Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.
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jeudi 16 janvier 2025

Audace et préjugés d'Alexis Karlins-Marchat

Jane Austen, Charlotte Brontë, Virginia Woolf, quatre oeuvres clés de la littérature qui sont autant d'étapes dans l'affirmation d'une pensée féministe, c'est ce que montre Alexis Karklins Marchat qui éclaire de façon particulièrement judicieuse ce parcours au coeur de la littérature anglaise. (article disponible en accès libre sur le site de l'école des l'École des lettres :

https://www.ecoledeslettres.fr/audace-prejuges-relecture-de-chefs-doeuvre-feministes/



vendredi 15 novembre 2024

Lire Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, aujourd’hui, du collège au lycée

 


Il y a peu, j’ai demandé à mes élèves de première de lire un roman évoquant le thème de la marginalité. Ils avaient le choix entre une trentaine de titres parmi lesquels figurait le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. J’avais mis en garde les lecteurs peu entraînés. Il s’est malgré tout trouvé une demi-douzaine d’aventuriers pour explorer les arcanes du roman d’Hugo, cinq d’entre eux ont fini par abandonner. J’ai évidemment félicité la lectrice de fond qui avait effectué le parcours jusqu’au bout. Et, avec les autres, nous avons cherché les raisons de cet échec. La plupart ont évoqué le rythme du récit, une action qui tarde à démarrer, l’absence de héros ou d’héroïne immédiatement identifiable, les difficultés posées par une syntaxe parfois baroque, et la richesse d’un lexique un brin clinquant qui cherche la couleur locale. Bref, une écriture déroutante bien éloignée des standards d’aujourd’hui qui privilégient provocation et surprise. L’anecdote fait apparaître que la lecture de Victor Hugo, même en classe de première, devient difficile. Alors comment, dès lors, aborder ou faire lire une telle œuvre aujourd’hui ?

Confronté au problème, on songe tout de suite à l’ancienne pratique des morceaux choisis, Gallimard a d’ailleurs publié une anthologie[1] pertinente de Notre-Dame de Paris, commentée par Alain Goetz, lequel commence ainsi sa préface : « Hugo a interdit qu’on découpe ses textes en morceaux. En 1859, il écrit : “Les libraires [les éditeurs] qui, abusant du domaine public, tronqueront mes œuvres sous prétexte de choix, œuvres choisies, théâtre choisi, etc., etc., seront, je le leur dis d’avance, des imbéciles. J’existerai par l’ensemble.” Soit ! Hugo fait bien partie de ces « hommes océan », de ces génies dont il évoque l’existence dans la préface de son William Shakespeare. Mais il nous faut convenir que la plupart d’entre nous avons appris à nager en piscine, et l’on peut considérer que si des élèves de première n’en sont plus tout à fait au stade de l’apprentissage, on peut, sans remords, conseiller aux collégiens une anthologie ou une édition abrégée pour pallier la difficulté que posent longueurs et digressions dans les romans d’Hugo. Cela dit, il n’est pas pour autant certain que des collégiens parviendront à s’emparer seuls de l’excellente version abrégée de l’école des loisirs[2] (à laquelle nous nous référerons dans la première partie de l’article). Il faudra aussi que le professeur les aide, dessine des parcours, ait recours à la lecture à voix haute.

En cinquième : destins d’enfants trouvés

Notre-Dame de Paris est un roman qui convient parfaitement aux enjeux des classes de cinquième. La dimension historique autorise une approche interdisciplinaire, et le roman illustre avec pertinence l’objet d’étude « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Les deux figures héroïques du roman, la Esmeralda et Quasimodo, sont des « sans famille », des enfants adoptés. L’un et l’autre seront d’ailleurs cause de la ruine de leurs familles d’adoption respectives. Il est, dès lors, tout à fait possible de montrer comment se dessine ce double parcours dans le roman. La Esmeralda est immédiatement liée à la cour des Miracles dont elle constitue, par son innocence et sa pureté, un paradoxe et un motif de fierté. Le professeur peut lire à voix haute les premiers chapitres du livre II (pages 35 à 50) qui permettent de familiariser le lecteur avec la vision fantasmagorique que Victor Hugo donne à ce lieu. Il invite les élèves à lire le livre IV qui rapporte l’adoption de Quasimodo, et le troisième chapitre du livre VI qui raconte en quelles circonstances la petite Esmeralda (appelée alors Agnès) est enlevée à sa mère.

Il s’agit ensuite de montrer comment le romancier a tissé les fils croisés de deux destinées fatales, l’emprisonnement de la Esmeralda dans les tours de Notre-Dame suscite le soulèvement de la cour des Miracles et son anéantissement par les troupes du roi. L’amour désespéré de Quasimodo pour la belle bohémienne le conduira à balancer son père adoptif par-dessus les balustrades du haut des tours de la cathédrale.



https://www.ecoledeslettres.fr/lire-notre-dame-de-paris-de-victor-hugo-aujourdhui-du-college-au-lycee/

vendredi 14 juin 2024

Parcours sur les émancipations créatrices : le voyage, source d’inspiration


La question de l’émancipation est au cœur de la poésie rimbaldienne, on a pu le voir avec la séquence que nous lui avons consacrée. Partant d’une poésie proche de la poésie parnassienne le jeune Rimbaud s’affranchit peu à peu des règles et tourne en dérision la figure du poète dans « Ma bohème ». Avec Une saison en enfer et Les illuminations, il adoptera la forme du poème en prose ou le vers libre pour manifester la trajectoire fulgurante d’un jeune homme qui traverse les aléas de l’existence en choisissant la démarche poétique pour idéal et en y renonçant pour vivre malgré tout. Au poète fugueur succède l’homme des grands voyages qui parcourt l’Europe à pied pour finir en Abyssinie. La thématique des voyages était au cœur de sa poésie, l’objet de notre groupement de texte sera d’interroger le lien que le poète semble susciter spontanément entre poésie et émancipation. Il s’agira donc moins d’interroger la question de l’émancipation formelle (qui peut néanmoins être abordée) que de s’intéresser à la manière dont les poètes envisagent le voyage. Pour rester dans le cadre du programme de première nous n’utilisons que des œuvres des XIXe, XXe et XXIe siècles.

