Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.
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mardi 2 septembre 2025

Pourquoi abréger?


Purquoi abréger ? Toute œuvre est-elle "abrégeable" ?

On abrège pour rendre une œuvre accessible à de jeunes lecteurs. Je crois que personne aujourd’hui n’envisagerait raisonnablement de faire lire Le Comte de Monte Cristo en version intégrale à des élèves de quatrième. Je cite Boris Moissard, qui lui-même citait Florian :

« Après avoir mentionné divers «oublis, plaisanteries répétées et tableaux peu agréables » [sic] commis par Cervantes, qui n’aurait «pas toujours pris la peine de se relire » [re-sic],Florian déclare


: «N’espérant point faire passer dans ma langue les continuelles beautés qui compensent si fort ces taches légères, j’ai cru devoir les affaiblir en supprimant les répétitions et abrégeant les digressions, neuves sans doute lorsqu’elles parurent, mais devenues aujourd’hui communes; enfin, en serrant beaucoup les récits, et suppléant par la rapidité à des ornements que je ne pouvais rendre. Les personnes tolérantes peuvent s’en rapporter à mon amour pour Cervantes de l’extrême attention que j’ai mise à ne retrancher de son ouvrage que ce qui n’aurait pas semblé digne de lui dans le mien

On ne saurait mieux plaider la cause des amputations pratiquées au bénéfice de l’amputé, ni vanter l’irrespect par respect. »

Boris Moissard m’a servi de guide, je vous signale le lien :

https://ecoledeslettres.fr/abreger-le-roman-lirrespect-par-respect/

Comment abrégez-vous ? À quel niveau du texte se font les coupes ? (Phrase, paragraphes, chapitres entiers, descriptions, dialogues…)

J’abrège en coupant des phrases (parfois des propositions), des paragraphes, des répliques de dialogues. Jamais de chapitre, vos questions ultérieures m’amèneront à la dire, mais j’essaie de conserver la littérarité du texte.


Il m’est arrivé aussi de couper plusieurs pages, dans L’île au trésor par exemple, lorsque Jim remonte seul l’Hispaniola vers le nord de l’île, pour le cacher, l’épisode est très long et une ellipse ne pose pas de problème.

 

Comment déterminez-vous ce qu’on peut couper et ce qu’il ne faut pas toucher dans un texte ? 
Je crois qu’il faut avoir repérer les principes structurants ou ce qui fait la littérarité du texte. J’ai fait étudier Jane Eyre en 4e, la version l’école des lettres est inéressantes parce qu’ella a maintenu les scènes où Jane se révolte, à chaque révolte correspond une inflexion dans l’intrigue (son destin change). Le livre de poche jeunesse ne l’a pas fait et c’est bien dommage, le texte perd en intensité dramatique.

 

Comment travaillez-vous avec l’éditeur ?

Tout dépend de l’éditeur, Hachette pour qui j’ai fait deux classiques (Le Peuple de l’abîme et 1984)  ne m’a demandé que très peu de correction, avec Maris Hélène Sabard, pour l'école des lettres, il y a toujours un gros travail de relecture. Pour les Claudine qui vont paraître à l’automne, j’avais beaucoup coupé dans les aparte ou les digressions que fait Claudine narratrice, MHS en a rétablit beaucoup, et elle a bien fait car contrairement à Jane Eyre, l’intérêt littéraire des Claudine tient beaucoup au style.

 

 

Avez-vous remarqué une différence dans le travail d’un éditeur à l’autre ? Les éditeurs vous laissent-ils carte blanche ?

J’ai un peu répondu précédemment, généralement les éditeurs nous font confiance mais peuvent se donner le droit de reprendre le travail.

 

Est-ce la même chose d’abréger un texte écrit en français et une traduction ?


Pratiquement, je n’ai pour ma part travaillé que sur des textes en anglais et je fais alors en sorte d’avoir le texte anglais. Comme on travaille généralement sur des traductions libres de droit, on peut les réviser pour se trouver plus près du texte. Les traductions anciennes prenaient parfois beaucoup de libertés.


Comment travaille-t-on à deux sur une édition abrégée d’un ouvrage de littérature étrangère ? Y a-t-il un dialogue entre le traducteur et l’abrégeur pour déterminer ce qui sera coupé avant d’entamer le travail de traduction ?

Je n’ai vécu cette expérience qu’une fois, j’avais propose à Hachette de prévoir l’arrivée dans le domaine publique d’Orwell. J’ai traduit de mon côté La fermes de animaux et une amie collègue d’anglais s’est attaqué à 1984. Je lui ai confié un exemplaire de 1984 en anglais ou j’avais biffé les passages à ne pas traduire, elle m’envoyait son travail au fur et à mesure et nous constations que la lecture était fluide, ça s’est donc fait assez naturellement.

 

 

Quelle est la part de réécriture dans les abrégés d’un éditeur à l’autre ? Y a-t-il des éditeurs qui acceptent aujourd’hui de faire de la réécriture ?

Il n’y a généralement aucune part de réécriture. A mes yeux ce qui fait l’intérêt des classiques abrégés, c’est justement de confronter des élèves de collèges ou lycée à une écriture littéraire.

Le seul que j’ai entièrement réécrit, c’est le Gilgamesh mais pour lequel il n’y avait pas de version ado. J’ai pris les deux éditions scientifiques alors disponibles (Tournay et Bottéro) plus une édition anglaise, celle de R. Thompson. J’ai bâti un scénario à partir des trois, en respectant le contenu des tablettes connues et me suis mis à écrire en respectant la tonalité répétitive du texte. Mais comme dans les deux versions françaises, je constatais que l’utilisation des temps du passé était incohérente, j’ai chois le présent de narration, ce qui a donné un résultat plutôt poétique. Mais ce texte mis à part, je ne réécris jamais.

 

Y a-t-il une part de censure dans les abrégés ? Coupez-vous ce qui peut choquer un jeune dans une version abrégée ?

