Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

vendredi 26 juin 2009

Quelques aphorismes de Thoreau

Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis un fervent admirateur de Walden, les passages ou l'ami Thoreau dénombre ses plants de haricots et ses tomates sont d'un ennui absolu. Mais le bonhomme est sympatique, d'abord parce qu'il fut toujours, et malgré les difficultés de l'entreprise un fervent abolitionniste, ensuite parce que, influencé par Emerson il a été l'un des premiers occidentaux à comprendre l'importance des philosophie orientales - il semblerait d'ailleurs, qu'en retour, son Traité de la désobéissance civile ait inspiré Gandhi - et enfin parce qu'il s'est toujours tenu à l'écart des modes intellectuelles, quitte à passer pour un provincial acariâtre. On lira avec bonheur son éloge de la marche et de la nature (Balades), publié aux éd. de La Table ronde mais aussi ses aphorismes (La Moelle de la vie chez Mille et une nuit) dont je cite quelques exemples ici :


Lisez d'abord les meilleurs livres, de peur de ne les lire jamais.

Il y a plus de religion dans la science des hommes qu'il n'y a de science dans leur religion.

On ne peut dépouiller un homme de tout ce qu'il regrettera.

Comme si on pouvait tuer le temps sans blesser l'éternité.

Tous les livres ne sont pas aussi stupides et ennuyeux que leurs lecteurs.

J'aurai au moins appris cela grâce à l'expérience : si quelqu'un avance en toute confiance dans la direction de ses rêves et s'efforce de mener la vie qu'il a imaginée, il rencontrera un succès auquel il ne se serait pas attendu aux heures ordinaires. Il laissera des choses derrière lui, franchira une frontière invisible. De nouvelles lois universelles et plus libérales commenceront à s'établir d'elles-mêmes autour de lui et en lui. Ou bien les lois anciennes seront améliorées et interprétées en sa faveur dans un sens plus libéral – il vivra alors à un niveau plus élevé de l'existence. Plus il simplifiera sa vie, moins les lois de l'univers lui paraîtront complexes.

Thoreau, La Moelle de la vie, 500 aphorismes, trad. T. Gyllibeuf, Mille et une nuits.

dimanche 21 juin 2009

"Les Âges de la vie" de Caspar Friedrich

La grande redécouverte du romantisme aura été le lyrisme dont Jean-Michel Maulpoix s'est montré le théoricien éclairé (cf. lien). A l'acception traditionnelle - expression du sentiment personnel, il préfère la notion d'élan, de mouvement. Le lyrisme est un mouvement d'expansion, une recherche de la fusion du moi et du monde. Le lyrisme est la secrète aspiration de l'âme qui cherche à retrouver la plénitude de son existence dans l'ouverture au monde.
Caspar Friedrich est, à mon sens, le grand lyrique de la peinture romantique, il y a, dans ses toiles de véritables topoï, l'homme (la femme) est généralement vu(e) de dos et se laisse absorber dans la contemplation d'un paysage grandiose qui est, nul doute, dans l'instant de la contemplation, révélation. On songe évidemment au Voyageur au dessus de la mer de nuages qui semble atteindre la Jérusalem céleste.Le tableau ci-dessus (Les Âges de la vie), est tout aussi lyrique les personnages trouvent un écho à leur moi dans la représentation d'un bateau dont l'éloignement par rapport au rivage constitue une sorte de métaphore du temps qui passe. L'horizon, le couchant nous renvoient à la mort qui est aussi nouvelle naissance - le bateau aura beau dépasser l'horizon, il n'en continuera pas moins son voyage.
On ne peut que songer aux vers de Lamartine (1)
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle, emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais, sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
La composition du tableau repose sur une symétrie inversée le triangle de terre sur lequel se retrouvent les personnages (Sans doute Caspar Friedrich lui-même - de dos -, son neveu tourné vers nous et ses trois enfants, Gustav Adolph, Agnès et Emma) s'oppose à l'océan, dominé par le ciel, l'ensemble formant un angle obtus qui permet le déploiement des bateaux tout en suggérant la profondeur d'une perspective qui est celle de la vie, elle-même.
Les deux premiers bateaux, au second plan, renvoient évidemment aux deux jeunes enfants, réunis au sommet du triangle, éloignés au contraire sur la rive, l'espace est pour eux sans limites, l'enfance est le temps du jeu, le temps de l'insouciance et non le temps des départ.
Le bateau central, dont la proue est tourné vers l'océan, s'apprête à partir, malgré la voilure qui se déploie, il constitue une verticale - au mépris de toute logique, les voilures de Friedich sont toujours plus hautes que larges et le bateau nous rappelle invariablement pas sa dominante verticale l'aspiration au ciel, à l'image de l'homme le bateau peut être un lien entre ciel et terre - ce bateau est l'image d'Agnès - la jeune femme assise auprès des deux enfants, le pont ouvert est une image de la féminité. La jeune femme elle même dégage une certaine sensualité, le dessin, la pose suggèrent des formes féminines, elle est tournée vers les enfants et donc d'une certaine manière vers l'idée de maternité. Le bateau qui la représente s'apprête à partir, de même que la jeune femme, sans doute.
Le neveu (la maturité) est tourné vers nous, ses centres d'intérêt sont plutôt terrestres, l'habit (notamment le haut de forme) signalent des préoccupations plus sociales que spirituelles. Son bateau est le quatrième en partant de la droite, il est déjà en mer, a déjà parcouru un bout du chemin. Quant au peintre lui même il s'est représenté, canne à la main, de dos, il est le plus ancré dans le triangle terrestre, son bateau est évidemment le plus éloigné, dont les contours commencent à s'estomper, il se dirige vers l'horizon.
Ce sont donc bien les âges de la vie que le peintre à mis en image (enfance, jeunesse, maturité, vieillesse). Je serais tenté de voir dans les bâtons qui parsèment le rivage à droite une allusion à l'énigme du Sphinx d'Oedipe (deux pattes à midi, trois pattes le soir...). Quoiqu'il en soit le tableau est une belle illustration du lyrisme tel que nous l'entendons, l'œuvre instaure un système d'échos entre les personnages et le paysage et se fait, elle même représentation d'une perspective intérieure, qui est celle du cheminement de la vie.
(1) Le Lac, Méditations poétiques, 1820.

