Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

dimanche 25 juillet 2010

Des quatre filles du Docteur March à la légende de Bloodsmoor (suite)

Octavia est la mieux traitée des filles Zinn par notre infernale narratrice; pétrie de morale chrétienne et d'abnégation, elle est l'idéal incarné par les filles March dans le roman de Louisa. Résignée à devenir vieille fille s'il le faut, elle finit par épouser un pasteur vieillissant, héritier d'une fortune ancestrale et dont la respectabilité alimente les commentaires bienveillants de notre narratrice.
Malgré "l'épreuve laborieuse" que constitue "l'acte conjugal", Octavia aura trois enfants de son pasteur. L'aîné surnommé Petit Godfrey suscite les éloges de notre narratrice, suspicion donc ! L'enfant est robuste, expansif, plein de vitalité, court, crie, a tendance à brutaliser objets et animaux mais séduit, aux dires de notre conteuse, tout le monde. La suspicion s'accroît lorsque la narratrice mentionne les "farces insignifiantes" impliquant chiots, rats et poussin, l'enfant est même accusé d'avoir disséqué le chien d'un domestique mais rien n'est sûr et puis quelle importance? Il est si charmant, si prometteur. La naissance de sa petite soeur le rend colérique, mais n'est-ce pas naturel? Il l'adore d'ailleurs cette petite soeur Sarah et déploie toute sa vitalité pour la distraire, imitant toutes sortes d'animaux, criant et cherchant sans cesse à la prendre dans ses bras.
"Le matin ou la petite Sarah fut retrouvée morte dans son joli berceau d'osier blanc, aucun présage n'annonçait de malheur aux chrétiens éclairés." Octavia aura juste rêvé que son fils était une créature démoniaque mais quel crédit le "chrétien éclairé" doit-il accorder aux rêves? Curieusement, c'est petit Godfrey qui trouvera le cadavre de sa petite soeur avec laquelle il est resté seul un certain temps dans sa chambre, et personne ne saura jamais donner d'explication à ce décès subit.
Les faits démontrent avec certitude que petit Godfrey est un monstre mais le discours du narrateur minimise les atrocités commises par l'enfant et ne cesse de proclamer sa gentillesse, N'est-il pas le fils du respectable pasteur Rumford? La romancière lui réservera un sort atroce dont le lecteur ne peut s'empêcher d'estimer qu'il l'a mérité. De façon tout a fait inexplicable, le singe apprivoisé de son grand père, Pip, se saisit de l'enfant et se précipite avec lui dans un puits où tous deux trouvent la mort. Le lecteur n'a nul peine a imaginé que le singe martyrisé s'est vengé mais pour la narratrice les faits sont inexplicables.
Octavia aura de nouveau un garçon de son infatigable pasteur dont les pratiques sexuelles sado-masochistes échappent à notre narratrice qui n'y voient que fantaisies, avant de mourir grotesquement dans les bras de sa femme.
Joyce Carol Oates fait du narrateur une composante essentielle à l'élaboration du sens, son aveuglement, ses préjugés sont essentiels, et créent une suspicion généralisée qui fait le sel du roman. Il y a, derrière ce narrateur un autre metteur en scène qui prend plaisir un plaisir manifeste à violenter ces valeurs rétrogrades et nous ne révélerons pas le devenir des quatre autres soeurs, sachons seulement que le personnage de l'aînée (Constance Philippa) qui apparaît peu dans le roman connaît un destin étonnant qui est à la fois une dénonciation de la condition féminine au XIXe et un programme révolutionnaire burlesque et parodique des plus réjouissant. Espérons donc que l'éditeur prenne la décision de rediffuser ce roman qui par son imagination, son humour et sa densité fait penser aux meilleurs John Irving.

Des quatre filles du docteur March à la légende de Bloddsmoor

Le narrateur s’est trompé, l’auteur aussi…

Préparant un dossier sur les quatre filles du Dr March, j’ai commencé à me documenter sur Louisa M. Alcott. L’un des seuls ouvrages en français consacré à l’illustre créatrice des Quatre filles du docteur pasteur est celui de Pascale Voillev, chargée de cours à l’université de Princeton, un bon petit livre somme toute, dans l’esprit de cette collection, « voix américaines », qui tache de faire le tour d’une vie et d’une œuvre en un peu plus d’une centaine de pages, pari difficile donc.