Non pas de censure, ce que je parfois je regrette, plusieurs collègues m’ont dit avoir renoncé à Gilgamesh en 6e à


cause de la scène de sexe de la première partie où Enkidu reçoit son humanité d’une prostituée. Mais non, un texte patrimonial  est un texte patrimonial et je suis certain que le petit côté pervers de Claudine va choquer beaucoup d’élèves – surtout devant leur professeur.

 

Y a-t-il eu un changement dans la réception des classiques abrégés ? Pourquoi à votre avis ?

Pas vraiment.

Il y a toujours des puristes qui refusent par principe l’abrégé. Leur utilisation est néanmoins largement admise en collège. Par contre elle est systématiquement proscrite en lycée. Ce qui ce conçoit, les modes d’approche du texte étant très différents. J’autorise néanmoins les abrégés au lycée quand il s’agit de lectures cursives, peu de lycéens sont à même de lire de façon autonome Notre Dame de Paris, par exemple. J’ai aussi recommandé aux élèves qui ne parvenaient pas à lire La peau de chagrin de recourir au livre de poche jeunesse pour se faire une idée d’ensemble de l’intrigue. Mais pour les passages à présenter au bac nous avons évidemment recours à des textes non coupés.

 

Quelle est la réception des classiques abrégés en classe ? Comment travaillez-vous en classe sur un classique abrégé ? Jusqu'à quel point les élèves sont-ils autonomes ? Comment l’enseignant choisit-il l’édition à adopter en classe ?

Tout dépend, généralement, si l’abrégé est respectueux, je le traite comme un texte non abrégé. Mais je peux aussi le compléter par des photocopies. Dans la première séquence que j’ai réalisée pour la revue l’école des lettres, je trouvais qu’il était intéressant de montrer la dimension symbolique du décor dans Jane Eyre (celle de la « chambre rouge » dans laquelle l'héroïne est enfermée au début du roman). Comme elle avait été coupée, je l’ai donnée à lire, ce qui a été l’occasion de montrer justement en quoi consistait le travail de l’abrègement mais aussi en quoi il pouvait appauvrir le texte. L’abrégé lu en collège peut être une invitation à relire l’intégral plus tard. J’ai eu le plaisir de constater que des élèves qui avaient lu Jane Eyre en abrégé en 4e le reprenaient en version intégrale au lycée.

 

Pourquoi choisir de travailler sur un classique abrégé plutôt qu’une édition plus scolaire ?

Un abrégé est un livre, une édition scolaire est un manuel. Utiliser l’abrégé c’est tenter de faire passer le plaisir de la lecture avant l’étude. J’aurais tendance à préférer les abrégés pour le roman. Au bonheur des dames en abrégé est plus agréable à lire qu’une édition scolaire qui comporte des coupures, des questions, etc. et qui rappelle à l’élève qu’il est davantage élève que lecteur. Maintenant, au lycée, les éditions scolaires sont parfois nécessaires. Les élèves de premières qui vont devoir aborder les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle auront besoin des notes et de l’appareil pédagogique pour entrer dans le texte.


https://classiques.ecoledesloisirs.fr/passeur/Stephane-Labbe

mercredi 16 août 2023

Sept contre-vérités sur l’éducation, ou pourquoi l’école se doit de transmettre des connaissances.

La librairie des écoles vient de publier un ouvrage qui, en Angleterre, a soulevé de vives polémiques, sans doute parce qu’il prend le contre-pied de toutes les réformes mises en place depuis quelques décennies dans l’enseignement. Il s’agit des 7 contre-vérités sur l’éducation de Daisy Christodoulou. Jean Nemo, fondateur des éditions La Librairie des écoles, explique, en introduction, l’intérêt d’un tel ouvrage pour les enseignants français. La promotion des compétences au détriment des connaissances n’est pas un phénomène spécifiquement français, elle s’est effectuée de la même manière en Angleterre ainsi que dans d’autres pays européens et s’accompagne du même désenchantement lorsqu’on se penche sur les évaluations des élèves. Baisse du niveau de lecture à l’entrée au collège, piètres performances en mathématiques… Jean Nemo en arrive donc à la conclusion qu’il faut savoir « remettre en cause les méthodes d’enseignements et agir. » Agir comment ? En se fondant sur les conclusions mises en avant par les neurosciences et oser braver les contre-vérités largement diffusées dans les milieux dirigeants et dans les écoles de formations des enseignants.

Recensons donc ces « contre-vérités ‑ Daisy Christodoulou utilise en réalité le mot « mythe », moins polémique – que pointe l’auteur de l’ouvrage :

- Comprendre est plus important que connaître ;

- Un enseignement trop guidé rend les élèves passifs ;

- Le XXIe siècle rend obsolète les vieilles méthodes d’enseignement ;

- Les élèves pourront toujours faire des recherches en ligne ;

- Il faut enseigner des compétences transversales plutôt que des connaissances figées ;

- C’est par les projets et les activités que les élèves apprennent le mieux ;

- Transmettre des connaissances, c’est endoctriner les élèves.

Dans chaque chapitre Daisy Christodoulou commence par montrer sur quels fondements théoriques s’appuient les mythes dont elle conteste l’absolue vérité puis elle analyse la manière dont ces idées sont mises en pratique et encouragées dans le système scolaire avant de démontrer en quoi ces pratiques éducatives défient, malgré la bénédiction des autorités éducatives, toute logique élémentaire.

Comprendre est plus important que connaître

C’est à Rousseau, Dewey et Paulo Freire qu’incombe la dévalorisation des savoirs. Tous établissent une opposition entre « les faits généralement perçus comme néfastes » et « la compréhension, le raisonnement », « la signification ». Chez ces pédagogues, la connaissance est perçue comme néfaste car la transmettre revient à placer l’élève en situation de réceptacle passif.

Daisy Christodoulou montre ensuite comment les programmes anglais qui privilégient depuis 2007 les compétences transversales ont considérablement allégé la liste des connaissances à transmettre, un peu à la manière de ce qui s’est produit plus récemment en France avec les programmes de 2016.

