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Sept contre-vérités sur l’éducation, ou pourquoi l’école se doit de transmettre des connaissances.
Recensons donc ces « contre-vérités ‑ Daisy Christodoulou utilise en
réalité le mot « mythe », moins polémique – que pointe l’auteur de
l’ouvrage :
- Comprendre est plus important que connaître ;
- Un enseignement trop guidé rend les élèves passifs ;
- Le XXIe siècle rend obsolète les vieilles méthodes
d’enseignement ;
- Les élèves pourront toujours faire des recherches en ligne ;
- Il faut enseigner des compétences transversales plutôt que des
connaissances figées ;
- C’est par les projets et les activités que les élèves apprennent le mieux ;
- Transmettre des connaissances, c’est endoctriner les élèves.
Dans chaque chapitre Daisy Christodoulou commence par montrer sur quels fondements théoriques s’appuient les mythes dont elle conteste l’absolue vérité puis elle analyse la manière dont ces idées sont mises en pratique et encouragées dans le système scolaire avant de démontrer en quoi ces pratiques éducatives défient, malgré la bénédiction des autorités éducatives, toute logique élémentaire.
Comprendre est plus important que connaître
C’est à Rousseau, Dewey et Paulo Freire qu’incombe la dévalorisation des
savoirs. Tous établissent une opposition entre « les faits généralement
perçus comme néfastes » et « la compréhension, le
raisonnement », « la signification ». Chez ces pédagogues, la
connaissance est perçue comme néfaste car la transmettre revient à placer
l’élève en situation de réceptacle passif.
Daisy Christodoulou montre ensuite comment les programmes anglais qui
privilégient depuis 2007 les compétences transversales ont considérablement
allégé la liste des connaissances à transmettre, un peu à la manière de ce qui s’est
produit plus récemment en France avec les programmes de 2016.
Pourquoi cette idée relève-t-elle du mythe ? S’appuyant sur les
travaux du psychologue américain J.-C. Anderson, Daisy Christodoulou montre que
« L’intelligence n’est rien d’autre
que l’accumulation et l’ajustement d’une multitude de petites unités de
connaissance dont l’ensemble donne naissance à la cognition complexe. »
Il n’y a donc pas de compétences sans connaissances, les connaissances qui
s’inscrivent dans la mémoire à long terme, libèrent la mémoire de travail que
l’élève mobilise pour réfléchir. Nous emprunterons à l’ouvrage un exemple très
simple : bien peu d’entre nous s’avèrent capable de trouver instantanément
le résultat d’une multiplication comme 46 x 7. Et nous n’y parviendrons qu’en
décomposant l’opération, soit 40 x 7 + 6 x 7. Mais encore faut-il pour ce faire,
avoir mémorisé ses tables de multiplication !
Ce qui est vrai en arithmétique vaut aussi pour les compétences
langagières, la maîtrise de la profondeur historique ou les lois physiques de
l’univers.
Un enseignement trop directif rend les
élèves passifs
Toujours se référant à Rousseau, Dewey et Freire, Daisy Christodoulou
montre que pour ces pédagogues, le maître doit se garder d’intervenir et se
placer en retrait pour laisser s’épanouir la curiosité naturelle des élèves. A
leurs yeux, imposer des connaissances serait immoral et néfaste. Immoral dans
la mesure où la contrainte vide l’enseignement de toute joie et néfaste parce
que l’enfant à qui l’on impose des connaissances devient passif, apprenant sans
comprendre.
Or, il existe trois arguments majeurs en faveur de l’intervention des enseignants
et d’une transmission explicite des connaissances : le premier est
historique. Qu’il s’agisse de l’alphabet ou des grandes découvertes
scientifiques, comment imaginer qu’un enfant puisse les reconstituer seul sans
l’aide des adultes ? Si les enfants apprennent naturellement à parler, il
est illusoire de penser que l’apprentissage de l’écriture ou celui des grandes
lois naturelles découvertes par Euclide et Newton puisse s’opérer de la même
manière.
Le second argument est d’ordre théorique : « Il nous est difficile d’assimiler de nouvelles informations lorsque
nous ne bénéficions que d’un accompagnement limité, voire inexistant. C’est la
conséquence des limites de notre mémoire de travail. » Confronter les
élèves à des problèmes complexes, sans leur donner les moyens de les résoudre
revient donc à les décourager.
Le dernier argument est d’ordre empirique : John Hattie, chercheur en
science de l’éducation a comparé différentes pédagogies et montré que les plus
efficaces étaient les pédagogies explicites
qui consistent à clairement définir les objectifs à atteindre et les
critères de réussite, puis à effectuer des démonstrations sans détour, à en
évaluer la compréhension pour ensuite si nécessaire répéter ce qui a été
abordé.
