Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.
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vendredi 17 mai 2024

Le Secret des sables, de Levi Pinfold : un album poétique et initiatique


 Originaire de Cornouailles, diplôme de l’université de Falmouth, Levi Pinfold s’est très vite attiré la reconnaissance des milieux éditoriaux en remportant le « Book Trust Early Years Award » (catégorie jeune illustrateur) en 2006. Il a depuis illustré de nombreux albums et créé pour Bloomsburry les couvertures de la collection Harry Potter (éditions des quatre maisons). Le seul de ses albums personnels publié en France à ce jour était La Légende du Chien noir[1] . L’École des loisirs a récemment mis sur le marché, dans la collection « kaléidoscope », Le secret des sables, un album somptueux, énigmatique et inspiré dont l’intrigue et les illustrations s’adressent aux lecteurs de tous âges.

Une intrigue aux allures de contes

L’intrigue est un peu celle des Sept corbeaux des frères Grimm. Une petite fille, la plus jeune de la fratrie, va sauver ses frères d’une étrange malédiction. Cependant, l’histoire que Levy Pinfold choisit de mettre en scène est beaucoup plus énigmatique que celle des frères Grimm, d’une part parce qu’il confie la narration à son héroïne qui semble habitée d’une prescience et d’une sagesse qui font totalement défaut à ses frères et, d’autre part, parce que les frères Grimm expliquaient longuement dans la situation initiale pourquoi les sept frères se retrouvaient métamorphosés en corbeaux à la suite d’une malédiction paternelle. Ici rien de tel, les trois frères de la narratrices se transforment en dauphin (pp. 16-17) dans la piscine d’un hôtel étrange qui a surgi en plein désert.

Tout commence par une comptine (p. 1) : « Roses blanche, nous vous suivons vers l’Oracle du Vallon / Désert de la mort puis la fontaine d’une demeure souterraine… » Cette comptine dont le lecteur apprendra qu’elle a bercé l’enfance des frères et sœurs (p. 7) est traitée de « chanson stupide » par la petite fille. Cependant, placée en épigraphe de la narration, la comptine en question est un peu la voix du destin assigné aux enfants de cette fratrie.

Les trois frères et la sœur montent dans une Cadillac blanche, la fillette propose de s’arrêter pour « cueillir quelques fleurs pour maman » (p. 7). Alors qu’ils cueillent des roses blanches sauvages, les trois frère ont soif et se dirigent vers un mystérieux hôtel qui ressemble à une forteresse antique (p. 10-11). D’imposantes murailles, des tours élevées, parmi lesquelles une tour pyramidale, constituent une forteresse qui recèle une cour intérieurs d’où émergent les cimes de palmiers élevés et de cyprès effilés.

La double page 12-13 montre les frères qui entrent dans la forteresse, on ne voit que le dernier d’entre eux que l’ombre semble aspirer, la narratrice, sur le seuil de l’hôtel, ses roses à la main hésite à entrer. Le plan (semi ensemble) ne cadre qu’une partie de la façade de l’hôtel et pourtant la petite fille qui lui fait face semble déjà écrasée par cet univers minéral.

À l’intérieur, une table chargée de nourriture attend les frères qui, après s’être restaurés, ne peuvent résister à l’appel de la fraîcheur et plongent dans une piscine où ils se transforment en dauphins. « J’ai appelé à l’aide, mais en vain. Seul l’écho me répondait » constate la narratrice (p. 18-19). Dans la cour intérieure de l’hôtel rendues par des tonalités sépia l’héroïne qui marche d’un pas décidé dans sa petite robe bleue semblerait être le seul être vivant s’il n’y avait trois oiseaux qui s’abreuvent dans un bassin.

La petite fille rencontre alors « l’Oracle », le lion majestueux qui figure sur la couverture, et qui invite l’héroïne à se restaurer mais la fillette résiste, elle veut repartir avec ses frères. L’Oracle lui accorde trois jours ; si elle parvient à rester au sein du palais, à la table du festin pendant trois jours, sans boire ni manger (« sans pendre ne serait-ce qu’une goutte d’eau ») elle pourra repartir.

Notre héroïne remportera l’épreuve et la famille réunie pourra aller offrir les roses blanches à la mère mais… L’ultime péripétie montre que le récit de Levi Pinfold n’est pas un simple compte, la narration à la première personne avait bien une raison d’être, et le « je » de l’enfant en construction est appelé à rencontrer l’inconscient maternel.



[1] Levi Pinfold, La Légende du Chien noir, Little Urban, 2015.



https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/le-secret-des-sables-de-levi-pinfold-un-album-poetique-et-initiatique/

mercredi 13 juin 2018

"Feuilles d'automne" de Millais


Article publié dans le n° 5 de la Revue L'Ecole des lettres, 2011-2012.

Le tableau de Millais, Les feuilles d’automne (Autumn Leaves), fait partie d’un triptyque avec lequel Millais affirme une doctrine de l’art pour l’art, s’éloignant ainsi du préraphaélisme[1] dont il avait pourtant été l’un des piliers et membres fondateurs. La Fille aveugle (1856), Feuilles d’automne (1856) et Printemps (1859) sont les trois volets de ce triptyque qui, pour le peintre désormais membre de la Royal Academy, manifestent sa liberté retrouvée. Avec la Fille aveugle qui s’appuie sur un thème à vocation sociale (l’errance des enfants sans famille) le peintre évite tout misérabilisme et met en image une communion heureuse de l’homme avec la nature. Tableau « sans sujet », selon la propre femme de l’artiste, Feuilles d’automne constitue l’une des œuvres les plus mystérieuses du peintre. L’artiste a cherché à rendre, à travers une scène de genre, la mélancolie inhérente à la prise de conscience du temps qui passe. D’après Malcolm Warner[2], Millais aurait puisé le sujet de son tableau dans les jardins de sa propriété de Perth en Ecosse, les critiques évoquent généralement l’influence des vers de Tennyson[3] (pour qui le peintre éprouvait une vive admiration) :
Tears, idle tears, I know not what they mean,
Tears from the depth of some divine despair
Rise in the heart, and gather to the eyes,
In looking on the happy autumn-fields,
And thinking of the days that are no more.