Pourquoi cette idée relève-t-elle du mythe ? S’appuyant sur les travaux du psychologue américain J.-C. Anderson, Daisy Christodoulou montre que « L’intelligence n’est rien d’autre que l’accumulation et l’ajustement d’une multitude de petites unités de connaissance dont l’ensemble donne naissance à la cognition complexe. »

Il n’y a donc pas de compétences sans connaissances, les connaissances qui s’inscrivent dans la mémoire à long terme, libèrent la mémoire de travail que l’élève mobilise pour réfléchir. Nous emprunterons à l’ouvrage un exemple très simple : bien peu d’entre nous s’avèrent capable de trouver instantanément le résultat d’une multiplication comme 46 x 7. Et nous n’y parviendrons qu’en décomposant l’opération, soit 40 x 7 + 6 x 7. Mais encore faut-il pour ce faire, avoir mémorisé ses tables de multiplication !

Ce qui est vrai en arithmétique vaut aussi pour les compétences langagières, la maîtrise de la profondeur historique ou les lois physiques de l’univers.

Un enseignement trop directif rend les élèves passifs

Toujours se référant à Rousseau, Dewey et Freire, Daisy Christodoulou montre que pour ces pédagogues, le maître doit se garder d’intervenir et se placer en retrait pour laisser s’épanouir la curiosité naturelle des élèves. A leurs yeux, imposer des connaissances serait immoral et néfaste. Immoral dans la mesure où la contrainte vide l’enseignement de toute joie et néfaste parce que l’enfant à qui l’on impose des connaissances devient passif, apprenant sans comprendre.

Or, il existe trois arguments majeurs en faveur de l’intervention des enseignants et d’une transmission explicite des connaissances : le premier est historique. Qu’il s’agisse de l’alphabet ou des grandes découvertes scientifiques, comment imaginer qu’un enfant puisse les reconstituer seul sans l’aide des adultes ? Si les enfants apprennent naturellement à parler, il est illusoire de penser que l’apprentissage de l’écriture ou celui des grandes lois naturelles découvertes par Euclide et Newton puisse s’opérer de la même manière.

Le second argument est d’ordre théorique : « Il nous est difficile d’assimiler de nouvelles informations lorsque nous ne bénéficions que d’un accompagnement limité, voire inexistant. C’est la conséquence des limites de notre mémoire de travail. » Confronter les élèves à des problèmes complexes, sans leur donner les moyens de les résoudre revient donc à les décourager.

Le dernier argument est d’ordre empirique : John Hattie, chercheur en science de l’éducation a comparé différentes pédagogies et montré que les plus efficaces étaient les pédagogies explicites  qui consistent à clairement définir les objectifs à atteindre et les critères de réussite, puis à effectuer des démonstrations sans détour, à en évaluer la compréhension pour ensuite si nécessaire répéter ce qui a été abordé.

Or ce type d’enseignement jugé ennuyeux par les autorités académiques est, de plus en plus souvent et partout, découragé.

Le XXIe siècle rend obsolète les vieilles méthodes d’enseignement, Les élèves pourront toujours faire des recherches en ligne 

En quoi notre époque, différant tellement des précédentes, nécessiterait-elle une pédagogie tellement nouvelle ? La première raison serait que l’existence d’espaces de stockage en ligne a mis le savoir à la disposition de tous, partout et à tout moment, il est donc devenu inutile de l’apprendre ; La deuxième raison, ressassée à l’envie par les dirigeants des milieux économiques, serait que les progrès sont devenus tellement rapides que le système scolaire se doit de développer des compétences transférables qui permettront à l’individu de s’adapter aux constants bouleversements engendrés par une technologie en perpétuelle mutation.

Avec ce type de discours on en arrive très vite à la conclusion que la somme des connaissances étant devenue exponentielle, il est inutile de les transmettre.

Or Daisy Christodoulou rappelle qu’il faut savoir hiérarchiser les connaissances et que plus une connaissance est ancienne plus elle risque de s’avérer valables dans les années à venir. Elle cite ainsi Larry Sanger, cofondateur de Wikipedia : « …posons-nous la question suivante : qu’est-ce qu’il aurait mieux valu que j’apprenne en 1995, quand j’avais 17 ans : les tenants et les aboutissants de WordPerfect et de BASIC, ou l’histoire américaine ?

La question ne devrait même plus se poser : ce que j’ai appris en histoire va rester inchangé et faire l’objet de peu de corrections. En revanche, il est parfaitement inutile aujourd’hui de connaître WordPerfect ou BASIC »

Et de conclure : « Rien ne vieillit plus vite que l’avant-garde », les défenseurs des compétences font donc fausse route lorsqu’ils invitent à sans cesse se renouveler.

Quant aux recherches sur internet, elles ne pourront jamais remplacer les connaissances puisqu’il faut précisément des connaissances pour hiérarchiser l’information à disposition sur le web.

Il faut enseigner comment apprendre plutôt qu’apprendre des connaissances

Là encore, Daisy Christodoulou démontre qu’apprendre à apprendre est une illusion et que cette idée d’un transfert des  compétences si évidente pour bien des pédagogues n’a aucune réalité. Ce n’est pas parce qu’on a exercé son esprit critique sur les origines de la seconde guerre mondiale qu’on devient capable de le faire pour une partie d’échecs. S’appuyant sur une série d’expériences célèbres, l’auteur va plus loin démontrant qu’aux échecs, comme dans toutes les disciplines, ce sont les connaissances qui font la compétence. Les grands joueurs sont ceux qui, s’étant penchés sur l’histoire des échecs, ont étudié des milliers de position, s’avérant ainsi capables, grâce à cette mémoire du jeu, de battre n’importe quel joueur moyen.

C’est par les projets, les activités que les élèves apprennent le mieux

Avec ce chapitre Daisy Christodoulou remet en cause l’un des dogmes des reformes récentes : la nécessité du décloisonnement et la mise en place de projets interdisciplinaires. On attend ainsi de l’élève qu’il se mette à réfléchir « comme un scientifique ou comme un historien ». Or, comme elle le fait justement remarquer par la suite : ce qui fait la différence entre l’historien, le scientifique et l’élève en apprentissage, c’est le stock de connaissances que les premiers ont assimilé et qui leur permet de juger de la valeur de leurs découvertes.