Comme j’ai l'intention de m’interroger sur ce qui a fait le succès de cette histoire un peu mièvre, en passe cependant de devenir un véritable mythe, je me suis mis à chercher les œuvres littéraires qu’on pourrait aujourd’hui considérer comme des « avatars » des Quatre filles. Mme Voilley signale donc, au début de son ouvrage, Bloodsmoor romance de Joyce Carol Oates, qui serait traduit en français sous le titre Confessions d’un gang de filles. Je me suis donc procuré lesdites confessions, déception : rien, dans cet ouvrage qui puisse rappeler les quatre filles du docteur inexistant.

Partant du titre anglais, il était logique de penser que Bloodsmoor romance avait donné, en français la Légende de Bloodsmoor et de fait, La Légende de Bloodsmoor est bien cet ouvrage qui, avec esprit, dessine le destin de cinq filles qui ne sont pas sans rappeler celles du pasteur.

L’auteur s’est trompée, donc, Bloodsmoor romance a donné en français la Légende de Bloodsmoor, pavé de 500 pages, publié chez stock en 1985 et délaissé depuis. Stock, s’étant lancé dans une entreprise de réédition de son fond littéraire, nous donnera peut-être la bonne surprise de reprendre cette Légende de Bloodsmoor, excellent roman de Joyce Carol Oaates qui manifestement s’est amusée à démonter et démontrer les ruses du « bon sentiment » en littérature.

Ce roman tour à tour dramatique, excentrique, hilarant, émouvant, sérieux sans jamais l’être vraiment, constitue un véritable tour de force littéraire et risque de prendre une sérieuse place au sommet de mon petit panthéon littéraire personnel. J’ai une admiration particulière pour les prouesses narratives, je relis toujours avec plaisir et admiration les romans de Hammett, par exemple parce qu’ils constituent, à ma connaissance, les seul exemples de romans rédigés d’un point de vu objectif – focalisation externe dirait l’aimable jargonnant Genette.

La particularité de cette Légende de Bloodmoor est de mettre en place un narrateur (une narratrice, en l’occurrence) que son étroitesse d’esprit, ses préjugés, sa mauvaise foi rendent immédiatement suspecte. Joyce Carol Oates (ou faudrait-il parler d’un « archinarrateur », instance malicieuse qui avertit le lecteur que, sans cesse le narrateur se trompe) met donc en place un jeu subtil qui conduit son lecteur a systématiquement prendre le contre-pied des jugements de la narratrice en question sur les personnages ou leurs actions, nous sommes donc pris dans un jeu permanent et jouissif de décryptage qui de rebondissement en rebondissement nous conduit vers un dénouement inattendu et immoral aux yeux de la narratrice donc attendu et moral, en ce qui nous concerne.

Situation initiale : la famille Zinn constituée de Prudence, la mère, supposée héritière de la plus riche famille de Bloodsmoor, les Kiddemaster a épousé John Quincy Zinn – auquel la narratrice voue une admiration sans borne - , inventeur raté, enfermé dans un chimérique projet de machine à mouvement perpétuel et qui vit aux crochets de sa belle famille. John Quincy et Constance auront quatre fille, l’énergique et masculine Constance Philippa, la sage Octavia, la coquette Malvinia et la fidèle Samantha. On peut s’amuser à retrouver, derrière ces quatre personnalité, celles de Meg, Jo, Beth et Amy, il y a certainement des échos entre les deux œuvres mais Joyce Carol Oates a voulu ajouter une cinquième fille Deirdre, adoptée par M. Zinn et vilain petit canard de la famille, puisque ne faisant pas partie de l’auguste tribu des Kiddemaster.

La narratrice, vieille fille anonyme, appartenant à la bonne société de Bloodsmoor, chosit de commencer sa relation au moment où, un fait extraordinaire va jeter le trouble et la confusion dans la famille Zinn : alors qu’on s’apprête à marier l’ainée, au cours d’une réception donnée chez les Kiddemaster – la famille Zinn vit dans une modeste maison, située à quelques encablures du « château » des Kiddemaster où demeurent le grand-père et sa sœur Edwina, auteur de traités de morales à succès -, un ballon noir surgi de nulle part descend du ciel et emporte la malheureuse Deirdre sous les yeux horrifiés de ses sœurs.