Description et composition du tableau

Au premier plan, quatre jeunes filles entourent un tas de feuilles destinées à être brûlées, deux d’entre elles (les plus âgées) sont vêtues de robes noires et alimentent le feu, l’une tient la corbeille remplie de feuilles, l’autre les jette sur le tas dont s’échappent déjà quelques fumerolles. La ressemblance des deux jeunes femmes est frappante, accentuée par la similitude de leurs tenues vestimentaires. A leur gauche, une jeune fille et une fillette vêtues plus grossièrement participent à la scène : l’une tient le manche de ce qui doit être un râteau ; l’autre, une pomme à la main, contemple le feu d’un air rêveur. Toujours d’après Malcolm Warner, les deux jeunes femmes en noir seraient les belles-sœurs de Millais (Alice et Sophie Gray) et les deux autres modèles, deux jeunes filles de Perth.
A l’arrière-plan, l’obscurité envahit une campagne vallonnée, quelques silhouettes de peupliers se dressent, décharnées, en direction d’un ciel jauni par le couchant. Les contrastes occasionnés par les jeux de lumières sont saisissants et contribuent à l’atmosphère onirique qui émane du tableau. La lumière vient frapper le tas de feuilles mortes qui se détachent ainsi particulièrement sur le fond noir d’encre des robes. De la même façon, les visages des deux belles-sœurs de Millais semblent surgir de la nuit, encadrés par l’arrière-plan ténébreux de la campagne et le noir profond de leurs tenues.
Le premier plan du tableau semble obéir à un principe de composition parabolique : le tas de feuille forme une parabole qui part du sol et dont le sommet est orienté vers le centre du tableau, cette première parabole est cernée par une deuxième parabole que l’on obtient en joignant comme autant de points, par une ligne, les visages des jeunes filles. Le peintre établit donc un rapport quasi-géométrique entre le tas de feuilles et le groupe féminin. On notera la récurrence du motif parabolique dans les chevelures des jeunes belles-sœurs entourées d’une discrète aura lumineuse.
L’arrière-plan semble, quant à lui, construit selon un principe de perspective frontale orientée vers un point de fuite qui serait situé à la droite du tableau, à la jonction du ciel et de la terre. Le peintre accentue ainsi l’effet de profondeur ; il établit aussi un contraste entre l’arrière-plan livré aux ténèbres et le premier plan qui saisit, dans l’espace de la parabole, l’intimité d’une scène domestique.

Interprétation

Tous les commentateurs ont noté l’aspect solennel, de la scène, la gravité des deux jeunes femmes en noir dont les gestes ressemblent à l’accomplissement d’un rite. L’expression absente de la jeune fille au râteau et le recueillement de la petite fille qui tient la pomme confirment cette atmosphère quasi religieuse.
Le parallélisme de la composition du premier plan semble suggérer une analogie entre les jeunes femmes dont le peintre saisit un instant de vie éphémère et les feuilles mortes, images de la destinée humaine. 

La suite ; 

http://www.ecoledeslettres.fr/index.php?mode=rs&ot=&nl=0&p=article_fiche&ra=12131

[1] Le mouvement (la confrérie) préraphaélite nait de la rencontre de trois jeunes peintres (Rossetti, Hunt et Millais) qui voient dans l’œuvre de Raphaël une « corruption » de l’art. Ils affichent donc la volonté de revenir aux principes de l’art primitif italien. Ils suivent en cela les conseils du critique Ruskin qui dans Les peintres modernes fustige l’académisme de la peinture anglaise de l’époque. S’ils représentent volontiers le Moyen-Âge ou des scènes tirés de la littérature contemporaine, les préraphaélites manifesteront toujours des préoccupations d’ordre moral et social.
[2] Peter Funnell, Malcolm Warner, Kate Flint, H.C.G. Matthew, Leonée Ormond, Millais, portraits, Princeton University Press, 1999.
[3] Poème lyrique publié dans The Princess, en 1847. Traduction approximative : « Larmes, vaines larmes, je ne sais ce qu’elles signifient, / Les larmes issues des tréfonds d’un divin désespoir / S’élèvent du cœur et affluent dans les yeux, / Lorsque contemplant le bonheur des champs d’automne / Je pense aux jours qui ne sont plus.

vendredi 2 septembre 2016

Solitude de Juliette

Sur le thème de la solitude du personnage tragique, l’étude qui suit propose un commentaire de la scène 5 de l’acte III du Roméo et Juliette de Shakespeare, il s’agit d’un moment clé, celui où Juliette prend soudain pleinement conscience du tragique de sa situation puisqu’elle se voit abandonnée de tous. Le professeur de troisième pourra utiliser cet extrait pour initier ses élèves à l’exercice du commentaire, trop souvent déroutant pour l’élève de seconde. Il ne s’agit évidemment pas de faire produire un commentaire complet à une classe de troisième mais de faire observer une structure d’entrainer à la rédaction de paragraphes analytiques… Les nouveaux sujets de brevet n’étant plus guidé par une logique de la structuration en « axes de lecture », l’exercice n’en sera que plus utile. Le tableau de Waterhouse, intitulé Juliette ou Le Collier de perles bleues relève clairement de la problématique « art, mythes et religions » qu’on peut aborder en classe de troisième, dans le cadre de l’histoire des arts. Il s’agira de montrer comment un peintre de la fin du XIXe s’empare d’une figure mythique pour la revivifier et lui donner sens. Si l’œuvre de Waterhouse peut sembler familière aux élèves ses tableaux étant fréquemment convoqués pour illustrer les manuels, l’homme est peu connu et peu étudié, y compris dans les usuels, nous avons jugé bon de développer un peu sa biographie.

1. Etude de texte, extrait de Roméo et Juliette, III, 5, pp. 98-100, de « Ah, si vous ne vous mariez pas… » à la fin de la scène, éd. l’école des loisirs, 2006.

Pour faciliter les repérages dans le texte, nous avons numéroté les vers de 5 en 5, sans tenir compte des didascalies,.

 

Avec Roméo et Juliette Shakespeare module, sur le thème des amants malheureux, l’une des versions les plus poignantes de l’histoire littéraire. Le mythe existait avant Shakespeare, le dramaturge élisabéthain lui donne une forme et des accents inédits. Tragédie absolue, Roméo et Juliette n’entre évidemment pas dans les canons de la tragédie classique française, Shakespeare ne se soucie d’aucune sorte de règle, il subordonne son sens de la dramaturgie à l’effet recherché, il s’agit de manifester dans toute son absurdité l’horreur d’une société patriarcale qui a fondé son honneur sur la violence. Les Capulet et les Montague, deux nobles familles de Vérone sont ennemis de toute éternité, leurs héritiers respectifs Juliette et Roméo tombent amoureux l’un de l’autre et se marient secrètement. L’acte III voit l’action se précipiter : Roméo banni par le duc Escalus, pour avoir tué Tybaldt le cousin de Juliette a dû quitter Vérone. Juliette doit seule affronter ses parents qui ont décidé de la marier au comte Paris. Opposée à des adultes inflexibles, Juliette apparait de plus en plus seule et incarne la tragédie de la jeunesse meurtrie.

 

[1. Des adultes inflexibles et versatiles]

Le père de Juliette se montre particulièrement inflexible, et il ne cesse de la menacer des pires maux si elle refuse d’obéir à sa volonté. Les subordonnées hypothétiques dessinent une gradation (« si vous ne vous mariez pas… », « Si vous êtes ma fille… », « Si tu ne l’es plus… ») qui traduit le cheminement de son raisonnement : ne pas lui obéir c’est le désavouer et conséquemment s’exclure du cercle familial. Le menace est tantôt formulée au futur (« vous ne logerez plus avec moi », « jamais je ne te reconnaîtrai »), tantôt à l’impératif (à nouveau sous la forme d’une gradation, « va au diable, mendie, meurs de faim. ») : le futur présente les conséquences d’une désobéissance comme une certitude, l’impératif exprime une série de malédictions qui manifestent la fureur du vieux Capulet. Son mépris se traduit par le passage du vouvoiement au tutoiement (dans le texte anglais « you » devient « thou ») et l’utilisation de termes dépréciatifs : « Allez paître ou vous voudrez », Juliette se voit ainsi assimilée à une tête de bétail. Ce faisant Shakespeare rappelle malicieusement l’injustice qui frappe la femme dans cette société médiévale où elle sert de monnaie d’échange. L’attitude du père Capulet semble d’autant plus incompréhensible qu’on l’avait vu, dans la scène 2 de l’acte I, s’entretenir avec Paris et subordonner le mariage de sa fille au consentement de cette dernière.

