Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.
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mercredi 21 juin 2023

"Hélène, princesse intrépide", analyse d'un album

Il eut être intéressant, en sixième, de commencer l’année avec un groupement de textes consacrés au thème du monstre. C’est l’occasion pour le professeur de revoir les caractéristiques grammaticales et formelles du récit. On pourra prolonger cette séquence initiale avec une lecture de l’album Hélène princesse intrépide, de Christelle Cailleteau et Julie Colombet, qui offre une variation amusante sur le topo du dragon. La séquence permettra de montrer que cet album demande des compétences de lecteur complexes puisqu’il joue de la superposition de deux narrateurs: l’un (verbal) raconte l’histoire, l’autre (visuel) la met en image. Cette juxtaposition de deux discours parfois complices, parfois antagoniques, a des effets complexes. L’histoire reposant sur des manipulations chronologiques intéressantes, nous choisissons d’étudier, en langue, le plus-que-parfait. Les deux premières séances seront menées au vidéoprojecteur, avant que les élèves aient eu accès à l’album.

1. Entrer dans l'album
2. Quand les deux narrateurs ne sont pas tout à fait sur la même longueur d'onde
3. Le plus-que-parfait
4. Accords et désaccords, les enjeux d'une double page
5. Ils ne se marièrent pas et n'eurent pas d'enfants, un scénario parodique



lundi 6 août 2018

L'oeuvre de Maurice Sendak revisitée par un "Maxilivre"

Traduit par Agnès Desarthe, ce Maxilivre (1), qui est en fait le catalogue d’une exposition réalisée à New York, en 2013 a l’avantage d’attirer l’attention sur des pans ignorés du travail de l’artiste dont l’œuvre se réduit pour le profane à l’incontournable Max et les Maximonstres.

La passion des livres

La Préface de Justin G. Schiller libraire spécialisé dans la vente de livres rares et anciens retrace quarante-cinq ans d’une amitié fondée sur la passion des livres, le lecteur apprend ainsi que Maurice Sendak était un bibliophile averti, passionné par les travaux de Lothar Meggendorfer, le père du livre animé, auxquels il consacrera une étude mais aussi collectionneurs d’une première édition de Moby Dick, d’une lettre de Wilhelm Grimm ou d’aquarelles de William Blake. Grimm, Blake, Melville, sont autant d’influences qui n’ont rien de surprenant pour un artiste qui a su élever l’album pour enfant au rang d’art.

Ursula Nordstrom

Leonard S. Marcus, spécialiste de la littérature pour enfants et qui a publié en 2000 la correspondance de Ursula Nordstrom (2), l’éditrice de Sendak, était tout indiqué pour présenter l’œuvre de notre auteur-illustrateur, dans un article fouillé sobrement intitulé « L’artiste et son œuvre ».
Marcus montre à quel point la rencontre avec Ursula Nordstrom fut un moment déterminant dans la vie de ce fils d’émigré polonais né à Brooklyn et que rien ne prédisposait au succès. Artiste autodidacte, Sendak travaillait à la décoration de vitrines d’un libraire réputée quand il fait la connaissance d’Ursula Norstrom, éditrice chez Harper & Collins depuis plus de dix ans. Ursula Nordstrom œuvre énergiquement à la promotion de la littérature pour enfant dont elle déplore qu’elle soit si peu considérée.
Maurice Sendak, auteur de "Max et les Maximonstres".

Le refus du style

Elle détecte immédiatement le talent de Sendak et lui confie l’illustration de toute une série d’albums qui rencontrent d’ailleurs bien souvent ce qui, d’après l’artiste lui-même, constitue sa hantise : la question de « savoir comment les enfants réussissent dans un monde majoritairement indifférent à leur sort » De la version américaine des Contes du chat perché de M. Aymé, aux aventures bien connues de « Petit Ours » d’Else Homelund (3), Sendak s’attache à dessiner l’enfance et trouve son style : ce trait appuyé et ces proportions étranges qui donne à ces sujets cette « extraordinaire apparence d’aplomb ».
Ursula Nordstrom qui déclarait vouloir publier de « bons livres pour de vilains enfants » est ravie. Leonard S. Marcus s’attache alors à dénombrer les nombreuses influences qui s’exercent sur le travail de Sendak : George Cruikshank, Gustave Doré, William Blake, Randolph Caldecott … et montre que Sendak considérait l’idée même de style comme « un enfermement ».