Sans cesse condamnée par la bonne conscience de la narratrice, Deidre est en fait la véritable héroïne de la Légende de Bloodmoor. Elle deviendra une médium de renommée internationale, on appréciera, entre parenthèses, le travail de documentation auquel a dû se livrer l’auteure pour ressusciter l’engouement médiumnique qui s’empara du monde anglo-saxon dans la fin de dix-neuvième siècle positif. Deirdre, n’hésitant pas à livrer ses talents de médium à la sagacité des scientifiques mettra en déroute la Société de recherche psychique de New York dans un chapitre d’anthologie (le 36) qui interroge sur la dimension idéologique du roman, si tant est qu’on puisse lui en prêter une ! À noter aussi, dans l’ombre de Deirdre, la figure pittoresque de la célèbre madame Blawatski dont Oates nous fait un portrait aussi fidèle semble-t-il à l'original, que saisissant.

Si l’enlèvement de Deirdre constitue, aux yeux de notre narratrice, un événement aussi funeste, c’est qu’il va servir de modèle à toutes les filles Zinn qui tour à tour vont déserter le nid familial, déjouant les projets matrimoniaux de leur mère et contrevenant à tous les préceptes des guides de bonne conduite publiés parleur tante. Constance Philippa s’évanouira, au lendemain de son mariage avec un noble allemand douteux, Malvinia s’enfuira avec un acteur et Samantha avec l’apprenti de son père. Octavia, seule, acceptera le chemin tout tracé et convenu qui attend les jeunes filles de la bonne société dans ce XIXe sicle finissant et ce, pour son plus grand malheur.

Je m’arrêterai un peu sur le cas d’Octavia pour expliquer ce qui fait le caractère absolument réjouissant de cette trouvaille narrative : confier à un narrateur obtus et pétri de préjugés la narration de quatre destins exceptionnels auxquels il ne comprend rien et qu'il ne cesse de fustiger. On verra, à travers celui d’Octavia qui, lui n’a rien d’exceptionnel comment le narrateur s’est trompé.

Illustration : la couverture du livre pour son édition en espagnol qui choisit de représenter l'emblématique ballon ravisseur.

vendredi 2 juillet 2010

"Ella l'ensorcelée" de Gail Carson Levine, portrait d'une héroïne insoumise

Séquence didactique publiée dans le n° 8 de L'Ecole des lettres 2009-2010.

Isabelle Smadja évoque le roman dans un essai paru aux PUF, Le Temps des filles, excellente réflexion sur le rôle des filles dans la littérature de jeunesse. Ce qui m'a terriblement donné envie de lire ledit roman et de le proposer à des classes de sixième. Le projet est un peu ambitieux mais fonctionne.

Étape 1 : Lecture d’image,    Objectif : comprendre en quoi la couverture d’un roman propose déjà une lecture de l’ouvrage.
Étape 2 : Ouverture du roman.  Objectif : analyser comment la narration met en place le thème de la malédiction ainsi qu’une tonalité spécifique au genre de la réécriture humoristique.
Étape 3 : Étude de la langue, l’impératif. Objectif : Savoir conjuguer, reconnaître et interpréter l’impératif présent.
Étape 4 : Lecture comparée. Comparer l’ensemble du chapitre premier à l’ouverture de deux contes de Perrault pour saisir ce qui fait la spécificité de l’écriture romanesque.
Étape 5 : Entrainement à l’expression écrite, ouverture des Fées de Perrault. Objectif : Transposer une ouverture de conte sous forme de scène romanesque, réutiliser les notions grammaticales et littéraires abordées dans les premières séances.
Étape 6 : L’arrivée au pensionnat de Jenn. Objectif : Analyser un texte : de « L’institution pour jeunes filles était une maison en bois ordinaire… », p. 78 à la fin du chapitre IX, p. 82, saisir la dimension symbolique d’une notation descriptive et la singularité de l’héroïne.
Étape 7 : Le Mythe de Cendrillon. Objectif : Mesurer et comprendre la fonction de l’intertextualité dans Ella, définir la notion de mythe.
Séance 8 : Objectif : Etudier l’expression du dilemme et saisir en quoi la résolution de l’intrigue relève plus de la psychologie que du merveilleux.
Séance 9 :Objectif : Comprendre qu’un récit revêt une portée idéologique et que le personnage d’Ella, symbolisant d’une certaine façon la condition féminine, indique la nécessaire révolte pour accéder à la liberté.
Evaluation et prolongements 
Evaluation : sujet d’expression écrite.
Utilisation de l’adaptation cinématographique de

Orthographe