« Ce dont nous devons prendre conscience, conclut-elle, c’est que le processus d’enseignement par projet a quelque chose de profondément inéquitable. Cela nécessite des connaissances préalables mais ne fait rien pour les enseigner. »

L’auteure s’appuie sur de nombreux exemples qui rappellent les pratiques pédagogiques préconisées dans nos ESPE, qu’il s’agisse de faire peindre des assiettes commémoratives en histoire ou fabriquer des marionnettes pour aborder Roméo et Juliette. Que de temps perdu ! D’autant que les élèves, que ce soit en France ou en Angleterre, ne sont pas exonérés d’évaluations. « Si l’on perd du temps à faire des activités tangentes qui détournent l’attention des élèves, ces derniers finiront par apprendre par cœur – sans doute avec des erreurs – des connaissances et des compétences qui auraient dû leur être enseignées dans un contexte porteur de sens. »

Transmettre des connaissances c’est endoctriner les élèves

Tout un courant pédagogique, bien souvent d’obédience marxiste, invite à tenir pour suspectes des connaissances disciplinaires élitistes qui constituent l’apanage d’une classe sociale (la bourgeoisie) et dont la maîtrise ne vise qu’à reproduire les inégalités sociales. En conséquence, il ne faudrait pas imposer de connaissance extérieures aux élèves mais travailler sur des connaissances et expériences qu’ils ont déjà pour développer leurs facultés.

Or, fait remarquer Mme Christodoulou « Réduire et marginaliser l’enseignement des connaissances  à l’école revient à accentuer les caractéristiques antidémocratiques et inégalitaires de notre société. »

Le but de l’école devrait être de transmettre le patrimoine culturel de l’humanité : « La phrase en anglais, les valeurs de positions en mathématiques, l’énergie en physique… », autant de concepts qui ont permis à l’humanité de progresser.

Les enseigner à tous, c’est donner à tous la possibilité de revendiquer l’héritage de l’humanité, c’est aussi donner à tous les outils qui permettent de s’orienter dans un monde complexe, où la désinformation prend souvent le pas sur l’information. « Les connaissances n’endoctrinent pas, elles libèrent. »

 

Pour tous les professeurs qui n’ont pas renoncé à enseigner, à vouloir transmettre leur discipline et qui se voient parfois stigmatisés par leur hiérarchie, l’ouvrage de Daisy Christodoulou apporte non seulement la confirmation de leurs intuitions mais aussi un réconfort certain. Il n’est pas de compétences sans connaissance. Et c’est bien la connaissance  qui fonde notre humanité, il faut savoir le dire aux élèves que découragent la lecture de Racine ou l’apprentissage du subjonctif. Me reviennent en tête au moment où je rédige cette conclusion les paroles idéalistes de Keating le professeur enthousiaste (un peu trop peut être) du Cercle des poètes disparus « On lit et on écrit de la poésie parce qu’on fait partie de l’humanité et que l’humanité est faite de passions. » Passions qui ne s’arrêtent pas à la poésie mais qui valent pour tous les savoirs et savoir-faire élaborés au cours des siècles par la communauté humaine.

jeudi 25 janvier 2018

Et si le métier d'enseignant consistait à transmettre des savoirs?!

Aux collègues, qui sans doute comme moi, finissent par être un peu agacés par le prêchi-prêcha de certains inspecteurs et autres pédagogues, lesquels ne fréquentent nos classes que de façons occasionnelles, j’aimerais apporter quelques références tout aussi scientifiques que celles qui sous-tendent les pratiques de classes inversées, classes en îlots, et autres activités qui visent à mettre l’enseignant en posture d’observateur bienveillant. 
Si ces pratiques peuvent constituer une diversion bienvenue, elles ne sauraient fournir un enseignement structuré qui permette à l’élève de se forger une culture. On me rétorquera évidemment que la biographie de Chateaubriand se trouve désormais partout en ligne et qu’il n’est nul besoin que je la raconte à mes élèves. A quoi je répondrai : "Je doute fort que Killian utilise jamais son portable pour savoir qui était Chateaubriand", et le fastidieux condensé qu’il trouvera sur Wikipedia ne vaudra jamais l’histoire que je pourrais lui raconter si j’y mets un peu de cœur et de passion". "Si Peau d'âne m'était conté, nous rappelle par ailleurs malicieusement La Fontaine, / J'y prendrais un plaisir extrême,/ Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant, et l’amuser par des histoires."(1)
Dans Sept mythes sur l’éducation, ouvrage à paraître en mars prochain (2), Daisy Chritodoulou, spécialiste de l’éducation au Royaume-Uni démontre que le plus grand mythe contemporain au sujet de l’éducation est celui qui consiste à croire que la connaissance n’a plus d’importance. Dans une interview accordée au Figaro, il y a un peu plus d’un an, elle disait ceci : "La science n'est pas du côté des pédagogues progressistes. La recherche menée ces cinquante dernières années par la psychologie cognitive montre bien combien nous dépendons du savoir stocké dans la mémoire longue pour tous nos procédés mentaux." (3) 
Ce qu’elle appelle la "mémoire de travail", celle qui sert à aborder l'information nouvelle et l'environnement immédiat, "est très limitée. Il est donc important "de savoir "par cœur" des choses, même si elles n'ont pas une utilité immédiate." Et elle poursuit, un peu comme je le faisais à propos de Châteaubriand: "Ainsi, même si tout le monde dispose désormais de calculatrices, il est indispensable de connaître ses tables de multiplications par cœur. Car après vous serez capable de résoudre des problèmes plus complexes sans avoir à utiliser l'espace limité et précieux de la mémoire de travail pour calculer les tables de multiplication.
De la même façon, cette chère Daisy démonte les pédagogies qui se targuent de mettre l’enfant au coeur des apprentissages "Le problème avec les approches qui mettent l'enfant au centre de l'apprentissage, c'est que les enfants sont vite désorientés, ne comprennent pas les concepts fondamentaux et perdent du temps dans des digressions secondaires.» La digression est aussi le problème qui guette la pratique si à la mode des îlots. L’absurdité est portée à son comble quand le professeur de langue fait dialoguer entre eux des élèves qui n’ont pas un minimum de compétences linguistiques pour poser un échange construit, fructueux ou tout simplement acceptable (au sens linguistique du terme).
Pour ceux qui trouverait mes propos réactionnaires ou qui craignent de s’élever contre l’effet de mode, qu’ils sachent qu’il existe une associations : l’APPEx(4) (Association pour la pédagogie explicite) qui milite, dans les écoles – mais ce qui vaut pour l’école vaut pour le collège ‑, pour la
transmission de savoirs clairement énoncés (teaching) et mis en pratique (learning). Un syndicat, le SNALC,(5) ouvert aux enseignants du privé, met aussi au cœur de ses préoccupation la transmission d’un enseignement de qualité centré sur les savoirs. A tous ceux qui sentent de grands moments de solitudes lorsque, en réunion, tout le monde approuve ou feint d’approuver les exhortations à cesser une "pédagogie frontale dépassée", sachez qu’elle n’est pas aussi dépassée qu’on veut nous le faire croire. Nous n’avons pas passé des années à devenir des experts dans notre discipline, des heures à préparer nos cours, réfléchir nos progressions, pour être transformés en GO de Clubs Med. Nous avons à transmettre les mathématiques, l’histoire, l’anglais, la littérature… tout ce qui permet à l’enfant/adolescent de se constituer en être humain doué de culture et de passion.