Face à la supplication de Juliette (« Oh mère bien aimée, ne me rejetez pas »), le comportement de lady Capulet est tout aussi cassant : aux injonctions qu’elle profère (« Ne me parle plus.. », « Fais ce que tu voudras… ») succèdent des constats au présent d’énonciation : « je n’ai rien à te dire », « entre toi et moi, tout est fini ». Alors que le père laisse à Juliette le temps de la réflexion, sa mère rompt immédiatement le dialogue, mettant en acte les menaces du père. Le spectateur voit se concrétiser en cet instant une difficulté relationnelle qui transparaissait déjà quelques scènes plus tôt (I, 3) : lorsqu’il s’agissait d’entretenir Juliette de son futur mariage, lady Capulet ne pouvait se résoudre à le faire seule et invitait la nourrice à assister à l’entretien.

Juliette se tourne alors tout naturellement vers sa nourrice, la confidente de toujours, mais son attitude s’avère tout aussi décevante puisque, contre toute attente, elle lui conseille d’épouser le comte. Son raisonnement se veut pragmatique, puisque Roméo ne peut désormais visiter Juliette qu’à la dérobée (v. 24) et que ce mariage ne peut que lui « être bon à rien », autant épouser le comte Paris. L’« aimable gentilhomme » vaut mieux que ce « torchon » de Roméo. La nourrice ne perçoit sans doute pas à quel point ses paroles peuvent heurter Juliette qui n’en croit pas ses oreilles. Elle feint toutefois la repentance et dans le monologue final laisse transparaître ses sentiments, traitant la nourrice de « vieille damnée », d’« abominable démon » (v. 43) et soulignant l’incohérence de la vieille femme en utilisant l’antithèse « ravaler » / « exalté » qui traduit parfaitement son inconséquence.

 

[2 La solitude de Juliette]

A l’issue de cette scène la solitude de Juliette est extrême : mise en demeure d’épouser le comte Paris qu’elle réprouve, elle se retrouve seule, confrontée à une situation sans issue.

Le mouvement de la scène manifeste cet isolement progressif dont l’héroïne est victime, les didascalies se résument à une succession de « Il (Elle) sort ». Tous ses proches lui tournent le dos, la laissant de façon de façon symbolique, la fin de cet acte, seule en scène.

Cette solitude, Juliette la pressent, puisque qu’avant de s’adresser à sa mère, elle se retrouve déjà en situation de monologue « N’y a-t-il pas de pitié, planant dans les nuages, /qui voie au fond de ma douleur ? » (v. 10). Elle en appelle à Dieu, métonymiquement désigné par la pitié avant de prier sa mère de « simplement » repousser ce mariage. Juliette voudrait obtenir ne serait-ce qu’un délai qui lui permette de se retourner pou faire face à cette situation nouvelle.

Elle presse alors sa nourrice de l’aider : « Console-moi ! Conseille-moi ! » (v. 19). Les impératifs traduisent la nécessité dans laquelle, elle se trouve. Le cynisme de la nourrice n’en paraît que plus révoltant et l’on comprend la réaction de Juliette. « Tu m’as merveilleusement consolé », constate-t-elle ironiquement. Dès cet instant, le ton a changé et Juliette est déterminée à agir par elle-même. En quelques secondes elle a pris la décision de recourir aux bons soins de frère Laurent. Et le spectateur comprend que l’absolution à laquelle elle prétend aspirer n’est qu’une ruse.

Dans le monologue final où elle peut laisser éclater ses sentiments, Juliette explicite les griefs qu’elle a désormais contre sa nourrice : « Je ne sais quel est ton plus grand crime, ou de souhaiter que je me parjure / Ou de ravaler mon seigneur de cette même bouche / Qui l’a exalté au-dessus de toute comparaison. » (v. 44-46). Elle s’indigne contre l’inconséquence de cette femme qui l’a aidé à épouser Roméo et qui l’engage à trahir l’un des sacrements de l’église.

 

[3. Une héroïne tragique}

Juliette apparait bien comme une héroïne tragique : prise au piège d’une situation sans issue, elle ne dispose que de ses seules forces pour lutter et semble victime d’une manipulation tragique.

Rejetée de tous, Juliette s’est lancée seule sur des chemins d’infortune. Mariée à Roméo qu’elle ne peut appeler à son aide puisqu’il est banni. Elle constate d’abord le retournement de son père. « Laissons deux été encore se flétrir dans leur orgueil, / Avant de la juger digne pour le mariage », conseillait-il (p. 18) au comte Paris. Or voilà que tout à coup il change d’avis et va même jusqu’à précipiter le mariage. Tel un agent du destin il semble vouloir conduire Juliette à sa ruine. L’attitude de Lady Capulet est tout aussi étrange. Juliette lui fait entrevoir la possibilité de sa mort prochaine : si on persiste à vouloir ainsi la marier, elle l’enjoint à dresser « le lit nuptial / Dans le sombre monument où Tybaldt repose. » Avec la périphrase qui évoque la mort récente de son cousin, Juliette espère susciter une réaction de compassion chez sa mère. Or il n’en est rien.

Juliette se trouve donc confrontée à l’étrange inflexibilité de ses parents et à la trahison de sa nourrice. « Se peut-il, s’écrie-t-elle, que le ciel tende de pareils pièges / à une créature aussi frêle que moi ? » François-Victor Hugo a choisi de traduite l’anglais « stratagem » par « piège », les deux mots sont éloquents, le « Ciel » et toute sa puissance s’acharnent à détruire celle qui se définit en tant que « frêle créature ». N’est-ce pas là l’essence du tragique ?

Et si piège il y a, il est bien infernal car Juliette est prise au cœur d’un dilemme. Elle ne balance pas, ainsi que pourrait le faire croire le conseil grossier de la nourrice entre se marier à Paris et rester fidèle à Roméo. « Entre toi et mon cœur, conclut Juliette dans son monologue, il y a désormais rupture. » Pas une seconde elle n’envisage de porter crédit au conseil de la nourrice qui est à la fois parjure et ignominie. Son dilemme consisterait plutôt à avouer ou ne pas avouer son mariage secret à ses parents.

