J.J. Grandville a laissé une trace incomparable dans l'histoire de l'illustration en France. Caricaturiste à l'origine, il s'est ensuite orienté vers l'illustration des chefs-d'oeuvre de la littérature classique et contemporaine, les Fables de La Fontaine, Les voyages de Gulliver, Robinson Crusoë... Après une série de deuils familiaux il meurt à quarante ans, d'une mystérieuse maladie.
Dans cet article j'ai appliqué - à échelle restreinte - la méthode de Charles Mauron qui consiste à superposer une série d'oeuvres et mis en parallèle une illustration réalisée pour "La Carpe et les Carpillons" de Florian avec "Crime et expiation", dessin plus personnel qui résultait sans doute d'un rêve de l'artiste et réalisé peu de temps avant sa mort.
Article disponible dans le n° 2, novembre-décembre 2009-2010 de l'Ecole des lettres.
Extrait (Introduction)
Initié, semble-t-il, par Balzac
aux théories zoologiques de son temps, passionné par les conceptions physiognomiques[1]
de Lavater, Grandville s’est peu à peu spécialisé dans les représentations d’animaux
anthropomorphisées. Il illustre les Fables
de La Fontaine pour l’édition Fournier aîné & Perrotin de 1838, et ce
travail lui apporte de telles satisfactions qu’il éprouve le besoin d’expliquer
ses méthodes dans une étrange lettre destinée à un « admirateur du futur »
qui serait soucieux de justifier son œuvre. Nous avons donc tout lieu de penser
que le projet d’illustrer les fables de Florian, l’année suivante, ne pouvait
que stimuler notre artiste et lui permettre de réinvestir les curieuses
théories relatives à la physiognomie pour lesquelles il se passionne. La
gravure de la page 25[2]
est, à ce titre, des plus éloquentes puisque le renard et l’âne qui se
contemplent dans le miroir peuvent voir leurs reflets métamorphosés en humains
grimaçants. On constatera aisément, à travers les gravures qui émaillent le
recueil, à quel degré de maîtrise Grandville est parvenu lorsqu’il s’agit de
mettre en scène la vie animale. La première fable animalière illustrée (« La
Carpe et les Carpillons ») lui fournit l’occasion de prouver son habileté
en matière de composition et la profonde intelligence qu’il a des textes, dont
il assure l’illustration. Il parvient notamment à transposer, sur le plan
graphique, à la fois l’humour, le drame et la tonalité didactique de la fable.
Plus troublant, l’histoire devient tellement sienne qu’elle lui permet
d’inscrire dans l’illustration ses propres conflits intérieurs : une brève
comparaison de cette gravure avec une gravure réalisée ultérieurement nous
permettra de comprendre en quoi cette fable de La Carpe et des Carpillons pouvait particulièrement toucher
Grandville.