Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

vendredi 22 mars 2024

La Tempête, de Shakespeare ou les bouleversements idéologiques des XVIe et XVIIe siècles


La séquence, ici présentée, vise à introduire le second objet d’étude de la spécialité «Humanités, littérature et philosophie » de la classe de première, «Les représentations du monde ». Il s’agit de montrer comment La Tempête, dernière pièce de Shakespeare, a pu être influencée par les bouleversements idéologiques liés aux grandes découvertes de l’époque et à l’émergence du rationalisme. La première séance situe Shakespeare, auteur relativement peu connu des lycéens, dans son temps. La deuxième séance aborde un passage clé de l’exposition qui permet d’interroger le statut du personnage de Prospéro, magicien érudit et maître d’œuvre de la pièce. Les troisième et quatrième séances s’intéressent à la représentation de la rencontre du dramaturge avec les peuples amérindiens et au choc des cultures qui en résulte. Les deux dernières séances sont consacrées à la place croissante du rationalisme dans la pensée des classes cultivées, lequel se substitue aux pensées magiques issues des superstitions en cours au Moyen Âge. L’évaluation consiste en une question de réflexion qui invite à puiser ses exemples essentiellement dans l’œuvre de Shakespeare. 

Une série d’exposés pourra prolonger la dimension mythique de la pièce et introduire le thème des utopies. 

Sujets d’exposés proposés: 

• le tableau de Waterhouse, Miranda, the Tempest (en couverture de cette séquence); 

• les illustrations d’Arthur Rackham pour La Tempête, édition William Heinemann de 1926, sur Wikisource : https://en.wikisource.org/wiki/The_Tempest_(Rackham)/Act_1 ; 

• la réécriture d’Aimée Césaire, Une tempête; 

• le film de Fred M. Wilcox, Planète interdite (disponible sur lacinetek.com), réécriture, sous forme d’un scénario de science-fiction, de la pièce de Shakespeare ; 

• le motif de l’île utopique dans une œuvre littéraire : L’Utopie, de Thomas More ; L’Atlantide, de Francis Bacon; L’Île des esclaves, de Marivaux ; Supplément au Voyage de Bougainville, de Diderot; Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre ; Île, d’Aldous Huxley ; Cefalu, de Lawrence Durrell; Sa Majesté des mouches, de William Golding ; Vendredi ou les Limbes du Pacifique, de Michel Tournier.

https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/la-tempete-de-shakespeare-ou-le-bouleversements-ideologiques-des-xvie-et-xviie-siecles/


Le Journal d’Ève ou le triomphe d’une insoumise

Dans une parodie de la Genèse hilarante, Twain inverse le rapport homme femme et fait de la mère de tous les humains  une figure de la résistance plus attachée à sa liberté qu’à un paradis monotone.

 

Ève est sans doute, avec Huckleberry Finn, l’une des figures les plus attachantes des œuvres de Mark Twain. Les deux personnages ont plus d’un point commun, dépourvus de préjugés, ils sont libres, entreprenants, n’hésitent pas à se confronter au monde pour en tirer des leçons – parfois certes contestables – mais toujours fondées sur une expérience dans laquelle ils s’engagent sans réserve.

Au centre d’un monde nouveau

Publié en 1904, Le Journal d’Ève[1] prolonge, non sans contradictions le Journal d’Adam[2] rédigé une dizaine d’années plus tôt. Alors que le Journal d’Adam reprenait assez fidèlement le récit de la Genèse, Le Journal d’ Ève s’avère beaucoup plus elliptique, rien (ou presque) n’y est dit au sujet de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » : « J’ai essayé, écrit Ève pensant à Adam, de lui faire tomber quelques pommes, mais je ne suis pas bonne au lancer. Je les ai manquées, je crois quand même que l’intention lui a fait plaisir. Elles sont interdites, il dit que je vais m’attirer des ennuis, mais si c’est pour lui plaire, quelle importance ? » (p. 206-207). Voilà tout. De façon assez logique, Ève n’est pas dans la transgression puisque l’avertissement divin n’a été donné qu’à Adam, lequel se montre d’ailleurs peu loquace voire même fuyant à l’égard de sa compagne.

