Quelques mots sur les soeurs Brontë dont j'ai reproduit quelques poèmes. Le fait d'avoir étudié le roman pour les quatrièmes, d'arriver au terme d'un long article sur Jane Eyre, m'a obligé à réactiver ces lectures d'adolescent dont je me sentais bien éloigné. D'autant plus qu'il y a quelques années j'avais lu Le Professeur de la même Charlotte Brontë, que j'avais trouvé ennuyeux, terne, moralisateur et, en un mot : indigeste.
Relire Jane Eyre m'a réconcilié avec Charlotte, même si le roman est plein d'invraisemblances (que penser de ces hasards qui conduisent Jane chez ses cousins dont elle igorait l'existence? De Rochester qui ne trouve rien de mieux à faire que de se travestir en bohémienne pour éprouver sa bien aimée ? ...) Pourtant le roman fonctionne, il y a des passages magiques tant par leur poésie (Jane qui, dans la glace se voit figée en plein territoire des morts, le romantisme de la demande en mariage, le pathétique de sa dérive... ) que par leur efficacité dramatique (le rire de Berthe qui hante tout le roman), Charlotte était une grande artiste. Emily était un génie.
Il y a quelque chose de fascinant dans cette famille d'artistes maudits, tous possédés du démon de la création. Gallimard a eu la bonne idée de publier les Juvenilias, ces récits que les quatre enfants ont élaborés souvent en binômes.
Charlotte et Branwell bâtissaient le royaume d'Angria quand Emily et Anne se réfugiaient à Gondall. C'est Branwell qui, semble-t-il eut l'idée de ces récits; attribuant une personnalité à ses soldats de plomb, il aurait entraîné ses soeurs dans ces récits échevelés pleins de souverains sanguinaires et de châteaux dont les caves dissimulent salles de tortures et souterrains mystérieux.
Et puis Charlotte se désintéressera de Branwell, l'enfant gâté, trop adulé par un père qui n'avait eu foi qu'en son garçon. Branwell, l'enfant terrible, incapable de garder un emploi, de se montrer à la hauteur de ses aspirations artistiques, c'est alors Emily qui, avec patience, ira chercher ce frère qui gaspille sa vie et sa santé dans les tavernes et qui veillera à son chevet, supportant patiemment ses sautes d'humeur d'alcoolique opiomane.
Emily, Charlotte les deux pôles de la création artistiques, les deux tempéraments de la famille! Elles me font penser à ces couples gémellaires dont l'un, tourné vers l'extérieur cherche à s'échapper pour se tourner vers le monde et dont l'autre, à tout jamais effarouché, n'aspire qu'à retrouver la sécurité du couple. Charlotte qui partira étudier à Roe Head, qui est à l'initiative de l'expédition bruxelloise, Emily qui forte des mêmes expériences ne désire à chaque fois qu' une chose : retrouver Haworth, son presbytère, sa lande chérie, ses chiens...
Charlotte voudrait écrire sur un monde extérieur qu'au fond elle connaît mal, Emily se tourne vers son monde et nous en donne une vision hallucinée, terriblement vivante, qui prend corps parce qu'elle s'alimente aux sources les plus profondes de l'être, dans ce mouvement de communion avec la nature où l'âme se ressource et se déploie, auscultant les différentes facettes de son expansion possible, aussi bien dans l'infini de l'amour que dans l'abjection du mal et des instincts animaux. Charlotte ou les séductions de l'ailleurs, Emily ou la pureté de l'absolu, ici et maintenant dans le sifflement des vents qui érodent les moors.
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