http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/05/29/31003-20150529ARTFIG00340-ecole-l-idee-que-le-savoir-n-a-plus-d-importance-est-le-plus-grand-mythe-des-pedagogues.php
Un ouvrage que j'espère voir bientôt traduit!
Révision
La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.
mercredi 22 juin 2016
L'Île au trésor roman mythique
Je me suis parfois demandé si L’Île au trésor n’était pas la parfaite
illustration de la boutade de Mark Twain au sujet des classiques :
« Un classique est un livre que tout le monde veut avoir lu mais que
personne ne veut lire. » J’ai dû, dans ma carrière d’enseignant, le faire
étudier une fois à des classes de cinquième modérément motivées- c’était en
1986 ou 1987. J’ai rarement eu depuis le bonheur d’enseigner en cinquième et,
lorsque cela s’est produit, j’ai plutôt choisi d’orienter la curiosité de mes élèves
sur le Vendredi de Michel Tournier ou
sur L’Appel de la forêt.
J’ai très peu souvent rencontré
de collègue qui fasse étudier L’Île au trésor et ceux qui l’avaient
fait ne manifestaient – comme moi, à ma grande honte – qu’un enthousiasme tout
relatif. C’est un roman dont on recommande volontiers la lecture mais qu’au
fond on n’étudie peu. C’est un roman d’aventures, genre un peu désuet s’il en
est, c’est un roman sans femme – voyez avec quelle jubilation, Stevenson évoque (dans l’essai intitulé « Mon premier roman » ) la façon dont lui-même
et son jeune beau fils, expédient la femme hors de l’intrigue pour ne pas
ralentir le rythme par d’inutiles considérations sentimentales.
Et pourtant c’est un roman
essentiel, Dominique Fernandez, dans L’Art
de raconter, propose de ce roman l’une des lectures les plus intelligentes
qui en ait été faite : le roman d’aventures, rappelle-t-il est « la
forme naturelle » du roman et « pour cette raison », « la
plus difficile à réussir. » Et d’évoquer ensuite le génie de conteur de
Stevenson qui n’eut guère de rival en littérature selon lui que Stendhal.
Mais là où semble-t-il, Fernandez
se manifeste le plus clairvoyant, c’est
lorsqu’il montre que le géni de Stevenson est d’avoir confié la narration à Jim
Hawkins, un garçon de treize, quatorze ans : encore très jeune, que tout
attire, intrigue et surprend :
« Le heurt de la canne de l'aveugle sur le sol
gelé rend un son que j'appellerais « fondamental » : qui nous
fait vibrer, nous, d'une émotion extraordinaire, et que nous n'oublierons
jamais, pas tellement parce que cette canne est celle d'un criminel
endurci et que la vie du jeune héros se
trouve soudain en danger, mais parce que le son de cette canne est le
premier son qui s'imprime dans la mémoire de
Jim, il l'accompagnera toute sa vie, comme il nous accompagne, nous, les
lecteurs ; […] et, comme toutes les
premières impressions, celle-ci le poursuivra toujours, comme elle
nous hante, nous autres, encore aujourd'hui. »
La vigueur du style de Stevenson
tient effectivement au caractère frappant des perceptions visuelles et
auditives qui nous font entrer de plein pied dans l’univers de marins, de
pirates et d’auberges désolées du XVIIIe siècle. Et c’est pourquoi je m’étonne
qu’on n’étudie pas davantage Stevenson car c’est un merveilleux maître d’écriture.
Les conseils qu’il prodigue d’ailleurs dans ses Essais sur l’art de la fiction montrent d’ailleurs à quel point il
était parfaitement conscient de ses effets.
Je crois que ce sont ces considérations
toutes personnelles qui m’ont conduit à vouloir abréger le roman de Stevenson :
voilà l’un des romans les plus essentiels de notre littérature qu’on lit,
semble-t-il, très peu pour les mauvaises raisons exposés ci-dessus mais aussi
parce que l’aventure y serait un peu poussive et certaines péripéties
interminables, pour reprendre l’objection d’un collègue. Comme Dumas Stevenson
se serait empâté avec l’âge. C’est à ce dernier reproche que nous avons été
sensibles. Et notre édition abrégée s’est efforcée de conserver la force du
roman tout en précipitant certaine péripéties de manière à le rendre plus
acceptable pour des lecteurs nourris à l’aune des scènes précipités d’Indiana
Jones.
La double trahison de la traduction
et de l’adaptation peut-elle rendre justice à l’art du fabuleux conteur ?
Nous l’espérons : Jim Hawkins conserve, dans notre version, la fraicheur
de ses treize ans et ses foucades d’apprenti aventurier ; je mettrais
d’ailleurs volontiers au défi quiconque n’a pas lu L’Île au trésor depuis quelques années de trouver les coupes dont
je me suis rendu coupable.
Mieux qu’un classique ordinaire, L’Île au trésor a très vite accédé au
rang de mythe. On ne saurait considérer le Moonfleet
de James Meade Falkner comme une réécriture mais il y a, dans ce roman
d’aventures, à tout le moins, hommage. Même technique narrative, même héros
jeune et déterminé, mêmes thématiques. Et si nous signalons ce roman c’est
parce que la fortune de Stevenson au cinéma est loin d’être évidente.
Alors que le Moonfleet de Falkner devait inspirer le génial Contrebandiers de Moonfleet à
Fritz Lang, L’Île au trésor subit de nombreuses adaptations, sans qu’il soit
possible d’identifier une seule version à la hauteur du roman. C’est peut-être
la première, celle de Victor Flemming (1934) qui dessert le mieux l’histoire de
Stevenson même si le filme souffre de cet excès de longs plans statiques qui
sont la marque des débuts du cinéma parlant. L’interprétation d’Orson Welles – Long John Silver dans le film de John Hough en 1972 – séduira les inconditionnels
de l’acteur qui trouve ici un rôle à sa démesure.