Mais ces derniers lui ont déjà semble-t-il fermé les portes. « Si vous êtres ma fille, lui assenait son père, je vous donnerai à mon ami » (v. 1). Il se trouve elle a déjà fait le choix de l’ennemi, elle n’est donc plus la fille de son père, plus digne de l’héritage des Capulet. Comment dès lors pourrait-elle annoncer à son père qu’elle a épousé son ennemi ? La tragédie de Juliette est la tragédie d’une parole qui s’enferme, d’une vérité indicible parce que contraire à la coutume.

Juliette est bien victime d’un stratagème, qu’il vienne, comme elle le pense, du ciel ou d’un calcul de ses parents. La mécanique tragique est enclenchée et la jeune héroïne n’a d’autre ressource que de confirmer l’amour et le lien qui l’unissent à Roméo.

 

Conflit de génération, solitude, tragédie de l’innocence confrontée à la machine infernale d’une société coercitive, tout conduit les jeunes héros au drame. Leur mort sera d’autant plus absurde qu’il était mille moyens de l’éviter mais l’essence du tragique n’est-elle pas de manifester le caractère illusoire de la liberté humaine ? Shakespeare, mieux qu’aucun autre a su dompter les rouages de cette machine à broyer les destinées qu’est la tragédie, de Roméo et Juliette à Macbeth son théâtre module toutes les voies de la folie humaine.

2. Waterhouse

John William Waterhouse était sans doute prédestiné à la peinture puisque ses deux parents, d’origine britannique, étaient eux-mêmes peintres. Il nait à Rome en 1849 et suit ses parents qui ont décidé de rentrer en Angleterre en 1854. Sa mère décède trois ans plus tard de la tuberculose et son père se remarie en 1860. Il reçoit une éducation classique dans une école de Leeds – sa famille paternelle était originaire du Yorkshire ‑ que ses biographes ne sont pas parvenus à identifier. Pendant ses neuf années d’étude, sa famille occupe différents logements dans le quartier de Kensington et lorsqu’il revient à Londres, le jeune John William que tout le monde surnomme « Nino » travaille avec son père avant d’être admis comme étudiant en sculpture à l’école de la Royal Academy. Ses premières expositions à la Society of british artists manifestent l’influence de peintres néo classiques comme Alma-Tadema et Frederick Leighton.

Ses toiles sont remarquées et la première de ses œuvres acceptée par la Royal Academy pour son exposition estivale annuelle est une scène mythologique et allégorique, Le Sommeil et sa demi-sœur, La Mort. En 1877, il voyage en Italie, visite Pompéi sous le charme de laquelle il tombe, il produit alors des scènes de genre inspirées de l’antiquité. Waterhouse qui est désormais un peintre reconnu épouse Maria Kenworthy – elle-même peintre – en 1883, la même année, l’un de ses tableaux antiques, Les Favoris de l’empereur Honorius est acheté par l’Art Gallery of South Australia.

Le jeune couple s’installe non loin de Primrose Hill au nord-ouest de Londres, où Waterhouse a loué un atelier, son penchant pour l’occultisme et les rites magiques s’affirme dans les grandes œuvres qu’il peint entre 1884 et 1887 (La Visite à l’oracle, Sainte-Eulalie, Le Cercle). Ces peintures dramatiques accroissent son prestige et lui valent d’être associés à la Royal Academy où il donnera désormais des cours de façon ponctuelle. Sa Mariamne, toile de grand format qui représente la martyre juive (1888), est primée aux expositions universelles de Paris, Chicago et Bruxelles.

Avec La Dame de Shalott – qui constitue probablement sa toile la plus connue – Waterhouse reprend les thèmes d’inspiration préraphaélites. Le tableau illustre le fameux poème de Tennyson et fait écho à l’Ophélie de Millais (exposée à Londres en 1886), le motif décadent de la femme associée à l’eau et à la mort ne va cesser de le hanter, il reprendra deux fois le motif de la Dame de Shalott en 1894 et 1914) et proposera sa propre version d’Ophélie en 1889. L’échec de ce tableau qu’il ne parvient pas à vendre, la mort de son père l’année suivante le conduiront à modifier son inspiration et sa technique.

Après un nouveau voyage en Italie, il s’appuie sur les classiques antiques pour composer des scènes colorées qui vont remporter de grands succès : Ulysse et les Sirènes (1891), Circé offrant la coupe à Ulysse (1892)…

Sa Sainte-Cécile, présentée en 1895 reçoit des critiques un accueil favorable, ces derniers voient en lui une sorte d’héritier naturel des préraphaélites dont les principaux instigateurs viennent de mourir (Burne Jones, Millais). Il est élu académicien la même année et siégera au comité directeur jusqu’en 1911. En 1897 son Hylas et les nymphes crée l’événement lors de l’exposition à la Royal Academy, il y met en scène de façon saisissante la fatale attraction érotique des jeunes femmes sur le compagnon d’Hercule.

Durant ses dernières années, il ne cesse de peindre, les portraits féminins constituant l’essentiel de sa production. Un modèle qu’on n’a jamais pu identifier de façon certaines y apparaît plus de soixante fois, il pourrait s’agit d’une certaine Muriel Foster. C’est la désaffection des critiques pour les illustrations de récit qui  conduit Waterhouse à réaliser des portraits de femmes dans un cadre champêtre. Il revient néanmoins vers la fin de sa vie à aux œuvres et mythes littéraires (Pénélope et les prétendants – 1912 ; Dante et Beatrice, 1915 ; MirandaLa Tempête (de Shakespeare), 1916. Il meurt chez lui, victime d'un cancer de foie, en 1917.

Juliet or The blue necklace,

 

Description

Le tableau est d’abord remarquable par sa composition : Juliette, de profil, saisie en plan américain occupe le premier plan, à sa droite, au second plan : un cours d’eau et les parapets des digues qui le contiennent. La scène n’offre pour tout horizon que les murs des maisons qui enserrent Juliette. Derrière la jeune fille (à droite pour le spectateur) un pont de pierre enjambe le cours d’eau. Juste au dessus de sa tête, on distingue un petit fragment de ciel entre deux maisons. Dans ce décor un peu oppressant, Juliette est seule, elle se dirige vers la gauche mais le peintre semble l’avoir saisie comme figée dans un moment d’hésitation. Peter Trippi[1] y voit une caractéristique de l’art de Waterhouse qui, selon lui, évitait « toute forme d’action énergique au profit d’une immobilité qui exprimait les moments clés du récit. »

Juliette porte la main à son collier, un bijou composé de perles bleues, le sous-titre du tableau the « Blue necklace » ainsi que son positionnement il est au centre du tableau à la croisée des deux diagonales en font un objet emblématique. Juliette est une jolie jeune femme brune dont le modèle demeure mystérieux. Waterhouse était un peintre secret qui n’a laissé ni journal ni correspondance suivie, seules quelques notes permettent d’identifier ses modèles. Néanmoins, comme le fait remarquer Peter Trippi[2] « Dans la tradition académique, il dépassait [les] particularités [de ses modèles] pour créer son propre type de beauté féminine idéalisée, reconnaissable au premier coup d’œil. » Juliette est la parfaite incarnation de cette beauté idéalisée : teint pâle, rehaussé d’une légère carnation rosée, œil mélancolique, opulente chevelure brune. Elle est vêtue d’une robe rouge et blanche, un fin diadème doré orne et retient sa chevelure. Vêtements et parures discrètes signent la noblesse de la jeune femme.