lundi 15 juin 2009

L'Antinea de Forest, ou la vision de l'anima

Jean-Claude Forest, le créateur de la séduisante Barbarella, fut aussi l'illustrateur de quelques unes des couvertures les plus marquantes du Livre de Poche à ses débuts (Regain de Giono, Le Bruit et la fureur de Faulkner, L'Île au trésor de Stevenson, Orient Express de Graham Greene...) Il y a sans conteste un style Forest, un trait épais et marqué, une outrance dans les courbes ou les angles et malgré tout, une sensation de sérénité émane du dessin qui saisit l'apaisement d'après le drame ou son attente, dans un climat d'attention fataliste.
La couverture réalisée pour l'Atlantide représente l'héroïne de Pierre Benoit, Antinea, assise nue sur un drap vert (la couleur du mal), le regard baissé, dirigé vers un fauve menaçant que sa main semble retenir. Ce sont les seuls éléments de décor retenus par l'illustrateur puisqu'un clair obscur épouse le corps de la femme qui semble émerger de la nuit.
Cette prégnance de la nuit est essentielle, elle fait d'Antinea cette figure onirique dont Jung nous dit qu'elle est une parfaite incarnation de l'anima, l'archétype féminin de l'inconscient masculin. Comme tous les archétypes jungiens, l'anima est est une figure ambivalente, elle protège et console, prodigue l'ivresse de la sensualité et conduit l'homme dans les méandres de son propre inconscient. Mais elle est aussi redoutable, obsédante, la source de toutes les projections irraisonnées de l'inconscient. L'homme en proie à son anima ne contrôle plus son désir et se laisse absorber par la fascination qu'exerce sur lui l'archétype. L'Atlantide, au même titre que le She de Ridder Haggard est le roman de l'homme possédé par l'anima. On se souvient que les occidentaux qui parviennent au repaire de la reine Atlante sont conduits à leur perte par un amour irrationnel, Antinea a réuni dans une étrange salle mortuaires les sarcophages de ses amants morts d'amour.
Le dessin de Forest fait apparaître cette ambivalence en adjoignant à la belle Antinea ce Guépard menaçant dont la proximité avec sa maîtresse est signalée par un tracé circulaire qui épouse le corps de la belle Atlante, formant comme un accoudoir mais l'animal disparaît presque dans le coin inférieur droit. L'oeil est immédiatement attiré par les courbes et les zones d'ombres voluptueuses qui suggèrent la perfection féminine. Cette situation du sujet est néanmoins inhabituelle chez Forest qui fréquemment place ses héroïnes sur la droite, jouant de notre habitude de lecture qui va de la droite vers la gauche pour arrêter notre regard sur la femme, objet du désir.
Ici à l'inverse, notre regard plonge dans la nuit et revient : Elle ou la nuit. Le spectateur est ainsi plongé dans le même dilemme que les héros de Pierre Benoit. Antinea s'offre au regard, superbe apaisante, le guépard est un signe qu'on prend à peine le temps de considérer. Ne reste que la femme parée des attributs d'une féminité irrésistible et la promesse de la nuit, une parfaite illustration du concept de l'anima selon Jung.