Je crois que l’école à sa part de responsabilité dans ce qui arrive aujourd’hui, c'est-à-dire l’extension de votes protestataires qui nous conduisent aux portes d’un néofascisme décomplexé.
Pour le dire brièvement, j’appartiens à une génération qui a dû affronter les rigueurs d’un système scolaire sans complaisance. L’élève n’était pas au « centre » du triangle pédagogique, c’était, en toute logique, le savoir qui l’était.
Ce faisant, l’école nous forçait un peu à devenir adulte. Les sciences de l’éducation n’avaient pas été inventées et on était sans doute encore sur la ligne d’Alain : « Il faut que l'enfant connaisse le pouvoir qu'il a de se gouverner, et d'abord de ne point se croire ; il faut qu'il ait aussi le sentiment que ce travail sur lui-même est difficile et beau. Je ne dirai pas seulement que tout ce qui est facile est mauvais ; je dirai même que ce qu'on croit facile est mauvais. Par exemple l'attention facile n'est nullement l'attention ... » (Propos sur l’éducation)
De réforme en réforme, on a renoncé à faire de l’enfant un adulte, c'est-à-dire quelqu’un qui a le "pouvoir de se gouverner". On nous a recommandé toutes sortes de pédagogies ludiques, on nous a invités à une bienveillance toujours plus grande. La bienveillance est d’ailleurs devenue un euphémisme pour ne pas parler de laxisme.
On a dépossédé le professeur de son pouvoir (plus de doublement, pas de zéro, de la mesure dans les sanctions) et on a fini par donner le bac à des cohortes d’élèves qui n’ont jamais fourni le moindre effort pour l’obtenir. Je crois (et je le déplore) que le seul lieu où l’on apprenne à travailler aujourd’hui ce sont les classes prépa. Tous mes anciens élèves me rapportent le choc que constitue pour eux (qui sont pourtant les meilleurs de leurs promotions) l’entrée en prépa.
Je ne blâme donc pas M. Attal d’avoir fait un certains nombres de propositions bienvenues du corps enseignant qui dans sa globalité sent ce qui est en train de se passer. Bien que dubitatif sur les classes de niveaux, je crois que replacer la transmission du savoir et un minimum d’exigence au cœur du système scolaire est une priorité absolue.
Rappelons quand même que l’ascenseur social fonctionnait mieux il y a quarante ans qu’aujourd’hui. Exiger de nos élèves des savoirs, ne pas se montrer complaisant dans les notes, ce sera les aider à devenir adultes.
Pour ma part, je ressens les votes protestataires comme des votes d’enfants gâtés. Je sais qu’il existe des problèmes de pouvoirs d’achat, d’accès aux soins etc. Mais regardons autour de nous ! Nous vivons dans une société libre, une société où la politique, si elle s’empare des bons sujets, peut agir. Or choisir les extrêmes c’est renoncer à la politique, c’est déléguer à des figures d’autorité sa propre faculté de penser et de décider. C’est se conduire…
En enfant qui réclame son dû.
Si comme le constate Fromm dans "La peur de la liberté", la démocratie a apporté la liberté, elle a aussi conduit l’individu à se sentir aliéné et déshumanisé.
Dégagé des liens des société féodales ou patriarcales, qui le limitaient, mais le rassuraient, il n’a pas encore conquis son indépendance. La liberté devient synonyme d’insécurité et d’angoisse. Se mettent alors en place des mécanismes de fuite : l’autoritarisme, la destructivité, le conformisme.
L’adulte est celui qui assume sa liberté et la met au service des autres, ce n’est pas l’enfant qui crie sans cesse pour avoir plus. Le piège de nos sociétés capitalistes qui devient d’ailleurs de plus en plus infernal puisqu’il ne cesse de multiplier les possibilités d’avoir et d'avoir encore, transforme les humains en simples consommateurs frustrés.
Nous avons été jusqu’à encourager l’utilisation du numérique au sein de l’école et nous voyons aujourd’hui où nous conduisent ces outils : à des affrontements puérils et permanents. Il est temps que l’école se redonne pour mission la vocation de former de futurs adultes, forts et fiers d’une culture qu’ils auront acquise par l’effort. Il est temps que nous replacions au centre de notre triangle pédagogique les savoirs.

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