1. La Fontaine, "Le Pouvoir des fables", Fables,1668.
2. Daisy Christodoulou, Sept mythes sur l'éducation, La Librairie des écoles, mi-mars, 2018.
3. http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/05/29/31003-20150529ARTFIG00340-ecole-l-idee-que-le-savoir-n-a-plus-d-importance-est-le-plus-grand-mythe-des-pedagogues.php
4. http://www.3evoie.org/, voir aussi : https://laclassedemallory.net/2017/05/01/la-pedagogie-explicite-kesako/
5. https://www.snalc.fr/national/menu/333/page/1/page/1/




samedi 28 mai 2016

Réforme, la promotion du vide

Le véritable débat sur la réforme des collèges aura-t-il lieu ? Ou serons-nous, une fois de plus obligés d'accorder crédit à ces discours, dits scientifiques et qui assurent que l'élève apprend mieux seul ou en collaboration avec ses congénères qu'avec un professeur. 
Le problème est bien aujourd’hui de savoir comment faire accéder le plus grand nombre à la culture. Et contrairement aux idées reçues, aux modes pédagogiques – car il y a des modes en pédagogie, nous sommes par exemple actuellement dans l’ère de la collaboration - elle même née de la fascination pour les outils numériques - : priorité donc aux travaux de groupes, à la performance collective. Ce ne sont hélas pas quelques heures de travaux de groupes interdisciplinaires qui donneront à l'élève en difficulté des chances accrues de réussite.
C’est à nous professeurs, en tant qu’individus forts d’une expérience, d’une passion, de faire admettre, comprendre et si possible apprécier, la valeur de ce que nous enseignons. Chaque discipline est porteuse de points de repères essentiels pour la culture et la formation d’un être humain. Il faut savoir le rappeler. L’histoire nous donne le sens de la collectivité et du devenir  humains, une appréhension de la notion de progrès, le français peut procurer le sens de l’expression juste et précise, les bases de l’esthétique, faire accéder à la subtilité du texte littéraire, les maths confrontent à la logique et à l’abstraction, les langues apprennent à communiquer différemment mais aussi à voir le monde autrement.
Ce sont ces valeurs, ces directions inhérentes à chaque discipline qu’il convient de manifester. Il est des réformes – et celle qui est en cours en fait partie – qui semblent dire aux professeurs : « Vous ne connaissez pas votre métier, vous ne savez pas transmettre, il faut faire autrement. Vous ne savez pas intéresser vos élèves, il faut qu’ils soient actifs, productifs entre eux, effacez-vous, laissez-les faire… »
L’empereur Hadrien selon Marguerite Yourcenar disait fort bien entrevoir une société où il n’y aurait peut-être plus d’esclaves mais où l’esclavage prendrait la forme plus insidieuse du divertissement. Une société où les hommes seraient esclaves de leurs divertissements. Nous y sommes. Ce qui distingue aujourd’hui les élèves qui réussissent de ceux qui échouent, c’est que bien souvent ils ont été éduqués, soutenus par des familles qui elles-mêmes savent, la valeur et les conditions de l’effort intellectuel. Ceux qui échouent sont bien souvent livrés seuls aux divertissements innombrables que notre société de consommation a imaginés.
L’école peut-elle compenser ces différences de milieux familiaux ? C’est possible mais il nous faut sortir de cet univers carnavalesque qui fait croire à l’inversion des valeurs. Et ce n’est pas une réforme qui préconise le travail de groupe et l’interdisciplinarité, sous couverts de travaux en sciences de l’éducation irréfutables (et par là-même suspects) qui changera quoi que ce soit.
Il faut que Mateo sache qu’il ne trouvera pas la liberté livré seul à facebook ou aux émissions de télé-réalité qu’il peut voir et revoir sur les écrans de sa chambre. Il faut qu’il apprenne qu’intello n’est pas une insulte, mais un beau mot – dans sa forme complète, en tout cas ‑ qui renvoie à l’une des plus nobles facultés de l’être humain.
Éduquer n’est pas le seul fait de l’école, l’éducation résulte d’un consensus, d’une convention qui engage toutes les parties de la société. Or s’il est bien un élément consensuel dans notre société, c’est le « bien des enfants ». Mais ce bien passe-t-il par la consommation effrénée des gadgets, par la transformation de nos bambins en geeks ou supporters de Nabila ? Le consensus, s’il existait, devrait porter sur la valorisation de l’effort.
Et ce que je reprocherais à la philosophie de cette reforme c’est de faire passer l’effort au second plan. D'accorder la priorité, pour ce qui concerne le français par exemple, à l’expression orale. C’est bien l’oral, mais encore faut-il avoir quelque chose à dire ! Je lui reprocherais également de minimiser le recours au patrimoine littéraire – j’aime la littérature pour la jeunesse mais il me semble qu’un projet de programme qui concerne la nation ne devrait pas placer sur le même plan, tel roman historique d’un auteur de littérature jeunesse à la mode et Victor Hugo. Je lui reproche enfin de reléguer la grammaire : sous le couvert d’éviter « l’inflation terminologique », on verra donc encore dans les ESPE, comme anciennement dans les IUFM, des formateurs considérer que le mot « conjonction » est un gros mot.
Le programme précédent qui n’était pas sans défaut avait focalisé – un peu trop peut-être – l’attention des professeurs sur la grammaire. Non sans raison malgré tout. Car combien d’élèves aujourd’hui sont à même, en seconde, de lire une pièce de Racine, une fable de La Fontaine, un conte de Voltaire ? Qui enseigne dans un lycée non sélectif est amené à faire ce constat au quotidien. Lisons le texte avec la classe, déplaçons les pronoms ou les adverbes et le texte classique se fait lisible. L’élève qui n’a pas été habitué à jouer avec la grammaire par le biais d’exercices un peu fastidieux n’accèdera jamais à ces textes. Il lui manquera aussi au lycée un outil d’analyse fondamental pour la relecture de ses propres écrits, pour le commentaire des textes littéraires, pour l’apprentissage des autres langues.

