ces textes. Il lui manquera aussi au lycée un outil d’analyse fondamental pour la relecture de ses propres écrits, pour le commentaire des textes littéraires, pour l’apprentissage des autres langues.

Alors réformer, pourquoi pas ? Mais réformons en valorisant le sens de l’effort et en prenant appui sur l’expérience des professeurs qui sont une fois de plus dépités de constater en quelle estime est tenu leur savoir-faire. Je consacrerai peut-être un jour une chronique à décrire les absurdités qu'on s'ingénie à inculquer aux professeurs stagiaires, d'absurdes détours qui n'ont qu'une fonction : déconsidérer les savoirs pour promouvoir un enseignement du vide. Edifiant!

mercredi 11 février 2015

Pour un enseignement des sciences humaines au collège

Notre système scolaire est vieux, où du moins il fonctionne sur des bases anciennes qui au fond tiennent peu compte de l'évolution des savoirs.
Les événements malheureux et récents qui ont créé un mouvement d'union nationale ont aussi suscité des réflexes de pensée, en gros, face à l'adversité et au terrorisme il faut
- apprendre la Marseillaise
- plus de discipline
- plus de mixité sociale
- plus de français (la discipline)
Les deux derniers points ne sont guère contestables, surtout lorsque l'on voit à quelle peau de chagrin s'est réduit l'enseignement du français, ces vingt dernières années.
Je crois malgré tout qu'il manque dans notre enseignement une discipline qui permette à nos élèves de se placer en situation d'empathie. Notre ministre remet l'accent sur la lutte contre le harcèlement à l'école et c'est très bien. Harcèlement, fanatisme procèdent d'une incapacité à considérer l'autre comme un autre soi-même.
Quelles sont les disciplines qui nous permettent de comprendre l'autre ? Psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, linguistique. Il ne s'agit pas d'asséner deux heures supplémentaires de cours mais de procéder à un enseignement vivant qui, fort des théories, découvertes effectuées dans ces domaines permettent de comprendre, ressentir, admettre la différence.
On peut expliquer en classe le phénomène du bouc émissaire, on peut faire éprouver par des jeux de rôles le poids de l'inconscient dans les relations humaines et parvenir à faire admettre que certaines relations, certains comportement sont toxiques. Un collégien peut interroger le langage, la religion, la différence des sexes, le rôle de l'art ...
Térence et son "rien de ce qui est humain ne m'est étranger" sont toujours d'actualité. Nous avons désormais plus d'outils pour cerner l'humanité, faisons en sorte qu'ils servent.

mardi 23 décembre 2014

Pour les classiques abrégés

J'aime le classique abrégé

1/ Parce que c'est un livre.

Les professeurs sont d'éternels inquiets : il s'inquiètent de savoir comment faire aimer leur matière de prédilection à leurs élèves qui, souvent pressés d'en finir avec la corvée littéraire tri ou quadri annuelle, s'empressent de chercher sur internet Le résumé qui leur permettra d'éviter la lecture du pensum. Je pense que plus personne aujourd'hui ne donne à lire les 1662 pages de l'héroïque édition Pocket des Misérables - il n'empêche que sa simple existence titille sûrement le lecteur aguerri qui connaît tout des Misérables sans les avoir jamais lu, d'où sa nécessité.
Non, le professeur a la choix entre la collection d'extraits (Larousse par exemple) et le "classique abrégé" (L'École des loisirs ou Le Livre de Poche). L'immense avantage du classique abrégé c'est qu'il fait oublier la dimension scolaire de l'exercice. L'élève n'a pas un livre avec des pages dont les lignes sont numérotés, des questions qui lui rappellent sa fastidieuse condition de cancre ou son honorable (quoique) position de "bon élève".

