Traduit par Agnès
Desarthe, ce Maxilivre (1), qui est en fait le catalogue d’une exposition
réalisée à New York, en 2013 a l’avantage d’attirer l’attention sur des pans
ignorés du travail de l’artiste dont l’œuvre se réduit pour le profane à
l’incontournable Max et les Maximonstres.
La passion des livres
La Préface de Justin G.
Schiller libraire spécialisé dans la vente de livres rares et anciens retrace
quarante-cinq ans d’une amitié fondée sur la passion des livres, le lecteur
apprend ainsi que Maurice Sendak était un bibliophile averti, passionné par les
travaux de Lothar Meggendorfer, le père du livre animé, auxquels il consacrera
une étude mais aussi collectionneurs d’une première édition de Moby Dick, d’une
lettre de Wilhelm Grimm ou d’aquarelles de William Blake. Grimm, Blake,
Melville, sont autant d’influences qui n’ont rien de surprenant pour un artiste
qui a su élever l’album pour enfant au rang d’art.
Ursula Nordstrom
Leonard S. Marcus,
spécialiste de la littérature pour enfants et qui a publié en 2000 la
correspondance de Ursula Nordstrom (2), l’éditrice de Sendak, était tout
indiqué pour présenter l’œuvre de notre auteur-illustrateur, dans un article
fouillé sobrement intitulé « L’artiste et son œuvre ».
Marcus montre à quel
point la rencontre avec Ursula Nordstrom fut un moment déterminant dans la vie
de ce fils d’émigré polonais né à Brooklyn et que rien ne prédisposait au
succès. Artiste autodidacte, Sendak travaillait à la décoration de vitrines
d’un libraire réputée quand il fait la connaissance d’Ursula Norstrom, éditrice
chez Harper & Collins depuis plus de dix ans. Ursula Nordstrom œuvre
énergiquement à la promotion de la littérature pour enfant dont elle déplore
qu’elle soit si peu considérée.
Maurice Sendak, auteur de "Max et les Maximonstres". |
Le refus du style
Elle détecte
immédiatement le talent de Sendak et lui confie l’illustration de toute une
série d’albums qui rencontrent d’ailleurs bien souvent ce qui, d’après
l’artiste lui-même, constitue sa hantise : la question de « savoir
comment les enfants réussissent dans un monde majoritairement indifférent à
leur sort » De la version américaine des Contes du chat perché de M. Aymé, aux aventures bien connues de « Petit
Ours » d’Else Homelund (3), Sendak s’attache à dessiner l’enfance et
trouve son style : ce trait appuyé et ces proportions étranges qui donne à
ces sujets cette « extraordinaire apparence d’aplomb ».
Ursula Nordstrom qui
déclarait vouloir publier de « bons livres pour de vilains enfants »
est ravie. Leonard S. Marcus s’attache alors à dénombrer les nombreuses
influences qui s’exercent sur le travail de Sendak : George Cruikshank,
Gustave Doré, William Blake, Randolph Caldecott … et montre que Sendak considérait
l’idée même de style comme « un enfermement ».
Le lieu magique
Il se livre ensuite,
comme pour le démontrer, à une étude de trois albums qui à ses yeux forment une
trilogie : Max et les Maximontres
(1963), Cuisine de nuit (1970) et Quand papa était loin (1981) (4). Le
lien entre ces trois albums ? Un schéma narratif circulaire qui déplace le
jeune héros (ou l’héroïne) vers un lieu magique (les titres américains Where the wild things are, In the night Kitchen et Outside over there, le
signalent explicitement) métaphorique d’un voyage dans l’inconscient.
Marcus rappelle
d’ailleurs que Max et les Maximonstres
fut créé dans la foulée d’une analyse et met en avant l’aspect résolument
novateur de l’album dans sa manière de gérer le rapport de l’image au
texte : la plongée dans l’univers de l’inconscient est mimée par
l’envahissement progressif du dessin qui finit par occuper toute la page lors
de la « fête épouvantable » organisée par le héros. Au retour à la
raison et au monde conscient correspond la réintégration du texte et la
réduction du cadre de l’image. « Aucun
artiste avant lui, conclut-il, n’était parvenu à établir une relation
aussi intime et symbolique entre le texte et l’image, d’une façon qui
permettrait de faire dialoguer les vies à la fois conscientes et inconsciente
de son héros. »
Max et ses Maximonstres |
Erudition, simplicité et perfectionnisme
Si ces trois albums
constituent des chefs d’œuvre c’est aussi parce qu’ils manifestent la culture
de leur créateur. Sendak utilise avec bonheur l’intertextualité : si le
scénario de Max et les Maximonstres
rappelle Hansel et Gretel, Cuisine de nuit multiplie les allusions
(Beatrix Potter, Lewis Carroll, Walt Disney…). Quant à l’angoissant Quand papa était loin, il s’appuie sur
le scenario des Lutins l’un des
contes les plus courts des frères Grimm.
Le lecteur feuillettera
avec bonheur ce beau livre dédié à Maurice Sendak pour y apprendre que ce
dernier faut aussi publiciste, décorateur de scènes théâtrales, concepteur de
fresque et enseignant. La très riche iconographie permet de rendre compte de la
popularité du phénomène Max et les
Maximonstres : produits dérivés, campagne publicitaire, Maurice Sendak
fut amplement sollicité pour prolonger la vie des Maximonstres hors de leur
histoire originelle. Elle permet aussi d’entrer dans le laboratoire de
l’artiste : esquisses, crayonnés, tentatives abandonnée…
Comparer la version finale
d’Ida tournoyant au-dessus de la grotte des lutins à une première esquisse de
1977 (p. 57) donne une idée du perfectionnisme de l’artiste. Recourant d’abord
à la plume, Maurice Sendak finit par opter pour le pinceau ultra fin à quatre
poil qui lui permet d’obtenir une luminosité tout à fait remarquable, créant
ainsi le climat onirique qui convient à ce beau « conte d’amour et de
mort » qu’est « Quand papa était loin ».
Le « Maxilivre
hommage à Maurice Sendak » est un ouvrage indispensable à celui qui
douterait encore que l’album pour enfant ne relève pas pleinement de l’art. Il
montre comment cet aimable perfectionniste que fut Maurice Sendak illustre avec
bonheur les propos de Thésée (cités par Leonard Marcus) dans Le Songe d’une nuit d’été.
« Et comme
l’imagination donne corps
Aux objets inconnus, la
plume du poète
Leur imprime de même des
formes, et assigne à un fantôme aérien
Une demeure et un nom
particulier. "
L'art a pour vocation de donner forme au chaos et de composer "un espace rassurant dans lequel il est possible de se confronter sans danger à ses propres démons."
(1) Le Maxilivre hommage à Maurice Sendak d'Agnès Desarthe, Little Urban, 2016.
(2) Leonard S. Marcus, Dear Genius, the letters of Ursual Nordstrom, Harper & Collins, 2000.
(3) Quatre album d'Else Homelund et de Maurice Sendak: Petit Ours, Petit Ours a une amie, Petit Ours part en visite et Papa Ours rentre à la maison, ont été publiés à l'école des loisirs en 2016.
(4) Les trois albums sont publiés à l'école des loisirs.
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