Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

dimanche 16 août 2009

Les Religieux du mont Saint-Gothard

"Des religieux donnent des secours à une famille que des brigands ont dépouillée dans la montagne". Tel est le commentaire donné par le peintre à cette toile commandée par Charles X et exposée en 1824. Hersent n'est certes pas un révolutionnaire de la peinture, élève de David, il conserve un certain académisme classique, la composition est impeccable, le trait gommé pour donner tout le réalisme possible à la scène. C'est donc chez lui le sujet qui tire vers le romantisme. C'est à lui qu'on doit une autre scène romantique fameuse : les funérailles d'Atala reposant étendue dans les bras de Chactas. Et ce n'est sans doute pas un hasard si le peintre s'est plu à illustrer Atala, Chateaubriand faisant, lui aussi la jonction entre classicisme et romantisme.
Un mot m'est venu à l'esprit en contemplant cette toile au Louvres : "Véhémence". C'est la véhémence romantique que le peintre cherche à rendre. La famille dépouillée par les brigands cumule les déveines, puisqu'à l'arrière plan une avalanche entraîne de puissants blocs de pierre au fond de l'abîme. L'attitude des moines est en harmonie avec les déchaînement de la nature, ils sont sur tous les fronts à la fois, et forment un triangle d'attentions qui cherche à s'opposer au calamités qui s'abattent sur cette malheureuse famille. L'un, le plus jeune tend la main à deux hommes en contrebas menacés par le gouffre, sont-ce les bandits qui les y ont précipités? Le second surveille les progrès de l'avalanche, le troisième apporte les premiers soins à une jeune femme évanouie au milieu de la route, un enfant évanoui repose sur ses jambes, une tache de sang suggère l'agression dont ils viennent d'être les victimes.
Ce troisième est aussi le plus ancien et donc le plus serein, c'est d'ailleurs cette sérénité dans l'urgence qui attire immédiatement l'oeil. Dans ce déchaînement des éléments, le vieil homme est attentif à ce qu'il fait. Il est l'incarnation de cette sagesse chrétienne que le romantisme est en train de ressusciter et mettre en avant contre l'idéal classique.
A gauche, le gouffre, au fond, un ciel curieusement éclairci, une trouée dans les nuages qui donne à voir un morceau de ciel lumineux. La sérénité du moine vient du ciel et contre l'injustice du sort et des éléments, la religion apporte son secours. Génie du christianisme ? Quoiqu'il en soit il est indéniable que la toile traduit les aspirations romantiques, par son lyrisme et la véhémence qu'elle cherche à exposer.

mercredi 12 août 2009

These are the clouds... Yeats


These are the clouds about the fallen sun,
The majesty that shuts his burning eye:
The weak lay hand on what the strong has done,
Till that be tumbled that was lifted high
And discord follow upon unison,
And all things at one common level lie.
And therefore, friend, if your great race were run
And these things came, so much the more thereby
Have you made greatness your companion,
Although it be for children that you sigh:
These are the clouds about the fallen sun,
The majesty that shuts his burning eye.

Yeats, The green helmet and other poems, 1912.

Ainsi vont les nuages autour d'un soleil déclinant,
Majestueux alors qu'ils ferment son oeil incandescent :
Main faibles et profanes sur l'oeuvre du fort,
Jusqu'à ce que soit détruit ce qui s'élevait si haut,
Que le chaos se substitue à l'unité,
Et que toute chose soit nivelé au rang du commun.
Ainsi, l'ami, si ton illustre chemin doit être arpenté,
Et que ces choses adviennent, ainsi auras-tu fait
Avantageusement de la grandeur ta compagne,
Et bien que tu soupires de rester sans enfants;
Ainsi vont les nuages autour d'un soleil déclinant,
Majestueux alors qu'ils ferment son oeil incandescent.

Trad. S. Labbe.

lundi 10 août 2009

Emily Brontë par Françoise d'Eaubonne

Françoise d'Eaubonne est une des grande figures littéraires du XXe siècle, elle est l'auteure d'une œuvre éclectique et singulière qui comporte romans pour enfants, essais féministes, biographies, romans, études littéraires. Se reporter à Wikipedia (1) pour en savoir plus. Elle a grandement contribué à faire connaître l'oeuvre poétique d'Emily Brontë puisqu'elle lui consacre une monographie dans la collection "poètes d'aujourd'hui" chez Seghers en 1964. L'ouvrage contient en outre ce poème, jolie méditation sur les rêves d'Emily à laquelle ne peut s'empêcher de se livrer tout lecteur des fascinants Hauts de Hurlevent.