Baudelaire, « Un hémisphère dans une chevelure », Le Spleen de Paris, 1869 ;

Laforgue, « Complainte de la lune en province », Les Complaintes, 1885 ;

Mallarmé, « Brise Marine », Poésies, 1887 ;

Cendrars, ouverte de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913

Segalen, Poème LIII extrait de Tibet (1919), 1979 ;

Yvon Le Men, « Dans le train qui va de Cluj-Napoca à Timişoara », Les continents sont des radeaux perdus, 2024.

On demandera en outre une lecture cursive du recueil d’Yvon Le Men paru récemment aux éditions Bruno Doucey, Les continents sont des radeaux perdus.


https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/parcours-sur-les-emancipations-creatrices-le-voyage-source-dinspiration/

vendredi 22 mars 2024

Le Journal d’Ève ou le triomphe d’une insoumise

Dans une parodie de la Genèse hilarante, Twain inverse le rapport homme femme et fait de la mère de tous les humains  une figure de la résistance plus attachée à sa liberté qu’à un paradis monotone.

Ève est sans doute, avec Huckleberry Finn, l’une des figures les plus attachantes des œuvres de Mark Twain. Les deux personnages ont plus d’un point commun, dépourvus de préjugés, ils sont libres, entreprenants, n’hésitent pas à se confronter au monde pour en tirer des leçons – parfois certes contestables – mais toujours fondées sur une expérience dans laquelle ils s’engagent sans réserve.

Au centre d’un monde nouveau

Publié en 1904, Le Journal d’Ève[1] prolonge, non sans contradictions le Journal d’Adam[2] rédigé une dizaine d’années plus tôt. Alors que le Journal d’Adam reprenait assez fidèlement le récit de la Genèse, Le Journal d’ Ève s’avère beaucoup plus elliptique, rien (ou presque) n’y est dit au sujet de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » : « J’ai essayé, écrit Ève pensant à Adam, de lui faire tomber quelques pommes, mais je ne suis pas bonne au lancer. Je les ai manquées, je crois quand même que l’intention lui a fait plaisir. Elles sont interdites, il dit que je vais m’attirer des ennuis, mais si c’est pour lui plaire, quelle importance ? » (p. 206-207). Voilà tout. De façon assez logique, Ève n’est pas dans la transgression puisque l’avertissement divin n’a été donné qu’à Adam, lequel se montre d’ailleurs peu loquace voire même fuyant à l’égard de sa compagne.

Sans rapport direct avec le créateur, Ève n’a pas de compte à rendre et prend le paradis pour un champ expérimental. Elle-même a parfaitement conscience d’être une « expérience » : « J’ai l’impression d’être une expérience. Je me sens vraiment comme une expérience. Personne ne peut se sentir plus expérimental que moi, au point que je suis convaincue d’en être une – d’expérience ; une expérience, rien de plus. Mais, si je suis une expérience, suis-je toute l’expérience ? Non. Je ne crois pas. À mon avis, le reste en fait aussi partie. J’en suis l’essentiel, mais le reste a sa part dans l’affaire. » Loin néanmoins de se sentir entravée par son statut d’« expérience », Ève prend immédiatement son destin en main. Elle se sent immédiatement sujet, au point de se questionner sur le fait de savoir si elle est « toute l’expérience ». La réponse qu’elle apporte est savoureuse : elle en est l’essentiel – voilà donc Adam relégué. Et si « le reste a sa part dans l’affaire », c’est bien Ève qui, en tant que sujet conscient, va s’emparer du monde comme objet.


https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/le-journal-deve-ou-le-triomphe-dune-insoumise/



[1] On trouvera ce conte de Twain dans notre anthologie, Dénoncer les travers de la société, l’école des loisirs, 2019.

[2] La nouvelle est disponible en français dans le recueil intitulé Comment raconter une histoire (trad. de Chloé Thomas), Rivages poche, 2019.



mardi 3 octobre 2023

Les Cahiers de Douai d'Arthur Rimbaus, séquence première

À la recherche d’une langue nouvelle, Rimbaud utilise un lexique qu’il libère des exigences de bienséance propre à la poésie classique. Par les formes et l’esthétique, il emprunte aux Parnassiens, mais se rapproche du symbolisme, sans s’y associer complètement.

Séance 1. Rimbaud, une carrière poétique éphémère sous le Second Empire

Séance 2. «Ophélie» ou la tentation parnassienne

Séance 3. Quand Rimbaud s’exerce aux réécritures

Séance 4. Les maux de la guerre et de la religion, analyse linéaire du «Mal» 

Séance 5. Le poète, contempteur de la société

Séance 6. «Ma bohème», les ambiguïtés d’un sonnet moderne

Séance 7. Tradition et innovation chez Rimbaud

Séance 8. Entraînement à la question de grammaire

https://www.ecoledeslettres.fr/page/2/?s=St%C3%A9phane+Labbe&ct_post_type=post%3Afiches-pdf&ct_search_taxonomies=yes




lundi 4 septembre 2023

Le Tour du monde en quatre-vingts jours, séquence 5e 4e


Le Tour du monde en quatre-vingt jours
de Jules Verne est un récit plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Sa version abrégée s’avère particulièrement adaptée aux classes de collège. On peut viser, par son étude, le niveau cinquième dans lequel il est préconisé de « découvrir diverses formes de récits d’aventures, fictifs ou non » ou le niveau quatrième qui invite à aborder, « à travers des textes relevant des genres dramatique et romanesque, la confrontation des valeurs portées par les personnages » et à «  comprendre que la structure et le dynamisme de l’action dramatique ou romanesque, ont partie liée avec les conflits » de manière à faire saisir « les intérêts et les valeurs qu’ils mettent en jeu. » La séquence qui suit prend en compte ces deux aspects du récit, ajoutons qu’en quatrième elle pourra servir d’amorce à l’objet d’étude « Informer, s’informer, déformer ? », le périple de Phileas Fogg s’avérant riche en retentissements médiatiques ; tandis qu’en cinquième elle permettra d’aborder la question du regard sur « le monde », les héros verniens s’avérant particulièrement ethno-centrés. La séquence s’attache à montrer comment le roman d’aventures devient roman de formation, suscitant par là l’intérêt des jeunes lecteurs. Selon la classe dans laquelle le professeur abordera le roman, il mettra l’accent sur les éléments spécifiques au programme du niveau retenu.