La composition générale du tableau est des plus simples : les horizontales (fleuve, parapets), murs des maisons dominent. La silhouette de Juliette, prolongée par le fragment de ciel bleu au dessus de viennent trancher verticalement sur ces parallèles.

 

Eléments d’interprétation

 

Il n’y a dans le pièce de Shakespeare qu’un seul moment où Juliette ait pu circuler seule dans Vérone, ce sont les instants qui font suite à la scène que nous avons étudiée. Les conventions de l’époque faisaient qu’une jeune femme de la noblesse ne pouvait sortir de chez elle sans être accompagnée. Mais voilà que Juliette est seule, sa nourrice, celle qui depuis le début lui a servi de confidente et d’adjuvant, vient de la trahir : « Entre toi et mon cœur, a conclu Juliette, il y a rupture ». Elle ne peut compter que sur le frère Laurent et sur elle-même. C’est donc seule qu’elle fait le déplacement jusqu’à la cellule du frère. Et c’est ce moment intensément dramatique que Waterhouse choisit de représenter.

On comprend dès lors le moment d’hésitation que peut éprouver l’héroïne, elle a certes opté pour la rupture mais une telle rupture ne peut se faire sans appréhension. C’est à sa famille, à son univers social et à son enfance qu’il lui faut dire adieu et, si l’on entre dans les vues du Destin, c’est à la vie elle-même qu’elle tourne le dos. Waterhouse a parfaitement intégré toutes les données du problème qu’il condense avec habileté dans une scène très dépouillée mais très signifiante. Elizabeth PretteJohn fait remarquer que Waterhouse « est capable de dramatiser un récit pictural avec une telle clarté qu’il le rend immédiatement intelligible, si complexes que soient ses connotations littéraires ou ses messages secrets. »[3]

 

L’omniprésence de la pierre symbolise le carcan qu’ont érigé les deux maisons rivales autour de nos deux amoureux. Ce sont les vieilles familles de Vérone qui ont construit la ville : la pierre, les maisons sont donc l’œuvre des pères. Le tableau scinde cet univers de pierre en séries de deux ensembles eux même symboliques (de l’antagonisme Capulet / Montague) : il y a deux maisons, à l’arrière plan, deux rives qu’un pont de pierre fait se rejoindre. On peut y déceler la représentation métaphorique du mariage de Roméo et Juliette – qui ont uni les maisons Montague et Capulet ‑mais il est à noter que Juliette lui tourne le dos, leur mariage est derrière elle, inavouable. Sa nourrice vient même de l’inciter à l’ignorer. Est-ce le souvenir de son union à Roméo qu’elle invoque pour se donner la force de continuer ?

Les eaux du fleuve, derrière Juliette viennent nous rappeler une association récurrente dans l’œuvre du peintre. La femme l’eau la mort s’allient en un balai que la fin de siècle n’a de cesse de mettre en scène à travers les figures d’Ophélie, de la dame de Shalott, des sirènes ou des naïades qui attirent Hylas au fond de l’eau. Waterhouse a abordé ou abordera tous ces motifs. L’eau, symbole féminin est aussi celui d’une attraction fatale. Le fleuve derrière Juliette rappelle donc ce thème de la mort – les eaux du Styx ‑mais il est aussi une image du destin en marche. Juliette va ici a contrario du courant qu’elle semble remonter, la direction que le peintre lui assigne – elle va vers la gauche – contrarie nos habitudes de lecture et rend plus perceptible la difficulté de l’entreprise. En se rendant chez frère Laurence elle tente l’effort ultime qui lui permettrait de rejoindre celui qu’elle aime.

Mais les signes funestes se multiplient. Ce pont qu’ont construit Roméo et Juliette par leur mariage ressemble à une bouche d’ombre où le fleuve va s’engloutir, dans sa partie supérieure, il conduit au ciel qui n’est lui même qu’un petit rectangle pâle à peine visible et le décor de pierre préfigure les murs du tombeau qui attendent la jeune fille.

La dimension tragique du personnage nous apparaît dès lors d’une façon particulièrement intense : le décor rugueux, minéral fait ressortir sa jeunesse et sa fragilité. La robe rouge et blanche symbolise les contradictions de l’héroïne : malgré son jeune âge, elle est une femme mariée qui a connu l’amour – l’une des scènes les plus touchantes de la pièce est la scène dite du « rossignol » où les deux amants se disent adieu après une nuit d’amour. Si le rouge est la couleur du désir, elle est aussi celle de la terre et de la chair. Dans la tradition picturale occidentale il n’est pas rare de voir la vierge Marie vêtue de rouge et de bleu, les deux couleurs renvoyant à sa double nature (terrestre et divine). Le blanc de la robe de Juliette rappelle la jeunesse et la pureté du personnage, il est peut être aussi le signe annonciateur du linceul.

Le moment d’hésitation que saisit le peintre a tout du fameux dilemme tragique. Les signes funestes se sont multipliés dans la pièce et il est normal que Juliette hésite à faire face à son destin. Elle triture machinalement un énigmatique collier de perles dont la couleur rappelle celle du des eaux du fleuve. Il n’est pas fait mention de l’objet dans la pièce de Shakespeare ; Waterhouse semble néanmoins vouloir lui conférer une signification particulière. La perle est traditionnellement associée à Vénus – à l’amour donc. Par sa couleur elle rappelle aussi la lune et renvoie à la féminité. Le dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrandt nous apprend que, « précieuse », elle « symbolise le royaume des cieux ». La perle est pure« parce qu’elle est réputée sans défaut, qu’elle est blanche, que le fait d’être tirée d’une eau fangeuse  ou d’une coquille grossière l’altère pas. »

C’est sans doute sur la dénaturation de sa couleur habituelle que Waterhouse attire notre attention, y compris dans le titre. La perle dont il fait ici état n’est pas celle qui symbolise le royaume des cieux. La religion de Juliette n’est pas celle du christ, elle lui est antérieure. Toujours selon chevalier et Gheerbrandt, la perle joue « un rôle de centre mystique », « elle ressemble, poursuivent-ils plus loin, à l’homme sphérique de Platon, image de la perfection et des fins de l’homme » Juliette fait le choix, au mépris des conventions, de rejoindre Roméo de reformer l’androgyne qui leur préexistait. Sa solitude n’est donc que temporaire et dans le fleuve du destin, par-delà la mort, elle finira par retrouver celui qu’elle aime. Il n’est pour les amants de plénitude possible que dans cette eau qui est aussi la mort.

 

Le tableau de Waterhouse illustre donc parfaitement, cet instant particulièrement tragique où Juliette, à la croisée des chemins, décide de contrevenir aux normes familiales et sociales. Il manifeste, comme le signalait Elizabeth Prettejohn, un sens et une compréhension des enjeux du texte particulièrement affûtés. On pourra en guise d’ouverture montrer aux élèves d’autres représentations tirées de l’univers de Shakespeare, Waterhouse s’est emparé par deux fois du personnage de Miranda dans La Tempête (en 1875 et en 1916) la comparaison des deux tableaux pourra faire ressortir l’inclination grandissante du peintre envers le romantisme. Sa Marianne dans le midi de 1887, traduit par ailleurs une parfaite intelligence du personnage qui apparaît dans la comédie, Mesure pour Mesure.