2/ Parce que c'est un livre d'auteur

Comparons! Il s'agit de L'Homme qui rit, chapitre 1 du livre III :

La tempête n’était pas moins intense sur terre que sur mer. 
Le même déchaînement farouche s’était fait autour de l’enfant abandonné. Le faible et l’innocent deviennent ce qu’ils peuvent dans la dépense de colère inconsciente que font les forces aveugles ; l’ombre ne discerne pas, et les choses n’ont point les clémences qu’on leur suppose. 
Il y avait sur terre très peu de vent ; le froid avait on ne sait quoi d’immobile. Aucun grêlon. L’épaisseur de la neige tombante était épouvantable. 
Les grêlons frappent, harcèlent, meurtrissent, assourdissent, écrasent ; les flocons sont pires. Le flocon, inexorable et doux, fait son œuvre en silence. Si on le touche, il fond. Il est pur comme l’hypocrite est candide. C’est par des blancheurs lentement superposées que le flocon arrive à l’avalanche et le fourbe au crime. 
L’enfant avait continué d’avancer dans le brouillard. Le brouillard est un obstacle mou; de là des périls; il cède et persiste; le brouillard, comme la neige, est plein de trahison. L’enfant, étrange lutteur au milieu de tous ces risques, avait réussi à atteindre le bas de la descente, et s’était engagé dans le Chess-Hill. Il était, sans le savoir, sur un isthme, ayant des deux côtés l’océan, et ne pouvant faire fausse route, dans cette brume, dans cette neige et dans cette nuit, sans tomber, à droite dans l’eau profonde du golfe, à gauche dans la vague violente de la haute mer. Il marchait, ignorant, entre deux abîmes.

La version abrégée par Boris Moissard pour l'école des loisirs:
La tempête n’était pas moins intense sur terre que sur mer. Le même déchaînement farouche s’était fait autour de l’enfant abandonné. 
L’enfant, étrange lutteur au milieu de tous ces risques, avait réussi à atteindre le bas de la descente, et s’était engagé dans le Chess-Hill. Il était, sans le savoir, sur un isthme, ayant des deux côtés l’océan, Il marchait, ignorant, entre deux abîmes.

On ne niera pas : Victor Hugo ne sort pas enrichit de l'épreuve. Mais sa phrase demeure, l'image résiste, le pathétique se maintient. Les 830 pages de ce fabuleux roman sont inaccessibles à l'élève moyen de quatrième, la version de Boris Moissard offre au moins l'occasion de tenter le pari, qui de toute façon n'est pas gagné.
Ce qui subsiste c'est la "sensation" de Victor Hugo, quelque chose qui relève de l'esthétique, j'utilise le mot comme l'utilise Jean Cohen dans Structure du langage poétique pour évoquer la "sensation de poésie". Et c'est sur cette "sensation" que je peux m'appuyer pour aborder la notion de "littérarité" au collège.

3/ Parce que je crois en la nécessité de faire lire les classiques ...

mais qu'à l'impossible nul n'est tenu. Obtenir le lecture d'un classique abrégé c'est obtenir une immersion dans la culture. Les classiques, mêmes abrégés, résistent à nos collégiens. Il faut faire l'épreuve de cette résistance et en sortir victorieux.
Nous n'avons pas vocation, nous, professeurs de français à faire aimer la lecture. Voilà pour beaucoup de parents d'élèves un paradoxe.
Non nous avons pour mission de d'initier au monde de la littérature, il se peut que les habitudes de lectures qu'aura développées le lecteur compulsif de sagas d'heroïc fantasy l'aident un peu à entrer dans l'Odyssée ou dans Jules Verne. Mais cette lecture, là, lecture plaisir, lecture de l'oubli ne nous aide finalement que très peu puisque précisément le texte littéraire est un texte qui nous tient en éveil.
Et comme une règle de grammaire anglaise, un théorème de géométrie ou une déclinaison latine, l'appropriation d'une oeuvre littéraire demande un effort.
La littérature jeunesse a toute sa place au collège, elle ouvre des pistes, introduit des thématiques et des formes littéraires. Elle peut se faire seule. Dans ce monument qu'est l'Homme qui rit, l'élève a besoin d'un guide.

dimanche 23 novembre 2014

A propos des notes

Les notes sont donc à proscrire, on leur reproche d'être violentes, d'instaurer des classements, d'être subjectives... J'ai dû - pas vraiment volontairement - classer les dits reproches par ordre d'importance.