Le lieu magique

Il se livre ensuite, comme pour le démontrer, à une étude de trois albums qui à ses yeux forment une trilogie : Max et les Maximontres (1963), Cuisine de nuit (1970) et Quand papa était loin (1981) (4). Le lien entre ces trois albums ? Un schéma narratif circulaire qui déplace le jeune héros (ou l’héroïne) vers un lieu magique (les titres américains Where the wild things are, In the night Kitchen et Outside over there, le signalent explicitement) métaphorique d’un voyage dans l’inconscient.
Marcus rappelle d’ailleurs que Max et les Maximonstres fut créé dans la foulée d’une analyse et met en avant l’aspect résolument novateur de l’album dans sa manière de gérer le rapport de l’image au texte : la plongée dans l’univers de l’inconscient est mimée par l’envahissement progressif du dessin qui finit par occuper toute la page lors de la « fête épouvantable » organisée par le héros. Au retour à la raison et au monde conscient correspond la réintégration du texte et la réduction du cadre de l’image. « Aucun  artiste avant lui, conclut-il, n’était parvenu à établir une relation aussi intime et symbolique entre le texte et l’image, d’une façon qui permettrait de faire dialoguer les vies à la fois conscientes et inconsciente de son héros. »
Max et ses Maximonstres

Erudition, simplicité et perfectionnisme

Si ces trois albums constituent des chefs d’œuvre c’est aussi parce qu’ils manifestent la culture de leur créateur. Sendak utilise avec bonheur l’intertextualité : si le scénario de Max et les Maximonstres rappelle Hansel et Gretel, Cuisine de nuit multiplie les allusions (Beatrix Potter, Lewis Carroll, Walt Disney…). Quant à l’angoissant Quand papa était loin, il s’appuie sur le scenario des Lutins l’un des contes les plus courts des frères Grimm.
Le lecteur feuillettera avec bonheur ce beau livre dédié à Maurice Sendak pour y apprendre que ce dernier faut aussi publiciste, décorateur de scènes théâtrales, concepteur de fresque et enseignant. La très riche iconographie permet de rendre compte de la popularité du phénomène Max et les Maximonstres : produits dérivés, campagne publicitaire, Maurice Sendak fut amplement sollicité pour prolonger la vie des Maximonstres hors de leur histoire originelle. Elle permet aussi d’entrer dans le laboratoire de l’artiste : esquisses, crayonnés, tentatives abandonnée…

Comparer la version finale d’Ida tournoyant au-dessus de la grotte des lutins à une première esquisse de 1977 (p. 57) donne une idée du perfectionnisme de l’artiste. Recourant d’abord à la plume, Maurice Sendak finit par opter pour le pinceau ultra fin à quatre poil qui lui permet d’obtenir une luminosité tout à fait remarquable, créant ainsi le climat onirique qui convient à ce beau « conte d’amour et de mort » qu’est « Quand papa était loin ».
Le « Maxilivre hommage à Maurice Sendak » est un ouvrage indispensable à celui qui douterait encore que l’album pour enfant ne relève pas pleinement de l’art. Il montre comment cet aimable perfectionniste que fut Maurice Sendak illustre avec bonheur les propos de Thésée (cités par Leonard Marcus) dans Le Songe d’une nuit d’été.
« Et comme l’imagination donne corps
Aux objets inconnus, la plume du poète
Leur imprime de même des formes, et assigne à un fantôme aérien
Une demeure et un nom particulier. "
L'art a pour vocation de donner forme au chaos et de composer "un espace rassurant dans lequel il est possible de se confronter sans danger à ses propres démons."

(1) Le Maxilivre hommage à Maurice Sendak d'Agnès Desarthe, Little Urban, 2016.
(2) Leonard S. Marcus, Dear Genius, the letters of Ursual Nordstrom, Harper & Collins, 2000.
(3) Quatre album d'Else Homelund et de Maurice Sendak: Petit Ours, Petit Ours a une amie, Petit Ours part en visite et Papa Ours rentre à la maison,  ont été publiés à l'école des loisirs en 2016.
(4) Les trois albums sont publiés à l'école des loisirs.


vendredi 2 juillet 2010

"Ella l'ensorcelée" de Gail Carson Levine, portrait d'une héroïne insoumise

Séquence didactique publiée dans le n° 8 de L'Ecole des lettres 2009-2010.

Isabelle Smadja évoque le roman dans un essai paru aux PUF, Le Temps des filles, excellente réflexion sur le rôle des filles dans la littérature de jeunesse. Ce qui m'a terriblement donné envie de lire ledit roman et de le proposer à des classes de sixième. Le projet est un peu ambitieux mais fonctionne.

