Article publié dans le n°1 de L'Ecole des lettres 2013-2014
La séquence explicite davantage que d'autres la démarche pédagogique à suivre.
La séquence explicite davantage que d'autres la démarche pédagogique à suivre.
Moby Dick, l’un «des plus grands romans jamais écrits 1 », si l’on en croit Dominique Fernandez, a tous les travers susceptibles de rebuter le jeune lecteur: dans
sa version intégrale, le roman dépasse les sept cents pages et multiplie digressions, passages didactiques et considérations métaphysiques autour d’un fil narratif
assez mince puisqu’il ne s’agit, après tout, que d’une chasse à la baleine, d’une vengeance qui prend, certes, des proportions cosmiques, mais qui peut décourager
le lecteur en mal d’aventures.
La séquence qui suit porte sur une version abrégée de Moby Dick et n’a d’autre ambition que de conduire les élèves à goûter cette œuvre qui compte parmi celles contre lesquelles il faut parfois se battre un peu pour se hisser à leur niveau. Son étude conviendra aux classes de quatrième puisque le programme les invite à étudier le XIXe siècle.
Il est recommandé d’aborder l’œuvre de Melville à la fin du troisième trimestre, elle permettra ainsi de revenir sur des concepts explorés de façon progressive au cours de l’année: en effet, le récit réaliste, le fantastique, la poésie lyrique sont autant de notions qui trouvent un écho dans l’œuvre de Melville.
Ce moment de l’année nous autorise également à initier les élèves à la production de textes argumentatifs afin de les préparer aux épreuves du brevet qui proposent
désormais un sujet de cette nature.
Notre suggérons une approche thématique du roman qui consiste, au cours de chaque séance, à mettre en relief l’un de ses aspects: roman d’aventures, roman philosophique, roman poétique... Moby Dick est tout cela et bien plus encore.
On trouvera le détail de la séquence sur :
La conclusion qui n'a pu être publiée - faute de place
Le contrat est-il rempli ? Avons-nous démontré la
littérarité de Moby Dick ? Avant
de conclure par la négative, rappelons la complexité d’une telle entreprise. Il
est moins facile de démontrer l’aspect littéraire d’une œuvre que l’existence
d’un angle droit dans un triangle ! La littérarité pour reprendre un
barbarisme communément utilisé dans les années 70, ne se laisse pas aisément
définir. Elle est le fruit de la coutume : sont littéraires les œuvres
patrimoniales, Moby Dick en fait
certes partie. Mais nous ne contenterons guère nos élèves avec de tels
raisonnement qui consistent à dire « C’est comme ça parce que c’est comme
ça ! » En se tournant vers la conjonction du sens et de la
forme : on peut admettre qu’une œuvre littéraire est une œuvre dense,
riche et profonde. La version abrégée a astucieusement conservé la persistance
des grands symboles – nous ne l’avons pas abordé, faute de temps, mais que
penser d’un équipage aussi composite dont les harponneurs sont d’origines
occidentale, océanienne, africaine, asiatique ? que penser des nombreux
épisodes de morts et renaissance auxquels nous fait assister la
narration ? Nous aurons au moins démontré la coexistence de nombreux
registres (poétique, didactique, fantastique) et la dimension prométhéenne du
capitaine Achab. Moby Dick apparaît
donc bien comme une somme, somme de savoirs, de mythes et de symboles. Et voilà
qu’apparait un nouveau critère de littérarité : la polysémie. Comment lire
cette histoire, s’agit-il d’un « blasphème » comme le pense John
Huston qui adapta le roman au cinéma – cf bibliographie ? S’agit-il d’une
variation sur le mythe de Prométhée ? D’une interrogation sur la relation
nouvelle que l’homme doit instaurer aux dieux, voire d’une remise en question
radicale de leur existence ? Il faut avouer que la lecture et l’étude de
cette œuvre nous laissent bien peu de certitudes. Moby Dick est à l’image du monde : le roman pose plus de
questions qu’il n’en résout. Voilà bien ce qui fait sa modernité ‑ autre
critère de littérarité depuis les romantiques qui ont substitué au principe de
l’imitation classique, celui de l’invention.
Nous admettrons donc n’avoir que partiellement rempli notre
mission – à ceux qui douteraient du bien fondé des questions que nous posons en
conclusion à une classe de quatrième, nous conseillons tout simplement de
tenter l’expérience. Pour le reste, nous n’avons certes pas fait lire l’œuvre
intégrale ‑ mais à l’impossible nul n’est tenu ‑ , nous avons privilégié
certains extraits, ou certains angles d’attaque restreints. Nous croyons malgré
tout que nous aurons fait partager ce « surcroît de plaisir
esthétique » dont parle Freud dans Le
créateur littéraire et la fantaisie (in L’inquiétante
étrangeté, Folio). Et nous estimerons avoir remporté la partie si, dans
quelques années, l’un (voire, pourquoi pas, quelques uns) des trente élèves que
nous avons face à nous dans une classe se plonge dans la version intégrale de
l’œuvre, persuadé qu’il sera de n’y pas perdre son temps.
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