Or ce type d’enseignement jugé ennuyeux par les autorités académiques est, de
plus en plus souvent et partout, découragé.
Le XXIe siècle rend obsolète les vieilles
méthodes d’enseignement, Les élèves pourront toujours faire des recherches en
ligne
En quoi notre époque, différant tellement des précédentes,
nécessiterait-elle une pédagogie tellement nouvelle ? La première raison
serait que l’existence d’espaces de stockage en ligne a mis le savoir à la
disposition de tous, partout et à tout moment, il est donc devenu inutile de
l’apprendre ; La deuxième raison, ressassée à l’envie par les dirigeants
des milieux économiques, serait que les progrès sont devenus tellement rapides
que le système scolaire se doit de développer des compétences transférables qui
permettront à l’individu de s’adapter aux constants bouleversements engendrés
par une technologie en perpétuelle mutation.
Avec ce type de discours on en arrive très vite à la conclusion que la
somme des connaissances étant devenue exponentielle, il est inutile de les
transmettre.
Or Daisy Christodoulou rappelle qu’il faut savoir hiérarchiser les
connaissances et que plus une connaissance est ancienne plus elle risque de
s’avérer valables dans les années à venir. Elle cite ainsi Larry Sanger, cofondateur
de Wikipedia : « …posons-nous
la question suivante : qu’est-ce qu’il aurait mieux valu que j’apprenne en
1995, quand j’avais 17 ans : les tenants et les aboutissants de
WordPerfect et de BASIC, ou l’histoire américaine ?
La question ne devrait même plus se
poser : ce que j’ai appris en histoire va rester inchangé et faire l’objet
de peu de corrections. En revanche, il est parfaitement inutile aujourd’hui de
connaître WordPerfect ou BASIC »
Et de conclure : « Rien ne
vieillit plus vite que l’avant-garde », les défenseurs des compétences
font donc fausse route lorsqu’ils invitent à sans cesse se renouveler.
Quant aux recherches sur internet, elles ne pourront jamais remplacer les
connaissances puisqu’il faut précisément des connaissances pour hiérarchiser
l’information à disposition sur le web.
Il faut enseigner comment apprendre
plutôt qu’apprendre des connaissances
Là encore, Daisy Christodoulou démontre qu’apprendre à apprendre est une
illusion et que cette idée d’un transfert des compétences si évidente pour bien des
pédagogues n’a aucune réalité. Ce n’est pas parce qu’on a exercé son esprit
critique sur les origines de la seconde guerre mondiale qu’on devient capable
de le faire pour une partie d’échecs. S’appuyant sur une série d’expériences
célèbres, l’auteur va plus loin démontrant qu’aux échecs, comme dans toutes les
disciplines, ce sont les connaissances qui font la compétence. Les grands
joueurs sont ceux qui, s’étant penchés sur l’histoire des échecs, ont étudié
des milliers de position, s’avérant ainsi capables, grâce à cette mémoire du
jeu, de battre n’importe quel joueur moyen.
C’est par les projets, les activités que
les élèves apprennent le mieux
Avec ce chapitre Daisy Christodoulou remet en cause l’un des dogmes des
reformes récentes : la nécessité du décloisonnement et la mise en place de
projets interdisciplinaires. On attend ainsi de l’élève qu’il se mette à
réfléchir « comme un scientifique ou comme un historien ». Or, comme
elle le fait justement remarquer par la suite : ce qui fait la différence
entre l’historien, le scientifique et l’élève en apprentissage, c’est le stock
de connaissances que les premiers ont assimilé et qui leur permet de juger de
la valeur de leurs découvertes.
« Ce dont nous devons prendre
conscience, conclut-elle, c’est que le processus d’enseignement par projet a
quelque chose de profondément inéquitable. Cela nécessite des connaissances préalables mais ne fait rien pour
les enseigner. »
L’auteure s’appuie sur de nombreux exemples qui rappellent les pratiques
pédagogiques préconisées dans nos ESPE, qu’il s’agisse de faire peindre des
assiettes commémoratives en histoire ou fabriquer des marionnettes pour aborder
Roméo et Juliette. Que de temps
perdu ! D’autant que les élèves, que ce soit en France ou en Angleterre,
ne sont pas exonérés d’évaluations. « Si
l’on perd du temps à faire des activités tangentes qui détournent l’attention
des élèves, ces derniers finiront par apprendre par cœur – sans doute avec des
erreurs – des connaissances et des compétences qui auraient dû leur être
enseignées dans un contexte porteur de sens. »
Transmettre des connaissances c’est
endoctriner les élèves
Tout un courant pédagogique, bien souvent d’obédience marxiste, invite à
tenir pour suspectes des connaissances disciplinaires élitistes qui constituent
l’apanage d’une classe sociale (la bourgeoisie) et dont la maîtrise ne vise
qu’à reproduire les inégalités sociales. En conséquence, il ne faudrait pas
imposer de connaissance extérieures aux élèves mais travailler sur des
connaissances et expériences qu’ils ont déjà pour développer leurs facultés.
