Le véritable débat sur la
réforme des collèges aura-t-il lieu ? Ou serons-nous, une fois de plus obligés d'accorder crédit à ces discours, dits scientifiques et qui assurent que l'élève apprend mieux seul ou en collaboration avec ses congénères qu'avec un professeur.
Le problème est bien
aujourd’hui de savoir comment faire
accéder le plus grand nombre à la culture. Et contrairement aux idées reçues,
aux modes pédagogiques – car il y a des modes en pédagogie, nous sommes par
exemple actuellement dans l’ère de la collaboration - elle même née de la fascination pour les outils numériques - : priorité donc aux travaux
de groupes, à la performance collective. Ce ne sont hélas pas quelques heures de travaux de
groupes interdisciplinaires qui donneront à l'élève en difficulté des chances accrues de
réussite.
C’est à nous professeurs,
en tant qu’individus forts d’une expérience, d’une passion, de faire admettre, comprendre
et si possible apprécier, la valeur de ce que nous enseignons. Chaque
discipline est porteuse de points de repères essentiels pour la culture et la
formation d’un être humain. Il faut savoir le rappeler. L’histoire nous donne
le sens de la collectivité et du devenir
humains, une appréhension de la notion de progrès, le français peut
procurer le sens de l’expression juste et précise, les bases de l’esthétique, faire
accéder à la subtilité du texte littéraire, les maths confrontent à la logique
et à l’abstraction, les langues apprennent à communiquer différemment mais
aussi à voir le monde autrement.
Ce sont ces valeurs, ces
directions inhérentes à chaque discipline qu’il convient de manifester. Il est
des réformes – et celle qui est en cours en fait partie – qui
semblent dire aux professeurs : « Vous ne connaissez pas votre
métier, vous ne savez pas transmettre, il faut faire autrement. Vous ne savez
pas intéresser vos élèves, il faut qu’ils soient actifs, productifs entre eux,
effacez-vous, laissez-les faire… »
L’empereur Hadrien selon
Marguerite Yourcenar disait fort bien entrevoir une société où il n’y aurait
peut-être plus d’esclaves mais où l’esclavage prendrait la forme plus
insidieuse du divertissement. Une société où les hommes seraient esclaves de
leurs divertissements. Nous y sommes. Ce qui distingue aujourd’hui les élèves
qui réussissent de ceux qui échouent, c’est que bien souvent ils ont été
éduqués, soutenus par des familles qui elles-mêmes savent, la valeur et les
conditions de l’effort intellectuel. Ceux qui échouent sont bien souvent livrés
seuls aux divertissements innombrables que notre société de consommation a
imaginés.
L’école peut-elle
compenser ces différences de milieux familiaux ? C’est possible mais il nous
faut sortir de cet univers carnavalesque qui fait croire à l’inversion des
valeurs. Et ce n’est pas une réforme qui préconise le travail de groupe et l’interdisciplinarité,
sous couverts de travaux en sciences de l’éducation irréfutables (et par
là-même suspects) qui changera quoi que ce soit.
Il faut que Mateo sache
qu’il ne trouvera pas la liberté livré seul à facebook ou aux émissions de
télé-réalité qu’il peut voir et revoir sur les écrans de sa chambre. Il faut
qu’il apprenne qu’intello n’est pas une insulte, mais un beau mot – dans sa
forme complète, en tout cas ‑ qui renvoie à l’une des plus nobles facultés de
l’être humain.
Éduquer n’est pas le seul
fait de l’école, l’éducation résulte d’un consensus, d’une convention qui
engage toutes les parties de la société. Or s’il est bien un élément consensuel
dans notre société, c’est le « bien des enfants ». Mais ce bien
passe-t-il par la consommation effrénée des gadgets, par la transformation de
nos bambins en geeks ou supporters de Nabila ? Le consensus, s’il
existait, devrait porter sur la valorisation de l’effort.
Et ce que je reprocherais
à la philosophie de cette reforme c’est de faire passer l’effort au second
plan. D'accorder la priorité, pour ce qui concerne le français par exemple, à l’expression orale. C’est bien l’oral, mais encore faut-il avoir quelque chose
à dire ! Je lui reprocherais également de minimiser le recours au patrimoine
littéraire – j’aime la littérature pour la jeunesse mais il me semble qu’un
projet de programme qui concerne la nation ne devrait pas placer sur le même
plan, tel roman historique d’un auteur de littérature jeunesse à la mode et
Victor Hugo. Je lui reproche enfin de reléguer la grammaire : sous le
couvert d’éviter « l’inflation terminologique », on verra donc encore
dans les ESPE, comme anciennement dans les IUFM, des formateurs considérer que
le mot « conjonction » est un gros mot.
Le programme précédent qui n’était pas sans défaut avait focalisé – un
peu trop peut-être – l’attention des professeurs sur la grammaire. Non sans
raison malgré tout. Car combien d’élèves aujourd’hui sont à même, en seconde,
de lire une pièce de Racine, une fable de La Fontaine, un conte de Voltaire ?
Qui enseigne dans un lycée non sélectif est amené à faire ce constat au
quotidien. Lisons le texte avec la classe, déplaçons les pronoms ou les
adverbes et le texte classique se fait lisible. L’élève qui n’a pas été habitué
à jouer avec la grammaire par le biais d’exercices un peu fastidieux n’accèdera
jamais à ces textes. Il lui manquera aussi au lycée un outil d’analyse fondamental
pour la relecture de ses propres écrits, pour le commentaire des textes
littéraires, pour l’apprentissage des autres langues.
Alors réformer, pourquoi pas ? Mais réformons en valorisant le sens
de l’effort et en prenant appui sur l’expérience des professeurs qui sont une fois de plus dépités de constater en quelle estime est tenu leur savoir-faire. Je consacrerai peut-être un jour une chronique à décrire les absurdités qu'on s'ingénie à inculquer aux professeurs stagiaires, d'absurdes détours qui n'ont qu'une fonction : déconsidérer les savoirs pour promouvoir un enseignement du vide. Edifiant!
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