Alors réformer, pourquoi pas ? Mais réformons en valorisant le sens de l’effort et en prenant appui sur l’expérience des professeurs qui sont une fois de plus dépités de constater en quelle estime est tenu leur savoir-faire. Je consacrerai peut-être un jour une chronique à décrire les absurdités qu'on s'ingénie à inculquer aux professeurs stagiaires, d'absurdes détours qui n'ont qu'une fonction : déconsidérer les savoirs pour promouvoir un enseignement du vide. Edifiant!

mercredi 11 février 2015

Pour un enseignement des sciences humaines au collège

Notre système scolaire est vieux, où du moins il fonctionne sur des bases anciennes qui au fond tiennent peu compte de l'évolution des savoirs.
Les événements malheureux et récents qui ont créé un mouvement d'union nationale ont aussi suscité des réflexes de pensée, en gros, face à l'adversité et au terrorisme il faut
- apprendre la Marseillaise
- plus de discipline
- plus de mixité sociale
- plus de français (la discipline)
Les deux derniers points ne sont guère contestables, surtout lorsque l'on voit à quelle peau de chagrin s'est réduit l'enseignement du français, ces vingt dernières années.
Je crois malgré tout qu'il manque dans notre enseignement une discipline qui permette à nos élèves de se placer en situation d'empathie. Notre ministre remet l'accent sur la lutte contre le harcèlement à l'école et c'est très bien. Harcèlement, fanatisme procèdent d'une incapacité à considérer l'autre comme un autre soi-même.
Quelles sont les disciplines qui nous permettent de comprendre l'autre ? Psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, linguistique. Il ne s'agit pas d'asséner deux heures supplémentaires de cours mais de procéder à un enseignement vivant qui, fort des théories, découvertes effectuées dans ces domaines permettent de comprendre, ressentir, admettre la différence.
On peut expliquer en classe le phénomène du bouc émissaire, on peut faire éprouver par des jeux de rôles le poids de l'inconscient dans les relations humaines et parvenir à faire admettre que certaines relations, certains comportement sont toxiques. Un collégien peut interroger le langage, la religion, la différence des sexes, le rôle de l'art ...
Térence et son "rien de ce qui est humain ne m'est étranger" sont toujours d'actualité. Nous avons désormais plus d'outils pour cerner l'humanité, faisons en sorte qu'ils servent.

mardi 23 décembre 2014

Pour les classiques abrégés

J'aime le classique abrégé

1/ Parce que c'est un livre.

Les professeurs sont d'éternels inquiets : il s'inquiètent de savoir comment faire aimer leur matière de prédilection à leurs élèves qui, souvent pressés d'en finir avec la corvée littéraire tri ou quadri annuelle, s'empressent de chercher sur internet Le résumé qui leur permettra d'éviter la lecture du pensum. Je pense que plus personne aujourd'hui ne donne à lire les 1662 pages de l'héroïque édition Pocket des Misérables - il n'empêche que sa simple existence titille sûrement le lecteur aguerri qui connaît tout des Misérables sans les avoir jamais lu, d'où sa nécessité.
Non, le professeur a la choix entre la collection d'extraits (Larousse par exemple) et le "classique abrégé" (L'École des loisirs ou Le Livre de Poche). L'immense avantage du classique abrégé c'est qu'il fait oublier la dimension scolaire de l'exercice. L'élève n'a pas un livre avec des pages dont les lignes sont numérotés, des questions qui lui rappellent sa fastidieuse condition de cancre ou son honorable (quoique) position de "bon élève".

2/ Parce que c'est un livre d'auteur

Comparons! Il s'agit de L'Homme qui rit, chapitre 1 du livre III :

La tempête n’était pas moins intense sur terre que sur mer. 
Le même déchaînement farouche s’était fait autour de l’enfant abandonné. Le faible et l’innocent deviennent ce qu’ils peuvent dans la dépense de colère inconsciente que font les forces aveugles ; l’ombre ne discerne pas, et les choses n’ont point les clémences qu’on leur suppose. 
Il y avait sur terre très peu de vent ; le froid avait on ne sait quoi d’immobile. Aucun grêlon. L’épaisseur de la neige tombante était épouvantable. 
Les grêlons frappent, harcèlent, meurtrissent, assourdissent, écrasent ; les flocons sont pires. Le flocon, inexorable et doux, fait son œuvre en silence. Si on le touche, il fond. Il est pur comme l’hypocrite est candide. C’est par des blancheurs lentement superposées que le flocon arrive à l’avalanche et le fourbe au crime. 
L’enfant avait continué d’avancer dans le brouillard. Le brouillard est un obstacle mou; de là des périls; il cède et persiste; le brouillard, comme la neige, est plein de trahison. L’enfant, étrange lutteur au milieu de tous ces risques, avait réussi à atteindre le bas de la descente, et s’était engagé dans le Chess-Hill. Il était, sans le savoir, sur un isthme, ayant des deux côtés l’océan, et ne pouvant faire fausse route, dans cette brume, dans cette neige et dans cette nuit, sans tomber, à droite dans l’eau profonde du golfe, à gauche dans la vague violente de la haute mer. Il marchait, ignorant, entre deux abîmes.