In, L'Ecole des lettres, septembre 2023.

https://classiques.ecoledesloisirs.fr/livre/CLA-Le-Tour-du-Monde-en-quatre-vingts-jours


mardi 29 août 2023

Charlotte Brontë à la recherche de voies nouvelles

Avec un riche appareil critique, les deux récentes traductions de Shirley et Villette font apparaître un réalisme social inédit confinant au romantisme industriel dans le premier et, dans le second, la liberté absolue et la modernité de l’aînée de la fratrie. 

Les éditions Gallimard ont publié fin 2022 de nouvelles traductions des deux derniers romans de Charlotte Brontë, Shirley et Villette* achevant ainsi une publication de ce qui pourrait passer pour les œuvres complètes des Brontë. Signées Laurent Bury et Véronique Béghain, ces deux traductions sont d’autant plus appréciables que les deux romans n’avaient pas été revisités depuis les années cinquante. La préface générale de Laurent Bury, qui insiste sur le laboratoire que furent les Juvenilia (l’ensemble des œuvres de jeunesse, quantitativement plus importantes que la somme publiée du vivant des sœurs), est intéressante. Le traducteur montre notamment que les veines fantastique et réaliste coexistaient déjà dans ces écrits de jeunesse. Elle souligne également la dimension hétéroclite de ces « œuvres complètes » dont la publication s’est échelonnée sans réel souci de cohérence sur plus de vingt ans. Le second volume qui contenait certains épisodes de ces Juvenilia s’avérait bien trop sélectif, sachant que des épisodes majeurs comme The Green Dwarf ou Stancliffe’s Hotel y étaient ignorés. De la même manière, les choix très restreints effectués dans la poésie d’Emily ne permettaient pas de rendre compte de l’évolution d’une œuvre qui constitue sans doute le sommet de l’œuvre brontëenne. 

 Shirley ou le « romantisme industriel » 

Si l’on peut effectivement percevoir une continuité dans l’œuvre de Charlotte, l’aînée de la fratrie qui survécut à ses cadets décédés au cours de l’année 1848-1849, on aurait tort de sous-estimer le poids du deuil sur ces œuvres dites de la maturité. Charlotte Brontë a écrit toute sa vie, mais la mort de ses frère et sœurs (celle d’Emily particulièrement) l’a profondément déstabilisée. Elle alterne des périodes de dépression et d’hyperactivité qui rendent difficile l’élaboration de Shirley, le premier des deux romans publiés. La traduction alerte de Laurent Bury lui confère un certain rythme. Il faut pourtant reconnaître que ce roman peine à trouver sa dynamique et qu’on n’y retrouve pas les ressorts dramatiques qui avaient fait le succès de Jane Eyre.



vendredi 28 juillet 2023

Le Tour du monde en quatre-vingts jours

« Un jour, dira Jules Verne à des journalistes, j’ai pris un exemplaire du journal Le Siècle et j’y ai vu des calculs démontrant que le voyage autour du monde pouvait se faire en quatre-vingts jours. » On imagine aisément quelle tempête sous un crâne put déclencher cette lecture. Faire le tour du monde en quatre-vingt jours devenait possible ! Pour l’écrivain qui aimait voyager et avait fait bourlinguer tant de personnages à travers le monde entier, s’offrait là, l’occasion d’une expérience nouvelle, inédite. Ses personnages auraient à jongler non seulement avec les obstacles  géographiques mais aussi avec les impératifs temporels.

Effectuer le tour du monde en quatre-vingts jours en 1871 était de fait une performance qui pouvait manifester le triomphe de la technique sur la nature et  les éléments.  Les chemins de fers, les lignes de paquebots qui traversent les océans permettent théoriquement d’accomplir cette prouesse, Jules Verne va en faire la démonstration romanesque. Mais faire le tour du monde en quatre-vingts jours c’est aussi, d’une certaine manière, dire adieu à l’aventure. Dans ses romans antérieurs Jules Verne a envoyé ses personnages dans les zones blanches du globe terrestre, qu’ils aient cherché à gagner le centre de la terre, ou à suivre le parallèle de latitude 37°11’ ! Le monde semblait inépuisable, le voilà désormais circonscrit.

L’homme qui accomplira un tel exploit se doit d’ailleurs d’être exceptionnel, il lui faut faire preuve d’une exactitude métronomique, quel meilleur sujet qu’un de ces britanniques  méthodiques, routiniers et subitement excentriques que Jules Verne a pu observer au cours de ses voyages en Angleterre ? Phileas Fogg en sera la parfaite illustration : membre d’un club distingué, énigmatique et laconique, sa vie est réglée comme une horloge. Pour son nouveau serviteur, le français Jean Passepartout, Phileas Fogg est l’un de ces « anglais à sang froid », un « être bien équilibré dans toutes ses parties, justement pondéré, aussi parfait qu’un chronomètre. » Le serviteur inaugure, dans ce chapitre 2, la série des comparaisons et métaphores qui donnent à voir le héros du roman comme une machine.