 

Peter Trippi, Elizabeth Prettejohn, Robert Upstone, J. W. Waterhouse, 1849-1917 : le préraphaélite moderne, Ed. BAI, 2009.

Peter Trippi, J. W. Waterhouse, Phaidon, 2004.

Anthony Hobson, J. W. Waterhouse, Phaidon, 1992.



[1] J.W. Waterhouse, le préraphaélite moderne, PHAIDON, 2011.

[2] Ibid.

[3] Ibid.


dimanche 29 novembre 2015

Sylvia Plath dessinatrice

L'édition des dessins chez Faber
 & Faber, 2013.
Un peu de vacance entre deux travaux, je feuillette des recueils de poèmes, des livres oubliés, et je tombe sur ce Sylvia Plath Drawings, acheté à Exeter il y a deux ans. L'ouvrage préfacé par Frieda Hughes, la fille de l'artiste, donne à voir des esquisses ou des dessins achevés classés en ensemble géographiques :
"Drawings from England"
"Drawings from Paris"
"Drawings from Spain"
"Drawings from USA"
Autant d'étapes dans la courte vie de cette femme remarquable.
Study of shoes, 1956
Dans les dessins d'Angleterre, ces chaussures abandonnées, au-dessus, The Bell Jar, titre de son futur roman qui sera publié en 1963. SP (Sylvia Plath?) sous le talon de la chaussure gauche. Le roman est aussi un livre sur la vacuité, ces chaussures abandonnées qui ne semblent pas savoir quelle direction emprunter sont déjà tout un programme.
Wuthering Heights Today, 1956
Sylvia s'était rendue à Haworth, avait pris le temps de se rendre à Top Withens et réalisé cette encre sur papier. Les Hauts avaient encore un toit. Curieux cette propension qu'ont bien des poètes à vouloir dessiner. Le vers est bien une ligne (étymologiquement un sillon dû à la charrue), Emily Brontë aussi dessinait. Le trait du poète est ici celui d'un d'une artiste qui découpe sans hésitation dans le réel pour en donner sa vision, personnelle et universelle, Sylvia plath a indéniablement saisi quelque chose des Hauts de Huele-Vent désertés par Heatcliff depuis longtemps.
The pleasure of odds and ends, 1957
Toujours cette idée d'abandon des choses.
On croit entendre Baudelaire
"Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées
Où git tout un fouillis de modes surannées
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher
Seuls respirent l'odeur d'un flacon débouché."

Nature morte. L'un de ses baraquements encombrés qu'on ne s'étonnerait pas de trouver dans un roman d'Eskirne Caldwell. Et de l'Angleterre aux Etats-Unis toujours ce même et lancinant sentiment d'abandon.

L'ouvrage est encore disponible sur Amazon UK
http://www.amazon.co.uk/Sylvia-Plath-Drawings-Frieda-Hughes/dp/0571295215

samedi 5 octobre 2013

"Autoportrait" de Man Ray

Le Bulletin officiel du 14 mars 2013, qui spécifiait l’entrée au programme de littérature de terminale des Mains Libres, le recueil de dessins de Man Ray illustrés par Éluard, suggérait à titre de piste bibliographique la lecture de l’Autoportrait du même Man Ray. L’ouvrage, publié un an après sa parution en anglais (Self Portrait, 1963) chez Robert Laffont, est désormais réédité chez Actes Sud et constitue de fait une excellente introduction à l’extraordinaire ébullition artistique de l’entre-deux-guerres. 
 Man Ray y retrace d’abord son parcours d’artiste éclectique dans le New York d’avant les années folles, puis de photographe dans le Paris avant-gardiste des années 20 et 30, il évoque enfin son retour à Paris (et à la peinture) après la deuxième guerre mondiale. 

- See more at: http://www.ecoledeslettres.fr/blog/litteratures/8278/#sthash.WCpC1B6S.dpuf

lundi 5 mars 2012

"Autumn leaves" de Millais


Article publié dans le n° 5 de l'Ecole des lettres, 2011-2012

Le tableau de John Everett Millais intitulé Feuilles d’automne (Autumn Leaves) appartient à un « triptyque » dans lequel le peintre affirme une doctrine de l’art pour l’art qui l’éloigne du préraphaélisme dont il a pourtant été l’un des piliers et membres fondateurs.

En effet, avec Dante Gabriel Rossetti et William Holman Hunt, il a vu dans l’oeuvre de Raphaël une « corruption » de l’art et fondé, en 1848, la confrérie des préraphaélites, dont la volonté affichée était de revenir aux principes de l’art primitif italien.

Elle suivait en cela les conseils du poète et critique d’art John Ruskin qui, dans les Peintres modernes, fustigeait l’académisme de la peinture anglaise de l’époque. Et, si les préraphaélites représentaient volontiers le Moyen Âge ou des scènes tirées de la littérature contemporaine, ils manifestaient toujours des préoccupations d’ordre moral et social.
Avec La Jeune Fille aveugle (1856), Feuilles d’automne (1856) et Printemps (1859), les trois volets de ce triptyque, Millais, désormais membre de la Royal Academy, manifeste sa liberté retrouvée. Dans La Jeune Fille aveugle, qui s’appuie pourtant sur un thème à vocation sociale (l’errance des enfants sans famille), le peintre évite tout misérabilisme et met en image une communion heureuse de l’homme avec la nature. Quant à Feuilles d’automne, tableau « sans sujet », selon la propre femme de l’artiste, il constitue l’une des oeuvres les plus mystérieuses du peintre.
Millais a cherché à restituer, à travers une scène de genre, la mélancolie inhérente à la conscience du temps qui passe. D’après Malcolm Warner *, il se serait inspiré des jardins de sa propriété de Perth, en Écosse ; les critiques évoquent généralement aussi l’influence de ces vers d’Alfred Tennyson, pour qui le peintre éprouvait une vive admiration :

Tears, idle tears, I know not what they mean, 
Tears from the depth of some divine despair 
Rise in the heart, and gather to the eyes, 
In looking on the happy autumn-fields, 
And thinking of the days that are no more. 
(The Princess, 1847).

Larmes, vaines larmes, je ne sais ce qu’elles signifient,
Les larmes issues des tréfonds d’un divin désespoir
S’élèvent du coeur et montent aux yeux,
Lorsque contemplant le bonheur des champs d’automne
Je pense aux jours qui ne sont plus.

1. Composition du tableau
2. Interprétation

vendredi 25 novembre 2011

Théophile Gautier

Deux articles sur l'ami Théophile qui m'ont réconcilié avec cet esthète, "poète impeccable", ciseleur incomparable de phrases.


Séquence n° 1 : Groupement de texte, Théophile Gautier et le roman historique. La séquence comporte une analyse d'une Gravure de Fernand Siméon.