Or, fait remarquer Mme Christodoulou « Réduire et marginaliser l’enseignement des connaissances à l’école revient à accentuer les caractéristiques
antidémocratiques et inégalitaires de notre société. »
Le but de l’école devrait être de transmettre le patrimoine culturel de l’humanité :
« La phrase en anglais, les valeurs
de positions en mathématiques, l’énergie en physique… », autant de
concepts qui ont permis à l’humanité de progresser.
Les enseigner à tous, c’est donner à tous la possibilité de revendiquer
l’héritage de l’humanité, c’est aussi donner à tous les outils qui permettent
de s’orienter dans un monde complexe, où la désinformation prend souvent le pas
sur l’information. « Les connaissances n’endoctrinent pas, elles libèrent. »
Pour tous les professeurs qui n’ont pas renoncé à enseigner, à vouloir
transmettre leur discipline et qui se voient parfois stigmatisés par leur
hiérarchie, l’ouvrage de Daisy Christodoulou apporte non seulement la
confirmation de leurs intuitions mais aussi un réconfort certain. Il n’est pas
de compétences sans connaissance. Et c’est bien la connaissance qui fonde notre humanité, il faut savoir le
dire aux élèves que découragent la lecture de Racine ou l’apprentissage du
subjonctif. Me reviennent en tête au moment où je rédige cette conclusion les
paroles idéalistes de Keating le professeur enthousiaste (un peu trop peut
être) du Cercle des poètes disparus
« On lit et on écrit de la poésie parce qu’on fait partie de l’humanité et
que l’humanité est faite de passions. » Passions qui ne s’arrêtent pas à
la poésie mais qui valent pour tous les savoirs et savoir-faire élaborés au
cours des siècles par la communauté humaine.
jeudi 3 août 2023
Réforme de l’épreuve de français : quel bilan cet été ?
vendredi 28 juillet 2023
Le Tour du monde en quatre-vingts jours
« Un jour, dira Jules Verne à des journalistes, j’ai pris un exemplaire du journal Le Siècle et j’y ai vu des calculs démontrant que le voyage autour du monde pouvait se faire en quatre-vingts jours. » On imagine aisément quelle tempête sous un crâne put déclencher cette lecture. Faire le tour du monde en quatre-vingt jours devenait possible ! Pour l’écrivain qui aimait voyager et avait fait bourlinguer tant de personnages à travers le monde entier, s’offrait là, l’occasion d’une expérience nouvelle, inédite. Ses personnages auraient à jongler non seulement avec les obstacles géographiques mais aussi avec les impératifs temporels.
Effectuer le tour du monde en quatre-vingts jours en 1871 était de fait une performance qui pouvait manifester le triomphe de la technique sur la nature et les éléments. Les chemins de fers, les lignes de paquebots qui traversent les océans permettent théoriquement d’accomplir cette prouesse, Jules Verne va en faire la démonstration romanesque. Mais faire le tour du monde en quatre-vingts jours c’est aussi, d’une certaine manière, dire adieu à l’aventure. Dans ses romans antérieurs Jules Verne a envoyé ses personnages dans les zones blanches du globe terrestre, qu’ils aient cherché à gagner le centre de la terre, ou à suivre le parallèle de latitude 37°11’ ! Le monde semblait inépuisable, le voilà désormais circonscrit.
L’homme qui accomplira un tel exploit se doit d’ailleurs d’être exceptionnel, il lui faut faire preuve d’une exactitude métronomique, quel meilleur sujet qu’un de ces britanniques méthodiques, routiniers et subitement excentriques que Jules Verne a pu observer au cours de ses voyages en Angleterre ? Phileas Fogg en sera la parfaite illustration : membre d’un club distingué, énigmatique et laconique, sa vie est réglée comme une horloge. Pour son nouveau serviteur, le français Jean Passepartout, Phileas Fogg est l’un de ces « anglais à sang froid », un « être bien équilibré dans toutes ses parties, justement pondéré, aussi parfait qu’un chronomètre. » Le serviteur inaugure, dans ce chapitre 2, la série des comparaisons et métaphores qui donnent à voir le héros du roman comme une machine.
(extrait de la préface)
Séquence disponible sur : https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/le-tour-du-monde-en-quatre-vingts-jours-de-jules-verne-du-roman-daventures-au-roman-de-formation/