(extrait de la préface)


Séquence disponible sur : https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/le-tour-du-monde-en-quatre-vingts-jours-de-jules-verne-du-roman-daventures-au-roman-de-formation/


vendredi 23 juin 2023

Maurice ou le Cabanon du pêcheur, le conte perdu de Mary Shelley

 Égarée parmi les archives familiales depuis des générations, cette histoire d’enfant perdu séjournant chez un pêcheur serait le troisième roman de l’écrivaine. Petit paradis recouvert de lichen au bord de la falaise, la cabane symbolise la découverte de soi et la reconnaissance des autres. 

 Fuyant l’Angleterre puritaine en 1818 avec sa famille pour s’installer en Italie, Mary Shelley perd successivement sa fille d’un an, Clara, et son fils de trois ans, William. Elle sombre dans la dépression. Début 1820, elle donne naissance à un petit garçon, Percy Florence. Avec leur amie Claire Clairmont, qui le chaperonne depuis l’Angleterre, le couple Shelley s’installe à Pise où ils retrouvent le couple Mason, parents de deux filles, Laurette et Nerina. C’est certainement pendant cette période, après avoir écrit Mathilda1 , son deuxième roman, que Mary se lance dans l’écriture de Maurice ou le Cabanon du pêcheur. Une histoire d’enfant perdu et enlevé qui semble condenser tous les malheurs dont elle a souffert. Claire Tomalin affirme que le «journal italien de Mary Shelley mentionne qu’elle a bien écrit une histoire pour Laurette, le 10 août 18203 ». Ce que confirme la correspondance de Godwin qui a refusé de publier l’histoire de sa fille4 intitulée Maurice, l’estimant trop courte. Ensuite, Maurice a disparu. Claire Tomalin explique que c’est un courrier d’une certaine Christina Dazzi, épouse d’un descendant du couple Mason, qui l’a conduite en Italie pour authentifier le manuscrit, «Un petit livre de quelques pages cousues avec une ficelle », dédicacé ainsi: «Pour Laurette de la part de Mary Shelley.» L’ouvrage était resté dans les archives familiales depuis des générations. C’est Claire Tomalin qui assurera la première édition de Maurice or the Fisher’s Cot en 1998.




vendredi 31 mars 2023

Emily, de Frances O’Connor : âme révoltée dans les landes anglaises

Emily, de Frances O’Connor : âme révoltée dans les landes anglaises Bravant l’exactitude biographique pour se concentrer sur les élans et les émotions de la jeune autrice des Hauts de Hurlevent, la comédienne australienne signe un premier long métrage non pas fidèle, mais crédible et sensible. 

Avec Emily, il semble clair que la réalisatrice Frances O’Connor n’a pas recherché l’exactitude biographique. Le scénario compte un certain nombre d’erreurs, et son film est beaucoup plus éloigné de la vérité historique que ne l’était celui d’André Téchiné, Les Sœurs Brontë[1]. En revanche, la comédienne australienne, qui réalise ici son premier long métrage, propose le portrait d’une Emily Brontë romanesque et crédible.

Suite de l'article sur le site de l'école des lettres






vendredi 24 mars 2023

La science en question dans Le Rayon vert de Jules Verne

 Les « prolongements » aux lectures indicatives signalées dans Bulletin officiel spécial n°1 du 22 janvier 2019 suggèrent la lecture de l’un « Voyages extraordinaires » de Jules Verne pour illustrer la seconde grande thématique du programme : les représentations du monde. L’objet d’étude « Décrire, figurer, imaginer » semble si parfaitement caractériser l’œuvre de notre illustre romancier qu’il semble vain de chercher à justifier son utilisation en cours. Qui, mieux que Jules Verne, a su glorifier les vertus du progrès scientifique et la pensée positive dans les dernières décennies du XIXe siècle ? L’œuvre de Jules Verne est si bien assimilée au développement de la vulgarisation scientifique qu’on en a oublié qu’elle était avant tout une œuvre romanesque qui exalte l’imagination. Les instructions officielles invitant à explorer « le rôle de l’imagination et l’usage de la fiction dans le développement des savoirs sur la nature et sur l’homme », il nous a semblé intéressant de retenir une œuvre assez atypique du corpus vernien, Le Rayon vert[1], publié en 1862. La science y a certes sa place, et c’est en quête d’un mythe scientifique (le fameux rayon) que partent les protagonistes de notre histoire. Mais, elle y est aussi caricaturée, incarnée par un scientifique aussi sot que vain (le jeune Aristobulus Ursiclos dont le patronyme constitue à lui seul un programme) et finalement réduite au rang de faire valoir d’un imaginaire qui, prenant appui sur les croyances ancestrales de l’humanité, semble infiniment plus précieux que le discours desséchant d’un positivisme triomphant. L’œuvre pourra faire suite à l’étude d’un groupement de textes consacrés aux combats menés par Descartes, Kant et les philosophes du XVIIIe pour imposer le rationalisme dans l’Europe moderne.

https://nrp-lycee.nathan.fr/sequences/la-science-en-question-dans-le-rayon-vert-de-jules-verne/





 



[1] Nous utilisons pour cette étude la seule édition courante disponible du Rayon vert, le « Livre de Poche » n° 2060 publié en 2004.

samedi 17 décembre 2022

Little Women, roman autobiographique

Le premier volume de Little Women (titre original des Quatre filles du Docteur March) publié en 1868, n’enthousiasmait guère son auteur. Écrit à la demande de Thomas Niles, son éditeur, qui lui réclamait un « livre pour filles », Louisa Alcott a puisé la matière de son livre dans ses souvenirs d’enfance et situé l’univers de son intrigue dans la période récente de la guerre civile. Elle y raconte une année dans la vie d’une famille composée de la mère (surnommée Marmee) et de ses quatre filles (Meg, Jo, Beth et Amy), leurs joies, leurs difficultés, leurs peines, leurs aspirations, leurs craintes, en l’absence du père, le pasteur March qui a choisi d’assister les soldats, en tant qu’aumônier, sur le front. Louisa, habituée à fournir les intrigues tarabiscotées de romans sentimentaux et gothiques aux journaux n’est guère emballée par le résultat. Son éditeur trouve, lui aussi, que l’intrigue manque de relief et de rebondissements.