Étape 1 : Ouverture du Capitaine Fracasse. Revoir les caractéristiques et la finalité d’un texte descriptif, faire saisir notamment la portée symbolique d’une description. Première approche du
concept de roman historique.

Étape 2 : Portrait de Lord Evandale in le Roman de la Momie. S’entrainer à la rédaction d’un texte descriptif, utiliser un vocabulaire précis.
Étape 3 : Extrait du Roman de la momie . Définir de façon plus précise le roman historique par sa dimension éminemment romanesque et son rapport à l’histoire.
Étape 4 : Extrait de Mademoiselle de Maupin. Analyser un topos littéraire fréquent dans le roman historique : le duel à l’épée, en comparant la scène à un extrait du Capitaine Fracasse. Relever les marques de l’ironie.
Étape 5 : Gravure de Fernand Siméon. Dans le cadre de l’histoire des arts, analyser une gravure et les effets de sens qu’elle met en avant.
Étape 6 : Entrainement à l’expression écrite. Rédaction d’un dialogue tenant compte des éléments de la scène représentée par la gravure précédemment analysée.
Étape 7 : Travaux réalisés au cours de la séquence et documentation d’un CDI  Synthétiser les notions littéraires aborder et situer l’œuvre romanesque de Gautier au sein du romantisme européen. Les exposés réalisés par les élèves serviront d’élargissement.

Étape 8 : Evaluation: Sujet d’expression écrite.

Séquence n° 2 : Mademoiselle de Maupin, roman épistolaire.

Le bicentenaire de la naissance de Théophile Gautier provoque son lot  d’études, de biographies et de rééditions. Parmi celles-ci, nous saluerons l’entreprise originale de l’école des loisirs qui, dans la collection « classiques abrégés », publie Mademoiselle de Maupin à destination des collégiens et lycéens. En effet, il est audacieux d’aborder ce premier roman d’un jeune auteur romantique qui longtemps n’occupa les manuels qu’en raison d’une préface retentissante, brillante et un brin outrancière. 
Les temps changent mais le propos du roman demeure scandaleux : l’héroïne Madeleine de Maupin, se travestit en homme et le fait si bien qu’elle finit par ressentir les désirs d’un homme et susciter même les passions de ses compagnes féminines. Le roman s’achève d'ailleurs de façon bien leste à la manière d’un roman libertin  et Gautier réussit ainsi à tromper toutes les attentes. Le lecteur du XIXe qui connaissait la légende de Madeleine de Maupin, n’aura en guise d’aventures qu’une parodie de cape et d’épée ; les admirateurs de la modernité romantique verront leurs certitudes ébranlés ...

Étape 1 : Lecture analytique de l’ouverture du chapitre IX. Identifier les caractéristiques de l’écriture épistolaire, comprendre le dilemme moral qui assaille le jeune d’Albert et les stratégies qu’il met en place pour le résoudre.
Étape 2 : Lecture analytique d’un extrait du chapitre X. Retrouver les caractéristiques de l’écriture épistolaire, analyser la revendication féministe du roman et les raisons qui poussent l’héroïne à se travestir.
Étape 3 : Langue et expression. Savoir repérer et utiliser les catégories d’énoncés dans un devoir. S’entraîner à l’écriture épistolaire.
Étape 4 : Lecture analytique de l’ouverture du chapitre XIII. Analyser la rhétorique d’une lettre d’amour et notamment l’emphase, dans l’expression des sentiments.
Étape 5 : Vocabulaire . Conformément aux indications des nouvelles I.O., on enrichira le lexique des élèves en se fondant sur les textes proposés à la lecture.
Étape 6 : Lecture synthétique du dénouement. On réinvestira, dans cette dernière séance les notions abordées précédemment et on analysera les spécificités de ce dénouement à la fois ironique et ouvert.
Étape 7 : Evaluation. Sujet d’expression écrite.
Prolongements - Quizz permettant d’évaluer une lecture cursive des chapitres X à XVII.
- Suggestions pour une exploitation de l’œuvre en classes de lycée.


samedi 1 octobre 2011

"Le Livre de la Jungle" de Rudyard Kipling

Kipling a toujours été un de mes écrivains favoris. Idéologiquement suspect, il est plongé dans une sorte de purgatoire dont son génie devrait le tirer bientôt. La séquence qui suit est axée sur l'histoire des arts puisque s'y trouvent analysés. L'Illustration de couverture d'Henry Delaunay et le très bel Album de Mordicai Gerstein, L'Enfant sauvage.

Séquence publiée dans le n°1 de l'Ecole des lettres 2011-2012

Étape 1 : Situation du recueil.À partir du para-texte et des quelques documents complémentaires on amènera les élèves à comprendre ce que doit l’écriture romanesque à l’expérience de son auteur.
Étape 2 : Lecture analytique d’un extrait de la première nouvelle. L’épisode du « sauvetage » de Mowgli par le clan des loups de Seeonee nous permettra d’étudier la technique narrative de Kipling (une focalisation zéro qui multiplie les points de vue subjectifs et autorise le principe de l’« intrusion d’auteur ») et de faire saisir les enjeux du récit.
Étape 3 : Les valeurs du présent dans le récit. À partir d’une observation du texte précédemment étudié et d’une série d’exercices, on fera distinguer et utiliser les valeurs du présent de l’indicatif.
Étape 4 : Lecture synthétique de La Chasse de Kaa. L’étude de la nouvelle permettra d’appréhender
le thème de l’apprentissage, l’une des dimensions essentielles du recueil dont l’ensemble constitue un véritable roman d’apprentissage.
Étape 5 : Entrainement à l’expression écrite.  L’exercice d’écriture proposé aura pour effet de faire réinvestir les notions abordées au début de la séquence : valeurs du présent, narration avec intrusion d’auteur, anecdote à visée didactique.
Étape 6 : Analyse du récit de Hathi dans Comment vint la crainte. La séance aura pour objectif de faire saisir ce qu’est un conte étiologique, elle peut constituer une première approche de ce type de récit que le programme de sixième conduit nécessairement à explorer.
Étape 7 : Lecture d’image, l’illustration de couverture. La séance constitue un prolongement naturel à la précédente et permettra d’intégrer la réflexion sur l’histoire des arts à laquelle convient les nouveaux programmes. « Certains textes appellent un regard sur le travail des illustrateurs », rappellent les IO pour la classe de 6e.
Étape 8 : Analyse de la nouvelle intitulée L’ankus du roi. La nouvelle dont l’histoire se déploie en deux étapes distinctes permettra de définir ce qu’est la dimension initiatique du récit et de montrer en quoi les aspirations de Mowgli s’opposent aux valeurs de la civilisation.
Étape 9 : Étude de l’album de Mordicai Gerstein, L’enfant sauvage. On pourra, pour prolonger la perception que le récit de Kipling a donnée de la confrontation nature culture, proposer la lecture et une brève analyse de l’album de Mordicai Gerstein qui reprend avec talent l’histoire de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron.
Étape 10 : Le personnage de Mowgli. Après avoir évalué la lecture cursive de l’ensemble du recueil, on interrogera le personnage de Mowgli, son rôle dans les différentes intrigues, les significations qu’il prend dans le contexte d’une jungle métaphorique.