Sans rapport direct avec le créateur, Ève n’a pas de compte à rendre et prend le paradis pour un champ expérimental. Elle-même a parfaitement conscience d’être une « expérience » : « J’ai l’impression d’être une expérience. Je me sens vraiment comme une expérience. Personne ne peut se sentir plus expérimental que moi, au point que je suis convaincue d’en être une – d’expérience ; une expérience, rien de plus. Mais, si je suis une expérience, suis-je toute l’expérience ? Non. Je ne crois pas. À mon avis, le reste en fait aussi partie. J’en suis l’essentiel, mais le reste a sa part dans l’affaire. » Loin néanmoins de se sentir entravée par son statut d’« expérience », Ève prend immédiatement son destin en main. Elle se sent immédiatement sujet, au point de se questionner sur le fait de savoir si elle est « toute l’expérience ». La réponse qu’elle apporte est savoureuse : elle en est l’essentiel – voilà donc Adam relégué. Et si « le reste a sa part dans l’affaire », c’est bien Ève qui, en tant que sujet conscient, va s’emparer du monde comme objet.


https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/le-journal-deve-ou-le-triomphe-dune-insoumise/



[1] On trouvera ce conte de Twain dans notre anthologie, Dénoncer les travers de la société, l’école des loisirs, 2019.

[2] La nouvelle est disponible en français dans le recueil intitulé Comment raconter une histoire (trad. de Chloé Thomas), Rivages poche, 2019.



samedi 16 mars 2024

Gallimard publie de nouvelles traductions de Raymond Chandler


La fameuse « Série noire », collection de romans policiers dirigée par Marcel Duhamel de 1948 à 1977, a fait connaître en France de nombreux romanciers américains dont le talent ne se limitait pas à bâtir une intrigue bien ficelée. Dashiell Hammett appartient désormais au panthéon de la littérature américaine, Raymond Chandler ne démérite pas à ses côtés dans cette collection. Son perfectionnisme stylistique méritait qu’on revoie la traduction de ses œuvres qui ont été singulièrement maltraitées par les traducteurs de la Série noire. Ils avaient en effet parfaitement intégré les codes du roman hard boiled (roman des durs à cuire), à savoir : action, argot et femmes fatales.

La voix singulière de Marlowe

Gallimard avait déjà entrepris un sérieux travail de révision, il y a dix ans, avec la publication, dans la collection « Quarto », d’une traduction révisée de cinq des sept romans de Chandler. The Little Sister, cinquième volume des aventures de Philip Marlowe et traduit en 1947 sous le titre Fais pas ta rosière !, s’y retrouvait sagement intitulé La Petite Sœur. Cela aurait sans doute réjoui Chandler, lequel avait été déconcerté par le titre français – en argot, une rosière est une jeune fille vertueuse. Seules les traductions réalisées par Boris Vian n’avaient pas été touchées. Si elles ne sont pas complètement mauvaises, elles sacrifient quand même au goût de l’époque, et on a du mal à entendre la voix du privé de Chandler dans les choix stylistiques opérés par l’écrivain. « Je la calottai encore un peu. Elle n’y fit pas du tout attention » devient « Je lui ai donné quelques gifles supplémentaires. Ça ne l’a pas dérangée. » (traduction nouvelle de Benoît Tadié). Il est évident que l’utilisation du passé composé rend de façon plus efficace la langue de Chandler qui est une langue parlée. Quant au verbe « calotter », il a une connotation argotique que n’a pas l’anglais slap (claquer, gifler). Benoît Tadié (Le Grand sommeil) et Nicolas Richard (La Dame du lac) se sont, chacun à leur manière, attachés à nous faire entendre la voix de Philip Marlowe, héros et narrateur des romans de Chandler.


https://www.ecoledeslettres.fr/gallimard-publie-de-nouvelles-traductions-de-raymond-chandler/