Vivianne Perret, dans sa biographie de Louisa May Alcott[1], raconte que c’est à la nièce de l’éditeur que nous devrons finalement Les quatre filles du Docteur March. Niles a l’idée de lui faire lire le roman : « Elle adora, mentionne la biographe. En ce qui le concernait, les lectrices étaient les meilleures des critiques. Niles en homme d’affaires perspicace était persuadé qu’il tenait en ses mains la poule aux œufs d’or. »1 L’avenir devait lui donner raison, Little Women fut le plus grand succès de Louisa M. Alcott, un phénomène comparable, pour le XIXe siècle, à celui d’Harry Potter – Pascale Voilley[2] rapporte que pendant « les trente ans qui suivirent la publication de la première partie du roman, l’éditeur Robert Brothers publia en tout 1 727 551 exemplaires des livres d’Alcott », ce qui, pour le XIXe siècle est considérable. Le roman connut des dizaines de tirages, fut adapté en pièce et L.-M. Alcott, qui n’avait jusque là réussi qu’à survivre de sa plume, accomplissait son rêve : donner un train de vie honorable à tous les membres de sa pittoresque famille.

Le roman familial

Le père

Car c’est bien de cette famille dont il est question dans le livre, à commencer par le père Bronson Alcott étrangement absent et devenu par un double mensonge docteur. La préface de Malika Ferdjoukh[3] explique comment le pasteur imaginé par Louisa est devenu docteur sous la plume de P.J. Stahl, le traducteur français (p. 7-8) ; l’anecdote est d’ailleurs passionnante. On pourra en outre se demander pourquoi la fille a choisi de transformer son pédagogue transcendentaliste de père en un pasteur engagé dans les rangs nordistes. Sans doute parce qu’elle nourrissait des sentiments ambivalents à l’égard dudit père. 

Suite dans 


https://www.ecoledeslettres.fr/magazine/2022-2023/n2-decembre-2022-fevrier-2023/

[1] Vivianne Perret, Louisa May Alcott. La mère des quatre filles du docteur March, 1832-1888, Vuibert, 2014.

[2] Pascale Voilley, Louisa May Alcott, Belin, 2001.

[3] L.M. Alcott, Les quatre filles du docteur March (initialement Les quatre filles du pasteur March), L’école des loisirs, 2009.

[4] Henry A. Beers, Four Americans, Chap. III, “A pilgrim in Concord”, Yale University Press, 1919.

[5] Henri David Thoreau, Gens de Concord, Le Mot et le Reste, 2021.

[6] Pilgrim’s Progess, (Le Voyage du pèlerin), est un ouvrage allégorique de Bunyan (1628-1688) qui a profondément influencé la foi protestante aux Etats-Unis, voir à ce sujet notre séquence, « Les Quatre filles du pasteur March de Louisa May Alcott », in L’École des lettres, n° 7-8, 2010-2011.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

samedi 19 février 2022

La question du genre dans "La Chute de la maison Usher"

La Chute de la maison Usher: Edgar Poe à la croisée des genres

Hésitation entre le surnaturel et le rationnel, cette nouvelle, parmi les plus populaires de l’écrivain américain, s’inscrit résolument dans le genre fantastique. Elle constitue aussi une charnière entre le roman gothique et l’orientation surréaliste 

La Chute de la maison Usher est l’un des contes les plus populaires et les plus commentés d’Edgar Poe. Publié dans le Burton’s Gentlemam’s Magazine en septembre 1839, puis dans les Tales of the Grotesque and the Arabesque l’année suivante, il représente la quintessence de son art. La poétique de Baudelaire a pu consister à porter à leur paroxysme certaines grandes tendances du romantisme lyrique ou frénétique tout en jetant les bases du symbolisme à venir. De même, l’art romanesque d’Edgar Poe s’est appuyé sur les rouages éprouvés du roman gothique et du récit fantastique pour amorcer une esthétique plus personnelle. Elle devait annoncer les grandes orientations de la littérature à venir, surréaliste notamment.

1. Du gothique au fantastique

2. Un récit policier

3. De la fantasy au rêve

L'école des lettres n° 3, février-avril 2022.




mercredi 22 décembre 2021

Les Lettres de la famille Brontë : sensibilité et fractures d'une fratrie de surdoués


Pour qui cherche à cerner le moi, ses manifestations, ses jeux ou ses dissimulations, la correspondance offre un terrain d’exploration particulièrement fécond. Les Lettres[1] de la famille Brontë traduites, il y a peu, par Constance Lacroix offrent la particularité de confronter le lecteur à une série de personnalités brillantes et originales qui permettront d’aborder deux des entrées préconisées par le programme de terminale dans le cadre de l’objet d’étude intitulé la « recherche de soi », les « expressions de la sensibilité » et les « métamorphoses du moi ». Les première et troisième séances s’attachent plus particulièrement à développer cette première entrée puisqu’elles sont consacrées à une approche de la sensibilité romantique et à la fascination qu’a pu exercer la plus passionnée des trois sœurs, Emily, auteure des Hauts de Hurle-Vent. Les deuxième et quatrième séances interrogent la question des mutations du moi dans le cadre du genre épistolaire et dans la perspective de la création romanesque, comment le moi se donne-t-il à voir selon le destinateur à qui le moi créateur s’adresse-t-il vraiment ?