Étape 1 : Lecture d’image,    Objectif : comprendre en quoi la couverture d’un roman propose déjà une lecture de l’ouvrage.
Étape 2 : Ouverture du roman.  Objectif : analyser comment la narration met en place le thème de la malédiction ainsi qu’une tonalité spécifique au genre de la réécriture humoristique.
Étape 3 : Étude de la langue, l’impératif. Objectif : Savoir conjuguer, reconnaître et interpréter l’impératif présent.
Étape 4 : Lecture comparée. Comparer l’ensemble du chapitre premier à l’ouverture de deux contes de Perrault pour saisir ce qui fait la spécificité de l’écriture romanesque.
Étape 5 : Entrainement à l’expression écrite, ouverture des Fées de Perrault. Objectif : Transposer une ouverture de conte sous forme de scène romanesque, réutiliser les notions grammaticales et littéraires abordées dans les premières séances.
Étape 6 : L’arrivée au pensionnat de Jenn. Objectif : Analyser un texte : de « L’institution pour jeunes filles était une maison en bois ordinaire… », p. 78 à la fin du chapitre IX, p. 82, saisir la dimension symbolique d’une notation descriptive et la singularité de l’héroïne.
Étape 7 : Le Mythe de Cendrillon. Objectif : Mesurer et comprendre la fonction de l’intertextualité dans Ella, définir la notion de mythe.
Séance 8 : Objectif : Etudier l’expression du dilemme et saisir en quoi la résolution de l’intrigue relève plus de la psychologie que du merveilleux.
Séance 9 :Objectif : Comprendre qu’un récit revêt une portée idéologique et que le personnage d’Ella, symbolisant d’une certaine façon la condition féminine, indique la nécessaire révolte pour accéder à la liberté.
Evaluation et prolongements 
Evaluation : sujet d’expression écrite.
Utilisation de l’adaptation cinématographique de Tommy O'Haver

La séquenve est disponible ici, ou sur demande.


samedi 21 novembre 2009

La Carpe et les Carpillons, une illustration de Grandville

J.J. Grandville a laissé une trace incomparable dans l'histoire de l'illustration en France. Caricaturiste à l'origine, il s'est ensuite orienté vers l'illustration des chefs-d'oeuvre de la littérature classique et contemporaine, les Fables de La Fontaine, Les voyages de Gulliver, Robinson Crusoë... Après une série de deuils familiaux il meurt à quarante ans, d'une mystérieuse maladie.
Dans cet article j'ai appliqué - à échelle restreinte - la méthode de Charles Mauron qui consiste à superposer une série d'oeuvres et mis en parallèle une illustration réalisée pour "La Carpe et les Carpillons" de Florian  avec "Crime et expiation", dessin plus personnel qui résultait sans doute d'un rêve de l'artiste et réalisé peu de temps avant sa mort.

Article disponible dans le n° 2, novembre-décembre 2009-2010 de l'Ecole des lettres.

Extrait (Introduction)

Initié, semble-t-il, par Balzac aux théories zoologiques de son temps, passionné par les conceptions physiognomiques[1] de Lavater, Grandville s’est peu à peu spécialisé dans les représentations d’animaux anthropomorphisées. Il illustre les Fables de La Fontaine pour l’édition Fournier aîné & Perrotin de 1838, et ce travail lui apporte de telles satisfactions qu’il éprouve le besoin d’expliquer ses méthodes dans une étrange lettre destinée à un « admirateur du futur » qui serait soucieux de justifier son œuvre. Nous avons donc tout lieu de penser que le projet d’illustrer les fables de Florian, l’année suivante, ne pouvait que stimuler notre artiste et lui permettre de réinvestir les curieuses théories relatives à la physiognomie pour lesquelles il se passionne. La gravure de la page 25[2] est, à ce titre, des plus éloquentes puisque le renard et l’âne qui se contemplent dans le miroir peuvent voir leurs reflets métamorphosés en humains grimaçants. On constatera aisément, à travers les gravures qui émaillent le recueil, à quel degré de maîtrise Grandville est parvenu lorsqu’il s’agit de mettre en scène la vie animale. La première fable animalière illustrée (« La Carpe et les Carpillons ») lui fournit l’occasion de prouver son habileté en matière de composition et la profonde intelligence qu’il a des textes, dont il assure l’illustration. Il parvient notamment à transposer, sur le plan graphique, à la fois l’humour, le drame et la tonalité didactique de la fable. Plus troublant, l’histoire devient tellement sienne qu’elle lui permet d’inscrire dans l’illustration ses propres conflits intérieurs : une brève comparaison de cette gravure avec une gravure réalisée ultérieurement nous permettra de comprendre en quoi cette fable de La Carpe et des Carpillons pouvait particulièrement toucher Grandville.




[1] Nous rappelons que la physiognomie se définit comme l’étude des caractères induite d’une observation des traits physiques interprétés comme signifiants.
[2] Nous renvoyons le lecteur à l’édition des Fables de Florian, École des loisirs, 2009.