Étape 11 : Évaluation, sujet type D.N.B. conçu plus particulièrement pour une classe de quatrième, en vue d’une initiation aux épreuves de type D.N.B., l’évaluation présentée ici pourra aisément être adaptée au niveau de classe retenu par le professeur.

dimanche 1 mai 2011

"Les Âges de la vie" de Caspar Friedrich

"Les Âges de la vie" de Caspar Friedrich, 12 p., L'école des lettres n° 4-5, 2010-2011.

Comment aborder certaines notions littéraires par le détour de la peinture en 4e.

Le tableau de Caspar Friedrich sert de fil conducteur à une réflexion sur différents aspects de la littérature (histoire, techniques, registres...)

1/ Le romantisme
Comparaison entre les Âges de la vie de Caspar Friedrich et Port de mer au soleil couchant de Le Lorrain.
Prolongement : comparaison entre un sonnet de Malherbe et "Lucie" de Musset.

2/ La Métaphore et l'allégorie
Analyse de la dimension allégorique du tableau dans la tradition de Baldung.
Prolongement : Analyse du Voyage de Florian.

3/ Le lyrisme
Redéfinition de la notion en tenant compte des travaux de J.M. Maulpoix.
Prolongement : suggestions diverses à partir de Ronsard, Baudelaire...

samedi 21 novembre 2009

La Carpe et les Carpillons, une illustration de Grandville

J.J. Grandville a laissé une trace incomparable dans l'histoire de l'illustration en France. Caricaturiste à l'origine, il s'est ensuite orienté vers l'illustration des chefs-d'oeuvre de la littérature classique et contemporaine, les Fables de La Fontaine, Les voyages de Gulliver, Robinson Crusoë... Après une série de deuils familiaux il meurt à quarante ans, d'une mystérieuse maladie.
Dans cet article j'ai appliqué - à échelle restreinte - la méthode de Charles Mauron qui consiste à superposer une série d'oeuvres et mis en parallèle une illustration réalisée pour "La Carpe et les Carpillons" de Florian  avec "Crime et expiation", dessin plus personnel qui résultait sans doute d'un rêve de l'artiste et réalisé peu de temps avant sa mort.

Article disponible dans le n° 2, novembre-décembre 2009-2010 de l'Ecole des lettres.

Extrait (Introduction)

Initié, semble-t-il, par Balzac aux théories zoologiques de son temps, passionné par les conceptions physiognomiques[1] de Lavater, Grandville s’est peu à peu spécialisé dans les représentations d’animaux anthropomorphisées. Il illustre les Fables de La Fontaine pour l’édition Fournier aîné & Perrotin de 1838, et ce travail lui apporte de telles satisfactions qu’il éprouve le besoin d’expliquer ses méthodes dans une étrange lettre destinée à un « admirateur du futur » qui serait soucieux de justifier son œuvre. Nous avons donc tout lieu de penser que le projet d’illustrer les fables de Florian, l’année suivante, ne pouvait que stimuler notre artiste et lui permettre de réinvestir les curieuses théories relatives à la physiognomie pour lesquelles il se passionne. La gravure de la page 25[2] est, à ce titre, des plus éloquentes puisque le renard et l’âne qui se contemplent dans le miroir peuvent voir leurs reflets métamorphosés en humains grimaçants. On constatera aisément, à travers les gravures qui émaillent le recueil, à quel degré de maîtrise Grandville est parvenu lorsqu’il s’agit de mettre en scène la vie animale. La première fable animalière illustrée (« La Carpe et les Carpillons ») lui fournit l’occasion de prouver son habileté en matière de composition et la profonde intelligence qu’il a des textes, dont il assure l’illustration. Il parvient notamment à transposer, sur le plan graphique, à la fois l’humour, le drame et la tonalité didactique de la fable. Plus troublant, l’histoire devient tellement sienne qu’elle lui permet d’inscrire dans l’illustration ses propres conflits intérieurs : une brève comparaison de cette gravure avec une gravure réalisée ultérieurement nous permettra de comprendre en quoi cette fable de La Carpe et des Carpillons pouvait particulièrement toucher Grandville.




[1] Nous rappelons que la physiognomie se définit comme l’étude des caractères induite d’une observation des traits physiques interprétés comme signifiants.
[2] Nous renvoyons le lecteur à l’édition des Fables de Florian, École des loisirs, 2009.

dimanche 16 août 2009

Les Religieux du mont Saint-Gothard

"Des religieux donnent des secours à une famille que des brigands ont dépouillée dans la montagne". Tel est le commentaire donné par le peintre à cette toile commandée par Charles X et exposée en 1824. Hersent n'est certes pas un révolutionnaire de la peinture, élève de David, il conserve un certain académisme classique, la composition est impeccable, le trait gommé pour donner tout le réalisme possible à la scène. C'est donc chez lui le sujet qui tire vers le romantisme. C'est à lui qu'on doit une autre scène romantique fameuse : les funérailles d'Atala reposant étendue dans les bras de Chactas. Et ce n'est sans doute pas un hasard si le peintre s'est plu à illustrer Atala, Chateaubriand faisant, lui aussi la jonction entre classicisme et romantisme.
Un mot m'est venu à l'esprit en contemplant cette toile au Louvres : "Véhémence". C'est la véhémence romantique que le peintre cherche à rendre. La famille dépouillée par les brigands cumule les déveines, puisqu'à l'arrière plan une avalanche entraîne de puissants blocs de pierre au fond de l'abîme. L'attitude des moines est en harmonie avec les déchaînement de la nature, ils sont sur tous les fronts à la fois, et forment un triangle d'attentions qui cherche à s'opposer au calamités qui s'abattent sur cette malheureuse famille. L'un, le plus jeune tend la main à deux hommes en contrebas menacés par le gouffre, sont-ce les bandits qui les y ont précipités? Le second surveille les progrès de l'avalanche, le troisième apporte les premiers soins à une jeune femme évanouie au milieu de la route, un enfant évanoui repose sur ses jambes, une tache de sang suggère l'agression dont ils viennent d'être les victimes.
Ce troisième est aussi le plus ancien et donc le plus serein, c'est d'ailleurs cette sérénité dans l'urgence qui attire immédiatement l'oeil. Dans ce déchaînement des éléments, le vieil homme est attentif à ce qu'il fait. Il est l'incarnation de cette sagesse chrétienne que le romantisme est en train de ressusciter et mettre en avant contre l'idéal classique.
A gauche, le gouffre, au fond, un ciel curieusement éclairci, une trouée dans les nuages qui donne à voir un morceau de ciel lumineux. La sérénité du moine vient du ciel et contre l'injustice du sort et des éléments, la religion apporte son secours. Génie du christianisme ? Quoiqu'il en soit il est indéniable que la toile traduit les aspirations romantiques, par son lyrisme et la véhémence qu'elle cherche à exposer.