La séquence pourra s’intercaler entre une première séquence consacrée à l’expression de la sensibilité romantique et une troisième centrée sur le thème du double en littérature éclairé par une approche psychanalytique. Le professeur aura demandé aux élèves de lire la correspondance des Brontë dans l’édition citée jusqu’à la page 348 (lettre 158 comprise). On pourra vérifier la lecture par le biais d’un qcm. Des volontaires auront été sollicités pour présenter un exposé sur l’un des romans phares de chacune des trois sœurs, Jane Eyre, Les Hauts de Hurle-Vent et La Dame de Wildfell Hall. On proposera, en évaluation, un écrit d’invention pour rompre avec le rituel des questions d’interprétation ou de réflexion dont la méthodologie ne pose pas de véritable problème.

Séquence destinées aux élèves de terminale spécialité HLP


https://nrp-lycee.nathan.fr/sequences/les-lettres-de-la-famille-bronte/

 



[1] Famille Brontë, Lettres, trad. de Constance Lacroix, Folio, 2020.

dimanche 20 janvier 2019

Mary Shelley ou l'encre noire de la mélancolie

Avec Frankenstein Mary Shelley propulsait l’esprit des Lumières dans le XIXe siècle, et sans doute ne le savait-elle pas, au-delà. Puisque son médecin illuminé et sa créature devaient embraser de leur lumière sombre tout l’imaginaire des deux siècles à venir.
 Il semble toutefois que ce ne soit moins la force du mythe qui ait intéressé la réalisatrice du bio pic Mary Shelley, Haifaa Al-Mansour, que les ressorts intimes de la création artistique. Dans un monde sans Dieu, le mythe importe moins que la vérité des êtres.

De la genèse des chefs d’œuvre 

Avec son Mary Shelley, plutôt mal accueilli par la critique, Haifaa Al-Mansour s’est livrée à un exercice que le cinéma hollywoodien semble affectionner depuis quelques années : décrire la genèse d’un chef d’œuvre. Ainsi John Madden en 1998, imaginait-il, de façon très fantaisiste, les origines de Roméo et Juliette dans Shakespeare in love ; en 2006, c’était au tour de Marc Foster de s’intéresser au Peter Pan de James Barrie dans Neverland, et récemment, en 2015, c’est à Moby Dick de Melville que s’attaquait Ron Howard avec Au cœur de l’Océan. Alors certes, il est question dans le film d’Haifaa Al-Mansour des influences extérieures qui ont pu stimuler l’imagination de la jeune Mary : le galvanisme, les séductions du roman gothique, l’aura que la littérature a conférée à ses parents écrivains, le fameux épisode de la villa Diodati où Byron devait lancer l’idée d’un concours d’écriture. Mais son film est avant tout un grand film sur le deuil, l’abandon et la résilience.

Quitte à provoquer une lecture un peu univoque de Frankenstein, la réalisatrice insiste avant tout sur les ressorts psychologiques qui ont conduit une jeune femme de dix-huit ans à concevoir cette étrange histoire de monstre abandonné par son créateur. Les premières images du film sont, à ce titre, éloquentes : alors que le générique déroule encore le casting, le spectateur entend les chuintements d’une plume qui égratigne un manuscrit, un ciel nuageux se dégage ; la phrase « There is something at work in my soul » (« Quelque chose est au travail dans mon âme ») s’y inscrit. La caméra saisit ensuite la jeune Mary Godwin Wollstonecraft qui lit un roman gothique sur la tombe de sa mère. En deux images, le lien est fait entre deuil et création.

https://www.ecoledeslettres.fr/mary-shelley-de-haifaa-al-mansour-ou-lencre-noire-de-la-melancolie/

Emily Brontë en France

Morte à trente ans, auteure d’un unique roman, Wuthering Heights (Les Hauts de Hurle-Vent en français) publié en 1847 et qui demeura longtemps dans l’ombre d’un autre chef d’œuvre, le Jane Eyre de sa sœur Charlotte, Emily Brontë est longtemps demeurée un mystère.

 Aujourd’hui sa silhouette fantomatique errant à jamais dans l’immensité de l’âpre lande où elle a situé la sombre intrigue de son roman, fait partie du folklore que des milliers de touristes vont, chaque année, chercher à Haworth, le village où elle a passé la quasi-totalité de sa brève existence.

L’Emily des biographes et essayistes

 Dans un pays qui s’est enthousiasmé pour le mythe du poète maudit soigneusement élaboré par Verlaine, son double féminin d’outre-Manche ne pouvait que rencontrer le succès. La première traduction de Wuthering Heights, le roman d’Emily Brontë, est due à Téodor de Wyzewa (1)  qui dans une longue préface cherche à percer les mystères de l’auteur de ce livre si étrange, qu’il a choisi d’intituler Un amant.

http://actualites.ecoledeslettres.fr/litteratures/emily-bronte-en-france/#more-27947

lundi 31 juillet 2017

Emily Brontë, cent quatre vingt dix neuvième anniversaire de sa naissance


Portrait d'Emily Brontë, en haut, à droite, Nero, le faucon, en bas, Keeper, le chien d'Emily.

30 July 1841, Emily's 23rd birthday, and she writes her diary paper:
A Paper to be opened
when Anne is
25 years old
or my next birthday after -
if
- all be well -
It is Friday evening - near 9 o'clock - wild rainy weather I am seated in the dining room alone - having just concluded tidying our desk-boxes - writing this document - Papa is in the parlour. Aunt up stairs in her room - she has been reading Blackwood's Magazine to papa - Victoria and Adelaide are ensconced in the peat-house - Keeper is in the kitchen - Nero in his cage - We are all stout and hearty as I hope is the case with Charlotte, Branwell, and Anne [who were all working away from home]...
A scheme is at present in agitation for setting up in a school of our own ... I guess that at the time appointed for the opening of this paper - we (i.e.) Charlotte, Anne and I - shall be all merrily seated in our own sitting-room in some pleasant and flourishing seminary having just gathered in for the midsummer holydays ... it will be a fine warm summery evening. very different from this bleak look-out ...