Portrait d’Emily Brontë

Que les rêves niés crispent un sein frêle !
La lande où elle a rôdé tout le jour
Meuble le salon de bruyère et de sables froids autour d'elle
Qui brode sur tambour

Le feu danse sur les rouges tasses,
Et les camps d'ombre collent au bas des murs
La géographie fantastique des Gondal dont la race
De héros et de fous meurt sur l'archipel pur.

Et vent qui s'obstine à labourer les nuages
File sa plainte énorme d'engoulevent
Et fait battre le cœur illuné des étages
Comme autour, d’elle l'herbe des Hauts de Hurlevent.

« Cathy, Cathy, reviens ! » - La bruyère s’affole
Et les hauts en tremblant s’interrogent entre eux ;
Mais l’aurore a déjà bu la sombre parole,
Emily n’est qu’une ombre. Une torture ? Un jeu ?
Je ne te connaîtrai qu’en rêve, ô cœur neigeux.

Françoise d’Eaubonne, janvier 1940, in Emily Brontë, « Poètes d’aujourd’hui », Seghers, 1964.

(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_d

lundi 3 août 2009

Byron et la femme de Giorgione


Nouvelle variation sur l'archétype de l'anima dans ces quelques vers de Byron, le poète s'y livre à une digression sur les vénitiennes dont la beauté classique lui rappelle un tableau de Giorgione.

XI.
They've pretty faces yet, those same Venetians,
Black-eyes, arch'd brows, and sweet expressions still;
Such as of old were copied from the Grecians,
In ancient arts by moderns mimick'd ill;
And like so many Venuses of Titian's
( The best's at Florence --- see it, if ye will ),
They look when leaning over the balcony,
Or stepp'd from out a picture by Giorgione,

XII.
Whose tints are truth and beauty at their best;
And when you to Manfrini's palace go,
That picture ( howsoever fine the rest )
Is loveliest to my mind of all the show;
It may perhaps be also to your zest,
And that's the cause I rhyme upon it so:
'Tis but a portrait of his son, and wife,
And self; but such a woman! love in life !

XIII.
Love in full life and length, not love ideal,
No, nor ideal beauty, that fine name,
But something better still, so very real,
That the sweet model must have been the same;
A thing that you would purchase, beg, or steal,
Were 't not impossible, besides a shame:
The face recalls some face, as't were with pain,
You once have seen, but ne'er will see again.

Byron, Beppo, 1818.

XI
Elles ont de si ravissants visages, ces vénitiennes,
Yeux noirs, sourcils incurvés, expression pleine de douceur,
Ce modèle qui inspira la Grèce antique,
Et que nos artistes copient sans toutefois l’égaler ;
Comme ces Vénus que l’on doit au Titien
- La plus belle est à Florence, il faut aller la voir ! –
Il semble, quand elles se penchent à leurs balcons
Que ce soit un Giorgione qui se mette en marche.

XII
Lui dont l’œuvre atteint le sommet du beau et de la vérité !
Rendez-vous au palais Manfrini, et vous verrez
Qu’il est – quelle que soit la valeur des autres – un tableau
Qui, à mes yeux, représente la quintessence de l’art ;
Il se peut qu’il vous communique de sa ferveur.
C’est pour cette raison que je rime à son sujet ;
Giorgione s’y est peint avec son fils et sa femme ;
Et quelle femme ! C’est l’amour incarné.

XIII
L’amour vivant dans toute sa plénitude et non l’amour idéal
Ni la beauté idéale, qui n'est finalement qu'un nom sublime,
Mais quelque chose de beaucoup mieux, de si réel ;
Qu’il nous semble voir le modèle lui-même,
Objet qu’on pourchasserait, mendierait, volerait
S’il était possible de n’en éprouver aucune honte;
Ce visage vous en rappelle un autre, un visage de rêve,
Qu’une fois, vous avez vu mais que vous ne reverrez jamais.

Trad. S. Labbe.
Illustration : la Vénus endormie de Giogione, Gemäldegalerie, Dresde.