La version abrégée par Boris Moissard pour l'école des loisirs:
La tempête n’était pas moins intense sur terre que sur mer. Le même déchaînement farouche s’était fait autour de l’enfant abandonné. 
L’enfant, étrange lutteur au milieu de tous ces risques, avait réussi à atteindre le bas de la descente, et s’était engagé dans le Chess-Hill. Il était, sans le savoir, sur un isthme, ayant des deux côtés l’océan, Il marchait, ignorant, entre deux abîmes.

On ne niera pas : Victor Hugo ne sort pas enrichit de l'épreuve. Mais sa phrase demeure, l'image résiste, le pathétique se maintient. Les 830 pages de ce fabuleux roman sont inaccessibles à l'élève moyen de quatrième, la version de Boris Moissard offre au moins l'occasion de tenter le pari, qui de toute façon n'est pas gagné.
Ce qui subsiste c'est la "sensation" de Victor Hugo, quelque chose qui relève de l'esthétique, j'utilise le mot comme l'utilise Jean Cohen dans Structure du langage poétique pour évoquer la "sensation de poésie". Et c'est sur cette "sensation" que je peux m'appuyer pour aborder la notion de "littérarité" au collège.

3/ Parce que je crois en la nécessité de faire lire les classiques ...

mais qu'à l'impossible nul n'est tenu. Obtenir le lecture d'un classique abrégé c'est obtenir une immersion dans la culture. Les classiques, mêmes abrégés, résistent à nos collégiens. Il faut faire l'épreuve de cette résistance et en sortir victorieux.
Nous n'avons pas vocation, nous, professeurs de français à faire aimer la lecture. Voilà pour beaucoup de parents d'élèves un paradoxe.
Non nous avons pour mission de d'initier au monde de la littérature, il se peut que les habitudes de lectures qu'aura développées le lecteur compulsif de sagas d'heroïc fantasy l'aident un peu à entrer dans l'Odyssée ou dans Jules Verne. Mais cette lecture, là, lecture plaisir, lecture de l'oubli ne nous aide finalement que très peu puisque précisément le texte littéraire est un texte qui nous tient en éveil.
Et comme une règle de grammaire anglaise, un théorème de géométrie ou une déclinaison latine, l'appropriation d'une oeuvre littéraire demande un effort.
La littérature jeunesse a toute sa place au collège, elle ouvre des pistes, introduit des thématiques et des formes littéraires. Elle peut se faire seule. Dans ce monument qu'est l'Homme qui rit, l'élève a besoin d'un guide.

samedi 6 décembre 2014

"Moby Dick" d'Herman Melville

Article publié dans le n°1 de L'Ecole des lettres 2013-2014
La séquence explicite davantage que d'autres la démarche pédagogique à suivre.

Moby Dick, l’un «des plus grands romans jamais écrits 1 », si l’on en croit Dominique Fernandez, a tous les travers susceptibles de rebuter le jeune lecteur: dans sa version intégrale, le roman dépasse les sept cents pages et multiplie digressions, passages didactiques et considérations métaphysiques autour d’un fil narratif assez mince puisqu’il ne s’agit, après tout, que d’une chasse à la baleine, d’une vengeance qui prend, certes, des proportions cosmiques, mais qui peut décourager le lecteur en mal d’aventures. 
La séquence qui suit porte sur une version abrégée de Moby Dick et n’a d’autre ambition que de conduire les élèves à goûter cette œuvre qui compte parmi celles contre lesquelles il faut parfois se battre un peu pour se hisser à leur niveau. Son étude conviendra aux classes de quatrième puisque le programme les invite à étudier le XIXe siècle. 
Il est recommandé d’aborder l’œuvre de Melville à la fin du troisième trimestre, elle permettra ainsi de revenir sur des concepts explorés de façon progressive au cours de l’année: en effet, le récit réaliste, le fantastique, la poésie lyrique sont autant de notions qui trouvent un écho dans l’œuvre de Melville. Ce moment de l’année nous autorise également à initier les élèves à la production de textes argumentatifs afin de les préparer aux épreuves du brevet qui proposent désormais un sujet de cette nature. 
Notre suggérons une approche thématique du roman qui consiste, au cours de chaque séance, à mettre en relief l’un de ses aspects: roman d’aventures, roman philosophique, roman poétique... Moby Dick est tout cela et bien plus encore.

On trouvera le détail de la séquence sur :
https://classiques.ecoledesloisirs.fr/9782211124508