30 Juillet 1841, vingt-troisième anniversaire d’Emily, et elle écrit son « journal » :

Un document à ouvrir 
quand Anne aura vint-cinq ans
le jour de mon anniversaire - si tout va bien -

Un projet visant à ouvrir notre propre école est actuellement à l’étude. Je suppose qu’au moment d’ouvrir ce papier, après le délai fixé, nous (c'est-à-dire Anne, Charlotte et moi) serons toutes heureuses, récemment réunies dans le salon de notre nouvelle et florissante école, profitant des vacances au milieu de l’été. Ce sera une belle soirée d’été, bien différente de cette morne journée.


Il 9h00 ce vendredi soir – temps pluvieux et agité. Je suis seule, assise dans la salle à manger où je viens de ranger nos pupitres, en train d’écrire ce journal. Papa est au salon. Tante, en haut, dans sa chambre, elle a lu le Blacwood’s Magazine à papa. Victoria et Adelaïde sont nichés dans la remise à tourbe. Keeper est dans la cuisine et Nero dans sa cage. Nous sommes tous robustes et bien portants, comme c’est le cas – j’espère pour Anne, Branwell et Charlotte qui, tous les trois, sont en train de travailler loin de la maison.

mercredi 22 juin 2016

L'Île au trésor roman mythique

Je me suis parfois demandé si L’Île au trésor n’était pas la parfaite illustration de la boutade de Mark Twain au sujet des classiques : « Un classique est un livre que tout le monde veut avoir lu mais que personne ne veut lire. » J’ai dû, dans ma carrière d’enseignant, le faire étudier une fois à des classes de cinquième modérément motivées- c’était en 1986 ou 1987. J’ai rarement eu depuis le bonheur d’enseigner en cinquième et, lorsque cela s’est produit, j’ai plutôt choisi d’orienter la curiosité de mes élèves sur le Vendredi de Michel Tournier ou sur L’Appel de la forêt.
J’ai très peu souvent rencontré de collègue qui fasse étudier L’Île au trésor et ceux qui l’avaient fait ne manifestaient – comme moi, à ma grande honte – qu’un enthousiasme tout relatif. C’est un roman dont on recommande volontiers la lecture mais qu’au fond on n’étudie peu. C’est un roman d’aventures, genre un peu désuet s’il en est, c’est un roman sans femme – voyez avec quelle jubilation, Stevenson évoque (dans l’essai intitulé « Mon premier roman » ) la façon dont lui-même et son jeune beau fils, expédient la femme hors de l’intrigue pour ne pas ralentir le rythme par d’inutiles considérations sentimentales.
Et pourtant c’est un roman essentiel, Dominique Fernandez, dans L’Art de raconter, propose de ce roman l’une des lectures les plus intelligentes qui en ait été faite : le roman d’aventures, rappelle-t-il est « la forme naturelle » du roman et « pour cette raison », « la plus difficile à réussir. » Et d’évoquer ensuite le génie de conteur de Stevenson qui n’eut guère de rival en littérature selon lui que Stendhal.
Mais là où semble-t-il, Fernandez se manifeste  le plus clairvoyant, c’est lorsqu’il montre que le géni de Stevenson est d’avoir confié la narration à Jim Hawkins, un garçon de treize, quatorze ans : encore très jeune, que tout attire, intrigue et surprend :
« Le heurt de la canne de l'aveugle sur le sol gelé rend un son que j'appellerais « fondamental » : qui nous fait vibrer, nous, d'une émotion extraordinaire, et que nous n'oublierons jamais, pas tellement parce que cette canne est celle d'un criminel endurci et que la vie du jeune héros se trouve soudain en danger, mais parce que le son de cette canne est le premier son qui s'imprime dans la mémoire de Jim, il l'accompagnera toute sa vie, comme il nous accompagne, nous, les lecteurs ; […] et, comme toutes les premières impressions, celle-ci le poursuivra toujours, comme elle nous hante, nous autres, encore aujourd'hui. »
La vigueur du style de Stevenson tient effectivement au caractère frappant des perceptions visuelles et auditives qui nous font entrer de plein pied dans l’univers de marins, de pirates et d’auberges désolées du XVIIIe siècle. Et c’est pourquoi je m’étonne qu’on n’étudie pas davantage Stevenson car c’est un merveilleux maître d’écriture. Les conseils qu’il prodigue d’ailleurs dans ses Essais sur l’art de la fiction montrent d’ailleurs à quel point il était parfaitement conscient de ses effets.
Je crois que ce sont ces considérations toutes personnelles qui m’ont conduit à vouloir abréger le roman de Stevenson : voilà l’un des romans les plus essentiels de notre littérature qu’on lit, semble-t-il, très peu pour les mauvaises raisons exposés ci-dessus mais aussi parce que l’aventure y serait un peu poussive et certaines péripéties interminables, pour reprendre l’objection d’un collègue. Comme Dumas Stevenson se serait empâté avec l’âge. C’est à ce dernier reproche que nous avons été sensibles. Et notre édition abrégée s’est efforcée de conserver la force du roman tout en précipitant certaine péripéties de manière à le rendre plus acceptable pour des lecteurs nourris à l’aune des scènes précipités d’Indiana Jones.
La double trahison de la traduction et de l’adaptation peut-elle rendre justice à l’art du fabuleux conteur ? Nous l’espérons : Jim Hawkins conserve, dans notre version, la fraicheur de ses treize ans et ses foucades d’apprenti aventurier ; je mettrais d’ailleurs volontiers au défi quiconque n’a pas lu L’Île au trésor depuis quelques années de trouver les coupes dont je me suis rendu coupable.
Mieux qu’un classique ordinaire, L’Île au trésor a très vite accédé au rang de mythe. On ne saurait considérer le Moonfleet de James Meade Falkner comme une réécriture mais il y a, dans ce roman d’aventures, à tout le moins, hommage. Même technique narrative, même héros jeune et déterminé, mêmes thématiques. Et si nous signalons ce roman c’est parce que la fortune de Stevenson au cinéma est loin d’être évidente.