Violentes, il y aurait une violence du système scolaire. Le système scolaire est un système, il a donc ses lois, comme la société. Enlever des points sur un permis de conduire, c'est une violence, exiger d'un employé qu'il soit à l'heure au travail, c'est une violence... C'est à l'enseignant de renseigner l'élève sur la valeur de sa note, qui premièrement vient évaluer une production, pas l'élève lui même mais ce qu'il a fait. Il vaut d'ailleurs mieux évaluer une production qu'une compétence - ce qui ne veut rien dire, j'y reviendrai plus tard - et il n'y a rien de vraiment dramatique à avoir (non pas être) un zéro en orthographe. Moi qui ai eu cette note de façon constante pendant des années, je m'en suis remis. Les notes ne sont pas une violence, elle sont un mode de fonctionnement qu'il faut savoir dédramatiser, si tant est qu'il le soit.

Les classements : il s'agit moins de classer que de différencier. Le problème du système scolaire, c'est qu'il est scolaire, c'est à dire qu'il porte sur des disciplines scolaires pour lesquelles tout le monde n'a pas une grande affection. Il y a certainement à repenser son organisation. ce serait effectivement bien de valoriser, à l'école les élèves qui n'ont pas ces affinités avec les maths ou le français. on conviendra toutefois que ce système n'est pas complètement idiot puisque sans ces deux disciplines, on a du mal à pouvoir aborder les autres mais rien n'interdit de diversifier le champ des disciplines et d'introduire sous forme optionnelle des pratiques plus concrètes, c'est un choix sociétal, l'issue d'une réflexion qui devrait engager tous les acteurs du système éducatif. Mais quand je mets 6/20 à une expression écrite de troisième, je n'ai pas pour intention d'écarter l'élève de l'enseignement général, s'il le désire. Je l'alerte, nous avons ensemble du travail à faire pour que son désir prenne corps et réalité.

Subjectivité : bien sûr. C'est sans doute le reproche le plus fondé et je sais depuis toujours que je suis capable de noter 6 une copie que je noterais 8 si on me demandait de la recorriger deux mois plus tard. Je sais ce qu'est la docimologie. Je constate par ailleurs que de bons élèves - qui sont relativement bien notés - sont incapables d'affronter les rigueurs d'une première année de médecine et que des élèves que le système a mal notés franchissent ce cap sans problème. Mystères de la psyché humaine que les sciences cognitives, humaines et autres n'éclaireront jamais. Parce que la détermination, la volonté de réussir procèdent de l'intime. Parce que dans la subjectivité réside notre liberté. Et qu'au fond être subjectif c'est être imparfait mais compétent. Demandez à un robot de corriger une expression écrite.  


mercredi 26 septembre 2012

"L'Enfant et le savoir" de M. Menès

Avec L’Enfant et le savoir, Martine Menès, s’interroge pertinemment sur le concept de « rapport au savoir ». 
À la fois objet et processus, le « rapport au savoir » se voit défini comme « l’ensemble des relations affectives, cognitives, psychiques, pratiques que le sujet confronté à la nécessité d’apprendre entretient avec les objets de la connaissance du monde qui l’environne ». 
Cette définition posée, on comprend aisément, le rôle du désir dans les processus d’apprentissage : « Pas de savoir sans désir », fait remarquer la psychanalyste. 
L’essai va dès lors recenser les obstacles qui entravent les processus d’acquisition du savoir, parasités par des motifs refoulés, transmis parfois d’inconscient à inconscient. Martine Menès appuie sa démonstration sur des exposés de cas cliniques concrets mais aussi sur des exemples littéraires (Duras, Grimbert, Barbery…) qui pondèrent agréablement la réflexion psychanalytique. 

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