Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

vendredi 22 décembre 2023

Pauline Voyage, un album de Marie Desplechin


Avec Pauline voyage, Marie Desplechin et François Roca livrent au jeune lecteur un album malin et drôle, ils exploitent avec subtilité et humour le point de vue d’une enfant qui ne comprend pas tous les enjeux de l’aventure qu’elle va vivre. Ces quinze jours qui vont la conduire au Spitzberg sur un paquebot de luxe des années trente sont aussi un petit roman d’initiation qui permettent à la jeune héroïne de s’ouvrir au monde et aux autres.

 

Un récit d’aventures

Le voyage commence mal pour Pauline qui constate, au bout de quelques, jours que sa « seule activité distrayante » aura été « de vomir ». Il faut dire que la situation initiale de notre histoire est marquées par les déceptions : Pauline voulait partir en voyage avec son père or voilà que ce dernier l’a expédiée en croisière avec une certaine Nathalie Petrakov dont elle est obligée de partager la « cabine ridicule ».

« Je suis bien malheureuse, écrit Pauline. Nous ne sommes que deux enfants, le prince Baudouin qui n’a que cinq ans et moi. » L’âge du prince permet d’ailleurs de situer l’intrigue en 1935 puisque le jeune Baudouin de Belgique, futur roi des Belges, est né en 1930. Les indices qui signalent la progression du journal de Pauline inscrivent donc l’action entre la fin du mois de juin (Pauline commence à écrire quelque jours après son départ) et le 15 juillet date de son retour. Or la reine Astrid (la mère du prince) devait mourir quelques semaines plus tard, victime d’un accident de voiture, non loin de Küssnacht en Suisse.

Le bateau qui transporte Pauline et les passagers a par ailleurs été baptisé le Reine Astrid, il y a donc dans ce Voyage de Pauline quelque chose qui relève du destin en marche, de l’aventure au sens premier du terme (l’étymologie adventura signifiant ce qui doit arriver). Cette croisière de luxe où tout le monde, stimulé par la reine, se montre « fou de politesse » témoigne des derniers feus d’un monde policé qui bientôt sombrera dans la guerre.

Mais pour Pauline l’essentiel, au début de cette histoire, est de tromper l’ennui et de montrer à son père toute l’amertume qu’elle éprouve à son égard. C’est son père qui lui a demandé de tenir un journal, la petite hésite d’ailleurs, le journal prenant, la plus souvent, la forme de lettres pleines d’acrimonie. « J’étais tellement fâchée contre vous que je n’ai rien écrit les premiers jours. »

jeudi 7 décembre 2023

L'école des lettres, numéro spécial dystopies : 1984, quand l’amour entre en résistance

Les programmes de troisième invitent à explorer la situation de l’individu face au pouvoir : la question est essentielle et éternelle. Gilgamesh, le premier grand roman de l’humanité, raconte l’apprentissage d’un roi, l’Iliade questionne la résistance d’Achille aux ordres qui lui sont donnés, Antigone se révolte contre un pouvoir dont elle estime les décisions illégitimes. En 1948, au moment où la paix se rétablit mais aussi au moment où les dictatures communistes affirment leur emprise Orwell imagine, sous l’empire de Big Brother, l’univers de 1984[1] qui va devenir le symbole de tous les régimes totalitaires. Dans cet univers dément où l’état introduit sa surveillance dans tous les foyers, la timide révolte de Winston, qui ne prétendait au fond qu’à l’une des dimensions les plus intimes de la vie humaine (l’amour), se voit impitoyablement écrasée. Le contrôle technologique s’exerce par le « télécran » d’Orwell qui préfigurait nos ordinateurs et internet. La version abrégée du roman autorise sa lecture par des classes de troisième, la séquence qui suit vise à faire comprendre la notion de contre-utopie et à entraîner les élèves à exercer leur réflexion sur cette question du rapport au pouvoir, elle prendra place, de préférence en fin d’année. On prévoira d’avoir fait lire l’intégralité du roman pour la séance 5. On peut consacrer des séances à la lecture silencieuse ou à la lecture de passages clés à voix haute.

Séance 1 : Qu’est-ce qu’une contre-utopie ?

Séance 2 : Winston et les affreux enfants Parsons, p. 33-34

Séance 3 : À quoi sert le Nouvlang ? p.56 57

Séance 4 : La subordonnée hypothétique

Séance 5 : L’histoire d’amour de Winston et Julia, un acte de résistance

Séance 6 : Et si Julia se mettait à raconter…

Séance 7 : L’espoir est-il permis ? p. 261-262






[1] Notre édition de référence sera l’édition abrégée du Livre de Poche Jeunesse.

lundi 4 décembre 2023

Numéro spécial de l'Ecole des lettres dystopie : De La Ferme des animaux à 1984 : comment garantir la liberté d’écrire ?

 


Avec 1984 Orwell questionne le statut de la littérature, dans un dialogue avec Syme, apologiste de la dictature, Winston, le héros du roman, apprend que le but du nouvlang (le nouveau langage que le parti tente d’imposer), c’est l’anéantissement du patrimoine littéraire. Chaucer, Dante, Milton, Byron sont condamnés[1]. L’existence même de la littérature qui manifeste la complexité de l’esprit humain remet en question la pensée simpliste que diffuse le régime de Big Brother. Mais, d’une manière générale, Orwell considère que l’acte d’écrire authentique, parce qu’il est une manifestation fondamentale de liberté, s’oppose à toutes les modalités de l’autorité.

Dans L’Empêchement de la littérature[2], un essai publié en 1946, il montre que les démocraties occidentales sont, elles aussi, les ennemies de cette liberté : « les barons de la presse, les magnats du cinéma et les bureaucrates » y sont décrits comme des censeurs. Et l’auteur de 1984 en arrive à la conclusion que la fonction de l’écriture est nécessairement politique. Nous « sommes désormais habités, écrira-t-il dans « Les écrivains et le Léviathan »[3], par une sorte de scrupule que ne connaissaient pas nos aïeux, une conscience de l’immensité de l’injustice et de la misère du monde, ainsi que par un sentiment de culpabilité qui nous dit qu’il faudrait y faire quelque chose, ce qui rend impossible toute attitude purement esthétique envers la vie. Personne, à présent ne pourrait se vouer aussi exclusivement à la littérature que Joyce ou Henry James. » C’est un mouvement de compassion intense qui pousse Orwell à épouser la cause du socialisme, dans les dernières années de sa vie.

https://www.ecoledeslettres.fr/fiches-pdf/de-la-ferme-des-animaux-a-1984-comment-garantir-la-liberte-decrire/




[1] Cf. notre édition de référence, Orwell, 1984, trad. de G. Guillier, Le Livre de Poche Jeunesse, 2021.

[2] Orwell, L’Empêchement de la littérature, RN éditions, 2020.

[3] Orwell, Pourquoi j’écris et autres textes politiques, Folio, 2020.