Falkner ne fut pas le seul à
rendre hommage à Stevenson puisque le romancier Björn Larsson devait s’emparer
du personnage de Long John Silver pour lui faire raconter ses aventures de
pirates antérieures à sa carrière de tavernier sur le port de Bristol où Jim
Hawkins le rencontre pour la première fois. Le roman est brillant, un brin
désenchanté mais les clins d’œil au livre de Stevenson sont un régal – Long
John Silver conçoit sa narration comme une sorte de réponse à celle de Jim.
Ce sont toutefois les scénaristes
et dessinateurs de BD qui rendent au roman de Stevenson le plus bel hommage.
Et, à tout seigneur tout honneur, c’est par L’Île
au trésor d’Hugo Pratt que nous commencerons.
Dans l’édition Casterman, qui
réunit les deux adaptations que Pratt a réalisées de Stevenson (L’Île au trésor et Enlevé ! – première partie des aventures de David Balfour) Hugo Pratt explique, dans
une préface, les liens affectifs qui
l’unissent à ce récit. Comme Hawkins, Pratt devait perdre son père très jeune
et, si l’on en croit l’anecdote qu’il mentionne, le dernier cadeau que devait
lui faire ce père trop tôt disparu fut précisément une édition de L’Île au trésor. Dans le style expressionniste
et romantique qui le caractérise, Hugo Pratt met en scène le roman de façon
tout à fait saisissante : l’apparition de Billy Bonnes, par exemple,
visage squelettique qui s’approche pour envahir le cadre n’est peut-être pas
extrêmement fidèle à la narration de Jim Hawkins mais elle rend l’esprit de
l’épisode qui insiste sur le caractère à la fois excessif et intrusif du vieux
loup de mer.
Si la BD de Pratt reflète le géni
de son auteur, le scénario procède à des coupes qui simplifient l’intrigue et
nuisent à la crédibilité des caractères. On ne pourra pas faire ce reproche à
l’adaptation en trois tomes de David Chauvel et Fred Simon, publiée cette année
dans la collection « Mille Bulles » de L’école des loisirs. Les auteurs suivent scrupuleusement l’intrigue
du romancier et livrent un dessin soigné et documentée plus proche, par son
esthétique de la ligne claire que de l’expressionisme prattien mais qui saura
attirer l’attention du professeur de français désireux d’initier ses élèves au
langage de l’image. Cadrages (parfois même absence de cadre) et angles de vue
sont pensés dans le but de restituer au mieux le dynamisme de la narration et l’atmosphère
exotique du roman.
Avec Long John Silver, Xavier Dorison et Matthieu Lauffray utilisent le
personnage de Stevenson dans une série qui renoue avec la tradition du roman
d’aventures, le scénario soigné introduit de façon convaincante une héroïne séduisante
(Lady Vivian Hastings) et les planches inventives, intégrant parfois de
magnifiques plans d’ensemble, font de cette BD une parfaite réussite esthétique
et dramatique.
Notons pour terminer que le récent
Stevenson, le pirate intérieur de
Rodolphe (scénariste) et René Follet (dessinateur) ne constitue pas la moins
originale des entreprises ici décrites. Il s’agit d’une biographie de Stevenson
qui restitue tout en finesse le parcours d’un écrivain qui n’eut de cesse de
combattre la mort incarnée, dans le scénario, par le terrible Long John Silver,
issu des rêves de son auteur, écarlate et menaçant à souhait. Le dessin qui
élide le trait inscrit la figure de Stevenson dans une fluidité qui rappelle le
romantisme de son imaginaire, l’évanescence des rêves qui ont donné naissance à
son œuvre. L’entreprise pourrait faire penser – sur le mode graphique – à
l’intéressante entreprise biographique d’Hervé Jubert qui, il y a quelques
années confiait le soin de rédiger la vie de l’auteur, à la mort elle-même
On le voit, Stevenson et L’Île au trésor n’ont cessé et ne cessent
d’inspirer. Les romanciers – nous n’avons pas ici les Hammett et Le Clézio qui
ont aussi puisé la matière de certaines de leurs œuvres dans le roman de
Stevenson –, les cinéastes, les scénaristes de BD font revivre avec une belle
constance les personnages de Stevenson et l’intrigue de son roman, simple
certes mais exemplaire, comme le sont les mythes.
Avec, par ordre
d’apparition :
Robert Louis Stevenson, Essais sur l’art de la fiction, Petit
bibliothèque Payot, 1992.
Dominique Fernandez, L’Art de raconter, Le Livre de poche,
2008.
Robert Louis Stevenson, L’Île au trésor, l’école des loisirs,
2013.
John Meade Falkner, Moonfleet, Phébus, « Libretto », 2012.
Björn Larsson, Long John Silver, Le Livre de poche,
2001.
Hugo Pratt & Milo Milani, L’Île au trésor suivi de Enlevé !, Casterman, 2010.
David Chauvel & Fred Simon, L’Île au trésor, (3 volumes)
« Mille bulles », l’école des loisirs, 2012-2013.
Xavier Dorison & Matthieu
Lauffray, Long John Silver, (4 volumes)
Dargaud, 2007-2013.
Rodolphe & René Follet, Stevenson, le pirate intérieur, Dargaud,
20013.
Hervé Jubert, Stevenson. L’Aventure !, Médium
documents, l’école des loisirs, 2010.
jeudi 16 juin 2016
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