Révision

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lundi 15 juin 2009

L'Antinea de Forest, ou la vision de l'anima

Jean-Claude Forest, le créateur de la séduisante Barbarella, fut aussi l'illustrateur de quelques unes des couvertures les plus marquantes du Livre de Poche à ses débuts (Regain de Giono, Le Bruit et la fureur de Faulkner, L'Île au trésor de Stevenson, Orient Express de Graham Greene...) Il y a sans conteste un style Forest, un trait épais et marqué, une outrance dans les courbes ou les angles et malgré tout, une sensation de sérénité émane du dessin qui saisit l'apaisement d'après le drame ou son attente, dans un climat d'attention fataliste.
La couverture réalisée pour l'Atlantide représente l'héroïne de Pierre Benoit, Antinea, assise nue sur un drap vert (la couleur du mal), le regard baissé, dirigé vers un fauve menaçant que sa main semble retenir. Ce sont les seuls éléments de décor retenus par l'illustrateur puisqu'un clair obscur épouse le corps de la femme qui semble émerger de la nuit.
Cette prégnance de la nuit est essentielle, elle fait d'Antinea cette figure onirique dont Jung nous dit qu'elle est une parfaite incarnation de l'anima, l'archétype féminin de l'inconscient masculin. Comme tous les archétypes jungiens, l'anima est est une figure ambivalente, elle protège et console, prodigue l'ivresse de la sensualité et conduit l'homme dans les méandres de son propre inconscient. Mais elle est aussi redoutable, obsédante, la source de toutes les projections irraisonnées de l'inconscient. L'homme en proie à son anima ne contrôle plus son désir et se laisse absorber par la fascination qu'exerce sur lui l'archétype. L'Atlantide, au même titre que le She de Ridder Haggard est le roman de l'homme possédé par l'anima. On se souvient que les occidentaux qui parviennent au repaire de la reine Atlante sont conduits à leur perte par un amour irrationnel, Antinea a réuni dans une étrange salle mortuaires les sarcophages de ses amants morts d'amour.
Le dessin de Forest fait apparaître cette ambivalence en adjoignant à la belle Antinea ce Guépard menaçant dont la proximité avec sa maîtresse est signalée par un tracé circulaire qui épouse le corps de la belle Atlante, formant comme un accoudoir mais l'animal disparaît presque dans le coin inférieur droit. L'oeil est immédiatement attiré par les courbes et les zones d'ombres voluptueuses qui suggèrent la perfection féminine. Cette situation du sujet est néanmoins inhabituelle chez Forest qui fréquemment place ses héroïnes sur la droite, jouant de notre habitude de lecture qui va de la droite vers la gauche pour arrêter notre regard sur la femme, objet du désir.
Ici à l'inverse, notre regard plonge dans la nuit et revient : Elle ou la nuit. Le spectateur est ainsi plongé dans le même dilemme que les héros de Pierre Benoit. Antinea s'offre au regard, superbe apaisante, le guépard est un signe qu'on prend à peine le temps de considérer. Ne reste que la femme parée des attributs d'une féminité irrésistible et la promesse de la nuit, une parfaite illustration du concept de l'anima selon Jung.

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