La conclusion  qui n'a pu être publiée - faute de place

Le contrat est-il rempli ? Avons-nous démontré la littérarité de Moby Dick ? Avant de conclure par la négative, rappelons la complexité d’une telle entreprise. Il est moins facile de démontrer l’aspect littéraire d’une œuvre que l’existence d’un angle droit dans un triangle ! La littérarité pour reprendre un barbarisme communément utilisé dans les années 70, ne se laisse pas aisément définir. Elle est le fruit de la coutume : sont littéraires les œuvres patrimoniales, Moby Dick en fait certes partie. Mais nous ne contenterons guère nos élèves avec de tels raisonnement qui consistent à dire « C’est comme ça parce que c’est comme ça ! » En se tournant vers la conjonction du sens et de la forme : on peut admettre qu’une œuvre littéraire est une œuvre dense, riche et profonde. La version abrégée a astucieusement conservé la persistance des grands symboles – nous ne l’avons pas abordé, faute de temps, mais que penser d’un équipage aussi composite dont les harponneurs sont d’origines occidentale, océanienne, africaine, asiatique ? que penser des nombreux épisodes de morts et renaissance auxquels nous fait assister la narration ? Nous aurons au moins démontré la coexistence de nombreux registres (poétique, didactique, fantastique) et la dimension prométhéenne du capitaine Achab. Moby Dick apparaît donc bien comme une somme, somme de savoirs, de mythes et de symboles. Et voilà qu’apparait un nouveau critère de littérarité : la polysémie. Comment lire cette histoire, s’agit-il d’un « blasphème » comme le pense John Huston qui adapta le roman au cinéma – cf bibliographie ? S’agit-il d’une variation sur le mythe de Prométhée ? D’une interrogation sur la relation nouvelle que l’homme doit instaurer aux dieux, voire d’une remise en question radicale de leur existence ? Il faut avouer que la lecture et l’étude de cette œuvre nous laissent bien peu de certitudes. Moby Dick est à l’image du monde : le roman pose plus de questions qu’il n’en résout. Voilà bien ce qui fait sa modernité ‑ autre critère de littérarité depuis les romantiques qui ont substitué au principe de l’imitation classique, celui de l’invention.
Nous admettrons donc n’avoir que partiellement rempli notre mission – à ceux qui douteraient du bien fondé des questions que nous posons en conclusion à une classe de quatrième, nous conseillons tout simplement de tenter l’expérience. Pour le reste, nous n’avons certes pas fait lire l’œuvre intégrale ‑ mais à l’impossible nul n’est tenu ‑ , nous avons privilégié certains extraits, ou certains angles d’attaque restreints. Nous croyons malgré tout que nous aurons fait partager ce «  surcroît de plaisir esthétique » dont parle Freud dans Le créateur littéraire et la fantaisie (in L’inquiétante étrangeté, Folio). Et nous estimerons avoir remporté la partie si, dans quelques années, l’un (voire, pourquoi pas, quelques uns) des trente élèves que nous avons face à nous dans une classe se plonge dans la version intégrale de l’œuvre, persuadé qu’il sera de n’y pas perdre son temps.

dimanche 23 novembre 2014

A propos des notes

Les notes sont donc à proscrire, on leur reproche d'être violentes, d'instaurer des classements, d'être subjectives... J'ai dû - pas vraiment volontairement - classer les dits reproches par ordre d'importance.

Violentes, il y aurait une violence du système scolaire. Le système scolaire est un système, il a donc ses lois, comme la société. Enlever des points sur un permis de conduire, c'est une violence, exiger d'un employé qu'il soit à l'heure au travail, c'est une violence... C'est à l'enseignant de renseigner l'élève sur la valeur de sa note, qui premièrement vient évaluer une production, pas l'élève lui même mais ce qu'il a fait. Il vaut d'ailleurs mieux évaluer une production qu'une compétence - ce qui ne veut rien dire, j'y reviendrai plus tard - et il n'y a rien de vraiment dramatique à avoir (non pas être) un zéro en orthographe. Moi qui ai eu cette note de façon constante pendant des années, je m'en suis remis. Les notes ne sont pas une violence, elle sont un mode de fonctionnement qu'il faut savoir dédramatiser, si tant est qu'il le soit.

Les classements : il s'agit moins de classer que de différencier. Le problème du système scolaire, c'est qu'il est scolaire, c'est à dire qu'il porte sur des disciplines scolaires pour lesquelles tout le monde n'a pas une grande affection. Il y a certainement à repenser son organisation. ce serait effectivement bien de valoriser, à l'école les élèves qui n'ont pas ces affinités avec les maths ou le français. on conviendra toutefois que ce système n'est pas complètement idiot puisque sans ces deux disciplines, on a du mal à pouvoir aborder les autres mais rien n'interdit de diversifier le champ des disciplines et d'introduire sous forme optionnelle des pratiques plus concrètes, c'est un choix sociétal, l'issue d'une réflexion qui devrait engager tous les acteurs du système éducatif. Mais quand je mets 6/20 à une expression écrite de troisième, je n'ai pas pour intention d'écarter l'élève de l'enseignement général, s'il le désire. Je l'alerte, nous avons ensemble du travail à faire pour que son désir prenne corps et réalité.

Subjectivité : bien sûr. C'est sans doute le reproche le plus fondé et je sais depuis toujours que je suis capable de noter 6 une copie que je noterais 8 si on me demandait de la recorriger deux mois plus tard. Je sais ce qu'est la docimologie. Je constate par ailleurs que de bons élèves - qui sont relativement bien notés - sont incapables d'affronter les rigueurs d'une première année de médecine et que des élèves que le système a mal notés franchissent ce cap sans problème. Mystères de la psyché humaine que les sciences cognitives, humaines et autres n'éclaireront jamais. Parce que la détermination, la volonté de réussir procèdent de l'intime. Parce que dans la subjectivité réside notre liberté. Et qu'au fond être subjectif c'est être imparfait mais compétent. Demandez à un robot de corriger une expression écrite.  


mercredi 26 septembre 2012

"L'Enfant et le savoir" de M. Menès

Avec L’Enfant et le savoir, Martine Menès, s’interroge pertinemment sur le concept de « rapport au savoir ». 
À la fois objet et processus, le « rapport au savoir » se voit défini comme « l’ensemble des relations affectives, cognitives, psychiques, pratiques que le sujet confronté à la nécessité d’apprendre entretient avec les objets de la connaissance du monde qui l’environne ». 
Cette définition posée, on comprend aisément, le rôle du désir dans les processus d’apprentissage : « Pas de savoir sans désir », fait remarquer la psychanalyste. 
L’essai va dès lors recenser les obstacles qui entravent les processus d’acquisition du savoir, parasités par des motifs refoulés, transmis parfois d’inconscient à inconscient. Martine Menès appuie sa démonstration sur des exposés de cas cliniques concrets mais aussi sur des exemples littéraires (Duras, Grimbert, Barbery…) qui pondèrent agréablement la réflexion psychanalytique. 

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