Alors que le Moonfleet de Falkner devait inspirer le génial Contrebandiers de Moonfleet à
Fritz Lang, L’Île au trésor subit de nombreuses adaptations, sans qu’il soit possible d’identifier une seule version à la hauteur du roman. C’est peut-être la première, celle de Victor Flemming (1934) qui dessert le mieux l’histoire de Stevenson même si le filme souffre de cet excès de longs plans statiques qui sont la marque des débuts du cinéma parlant. L’interprétation d’Orson Welles – Long John Silver dans le film de John Hough en 1972 –  séduira les inconditionnels de l’acteur qui trouve ici un rôle à sa démesure.
Falkner ne fut pas le seul à rendre hommage à Stevenson puisque le romancier Björn Larsson devait s’emparer du personnage de Long John Silver pour lui faire raconter ses aventures de pirates antérieures à sa carrière de tavernier sur le port de Bristol où Jim Hawkins le rencontre pour la première fois. Le roman est brillant, un brin désenchanté mais les clins d’œil au livre de Stevenson sont un régal – Long John Silver conçoit sa narration comme une sorte de réponse à celle de Jim.
Ce sont toutefois les scénaristes et dessinateurs de BD qui rendent au roman de Stevenson le plus bel hommage. Et, à tout seigneur tout honneur, c’est par L’Île au trésor d’Hugo Pratt que nous commencerons.
Dans l’édition Casterman, qui réunit les deux adaptations que Pratt a réalisées de Stevenson (L’Île au trésor et Enlevé ! – première partie des aventures de David Balfour) Hugo Pratt explique, dans une préface,  les liens affectifs qui l’unissent à ce récit. Comme Hawkins, Pratt devait perdre son père très jeune et, si l’on en croit l’anecdote qu’il mentionne, le dernier cadeau que devait lui faire ce père trop tôt disparu fut précisément une édition de L’Île au trésor. Dans le style expressionniste et romantique qui le caractérise, Hugo Pratt met en scène le roman de façon tout à fait saisissante : l’apparition de Billy Bonnes, par exemple, visage squelettique qui s’approche pour envahir le cadre n’est peut-être pas extrêmement fidèle à la narration de Jim Hawkins mais elle rend l’esprit de l’épisode qui insiste sur le caractère à la fois excessif et intrusif du vieux loup de mer.
Si la BD de Pratt reflète le géni de son auteur, le scénario procède à des coupes qui simplifient l’intrigue et nuisent à la crédibilité des caractères. On ne pourra pas faire ce reproche à l’adaptation en trois tomes de David Chauvel et Fred Simon, publiée cette année dans la collection « Mille Bulles » de L’école des loisirs. Les auteurs suivent scrupuleusement l’intrigue du romancier et livrent un dessin soigné et documentée plus proche, par son esthétique de la ligne claire que de l’expressionisme prattien mais qui saura attirer l’attention du professeur de français désireux d’initier ses élèves au langage de l’image. Cadrages (parfois même absence de cadre) et angles de vue sont pensés dans le but de restituer au mieux le dynamisme de la narration et l’atmosphère exotique du roman.
Avec Long John Silver, Xavier Dorison et Matthieu Lauffray utilisent le personnage de Stevenson dans une série qui renoue avec la tradition du roman d’aventures, le scénario soigné introduit de façon convaincante une héroïne séduisante (Lady Vivian Hastings) et les planches inventives, intégrant parfois de magnifiques plans d’ensemble, font de cette BD une parfaite réussite esthétique et dramatique.
Notons pour terminer que le récent Stevenson, le pirate intérieur de Rodolphe (scénariste) et René Follet (dessinateur) ne constitue pas la moins originale des entreprises ici décrites. Il s’agit d’une biographie de Stevenson qui restitue tout en finesse le parcours d’un écrivain qui n’eut de cesse de combattre la mort incarnée, dans le scénario, par le terrible Long John Silver, issu des rêves de son auteur, écarlate et menaçant à souhait. Le dessin qui élide le trait inscrit la figure de Stevenson dans une fluidité qui rappelle le romantisme de son imaginaire, l’évanescence des rêves qui ont donné naissance à son œuvre. L’entreprise pourrait faire penser – sur le mode graphique – à l’intéressante entreprise biographique d’Hervé Jubert qui, il y a quelques années confiait le soin de rédiger la vie de l’auteur, à la mort elle-même
On le voit, Stevenson et L’Île au trésor n’ont cessé et ne cessent d’inspirer. Les romanciers – nous n’avons pas ici les Hammett et Le Clézio qui ont aussi puisé la matière de certaines de leurs œuvres dans le roman de Stevenson , les cinéastes, les scénaristes de BD font revivre avec une belle constance les personnages de Stevenson et l’intrigue de son roman, simple certes mais exemplaire, comme le sont les mythes.

Avec, par ordre d’apparition :
Robert Louis Stevenson, Essais sur l’art de la fiction, Petit bibliothèque Payot, 1992.
Dominique Fernandez, L’Art de raconter, Le Livre de poche, 2008.
Robert Louis Stevenson, L’Île au trésor, l’école des loisirs, 2013.
John Meade Falkner, Moonfleet, Phébus, « Libretto », 2012.
Björn Larsson, Long John Silver, Le Livre de poche, 2001.
Hugo Pratt & Milo Milani, L’Île au trésor suivi de Enlevé !, Casterman, 2010.
David Chauvel & Fred Simon, L’Île au trésor, (3 volumes) « Mille bulles », l’école des loisirs, 2012-2013.
Xavier Dorison & Matthieu Lauffray, Long John Silver, (4 volumes) Dargaud, 2007-2013.
Rodolphe & René Follet, Stevenson, le pirate intérieur, Dargaud, 20013.

Hervé Jubert, Stevenson. L’Aventure !, Médium documents, l’école des loisirs, 2010.