Pour Condorcet, l’éducation première devrait consister à éveiller la compassion envers les animaux ou les humains. Le développement de la sensibilité entraînerait la sollicitude et garantirait de l’égoïsme et de l’indifférence envers autrui ? Mais comment éduquer à la sensibilité ? Si les éducations intellectuelle et morale semblent aller de soi, l’éducation à la sensibilité est plus problématique. Faut-il, dès lors, envisager les disciplines artistiques et la littérature en particulier comme des vecteurs privilégiés de cette éducation ? La littérature aurait-elle vocation à éduquer la sensibilité ? Sans doute faut-il se poser la question de savoir si la littérature a « vocation » à éduquer, avant de questionner son rapport à la sensibilité et de voir enfin en quoi la littérature interroge particulièrement la sensibilité ?
I. La littérature doit-elle être utilitaire ?
La littérature a-t-elle « vocation à » quelque chose ? Cette question traverse toute son histoire. Si les Romantiques au XIXe reconnaissent à la littérature une fonction politique et sociale – on sait les engagements de Victor Hugo contre le travail des enfants, la peine de mort, la tyrannie –, les Parnassiens dans la deuxième moitié du XIXe leur opposent une doctrine de l’art pour l’art. Celle-ci a été inspirée en partie par Théophile Gautier qui écrivait, dans sa préface à Mademoiselle de Maupin : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien…. »
