Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

lundi 21 décembre 2015

Truth comes full circle

Un recueil que j'ai trouvé à Exeter me ramène vers ce poète exceptionnel que fut Kathleen Raine : scientifique de formation, elle n'a de cesse de célébrer la beauté du monde y compris dans les pires moments de son existence. Influencée par Blake et Yeats, sa poésie est une méditation à la fois grave et légère sur la condition de l'homme, roseau pensant - je ne sais pas si elle connaissait Pascal.



Truth comes full circle
As departing light
From infinite space
Returns to the heart
Still what it was,
Embracing all.

Kathleen Raine, The Dolmen Press, 1973.

La vérité revient aux origines
Comme la lumière qui part
De l'espace infini
Et s'en revient au coeur
Identique à elle-même
Etreignant tout.

"Les soeurs Brontë à 20 ans", Au Diable Vauvert

Après une année passée en compagnie de Charlotte, Emily et Anne, les éditions au diable Vauvert publient dans leurs collection "à 20 ans" mon portrait des trois soeurs, saisies dans ce moment crucial de l'existence où s'amorce un destin, se construit une personnalité.
La difficulté consistait ici à saisir non pas une individualité mais trois et à montrer comment ces trois filles de pasteurs destinées au célibat et à l'oubli ont réussi à transcender leur morne existence pour produire une des oeuvres les plus puissantes du XIXe siècle, et - en ce qui concerne Emily - l'un des chefs d'oeuvre de la littérature universelle.
Comme l'avait montré Téchiné dans son film, il m'a semblé que Branwell, le frère des trois futurs auteurs reconnus avait joué un rôle non négligeable dans leurs vocations. Je n'ai retenu aucune des idées romanesques qui ont alimentées bien des biographies et oeuvres littéraires, constatant qu'aucune d'entre elle ne reposait sur des bases sérieuses. Si Branwell joue un rôle considérable c'est parce qu'il concentre sur ses frêles épaules tous les espoirs de son père qui voit en lui un génie. Les trois filles qui n'ont pas à subir cette pression pourront, à l'abri des regards laisser, le moment venu, s'épanouir leurs talents respectifs.
La collection "à 20 ans", saisit un écrivain au moment où il s'apprête à entrer dans l'existence, mes trois soeurs y entrent un peu de la même manière, devenant gouvernante ou institutrice; pour aucune d'entre elle, ce métier (cette servitude selon Charlotte) ne constitue un bonheur. Elles travaillent parce qu'il le faut, parce que leur père peine à assurer la subsistance de cette famille nombreuse.
Ce fils de paysan irlandais probablement surdoué avait réussi, par la force de son travail et de son intelligence à conquérir Cambridge qui lui avait permis de devenir "curate" de l'église anglicane. Il a transmis son génie à ses filles et se maintiendra, coûte que coûte, à la tête de la tumultueuse paroisse de Haworth agitée à la fois par la révolution industrielle et les conflits religieux nés du XVIIIe siècle.
Trois soeurs, trois personnalité extrêmement dissemblables: Petite et myope, Charlotte est celle qui part à l'assaut du monde; grande, secrète et colérique, Emily sera la gardienne du foyer; timorée, mesurée et volontaire, Anne est la moins connue et son oeuvre moins emportée que celles de ses soeurs prolonge le réalisme psychologique de Jane Austen.
Ces trois parcours ont la grandeurs des destins tragiques, Branwell semble entraîner dans le sillon de sa déchéance ses trois soeurs qui auront à peine le temps de goûter leur succès. Le révérend Brontë, sorte de Saturne résigné, survivra à tous ses enfants et faisant appel à Elisabeth Gaskell (la première biographe de Charlotte), sera l'instigateur d'un mythe qui ne cesse de fasciner lecteurs des trois soeurs et visiteurs de Haworth.  

l'ouvrage en prévente sur "les libraires.fr"

ou sur Amazon

samedi 5 décembre 2015

Nouveaux programmes, le retour du vague

Réflexion sur les programmes, à défaut d'être loin des vagues ils sont proches du vague. Ce qui m'amuse, ce sont les éternelles controverses qu'ils suscitent. Et j'avoue ne pas réussir à prendre position sur la question. La seule réflexion que j'aie trouvé intéressante, à ce jour, c'est celle de Pascal Caglar, qui propose que les heures en plus soient adressées aux élèves qui en veulent. Autre point intéressant : une refonte en profondeur du système des matières enseignées. Pourquoi cette absence criante des sciences humaines, est-ce que la psychologie ne mériterait pas d'être enseignée au collège? N'est-ce pas, par ce biais qu'on pourrait transmettre la sensation de l'empathie? Pourquoi ne pas diversifier les enseignements optionnels ? Permettre à ceux qui ont des compétences, autres qu'intellectuelles de se voir reconnaître?

Généraliser les travaux de groupes et l'interdisciplinarité est une bêtise récurrente. Les TPE ne profitent qu'aux bons élèves, les autres les subissent, opèrent, au dernier moment un laborieux montage de sources internet indéterminées et comme on a eu la bonne idée de confier aux établissements l'évaluation des dits TPE, les hiérarchies donnent des consignes pour que le taux de réussite à l'examen ne soit pas affligeant. Des production qui mériteraient un quatre atteignent le neuf et des travaux sans grand intérêt vont obtenir un 14 qui autorisera une mention, qui, devenue la norme, s'avère dépourvue de signification.

Marguerite Yourcenar laissait son empereur Hadrien entrevoir une société future où les hommes seraient esclaves de leurs divertissements. Nous y sommes! L'école ne sera jamais aussi amusante qu'une partie de Mario et pour cela, on lui en veut. Le cinéma grand spectacle, le gadget électronique, l'internet, la télé-réalité. Voilà les horizons de nos élèves en difficultés. Qui, aujourd'hui a accès aux réseaux sociaux, à la télé dans sa chambre? Les enfants de milieux favorisés? Pas du tout. Les parents qui résistent à la pression du conformisme et qui cherchent à avoir prise sur l'éducation de leurs enfants n'ont pas peur d'interdire ou de limiter les accès à internet, au portable. Les autres errent sur la toile, livrés aux réseaux sociaux ou à la pornographie.

L'école ne compensera jamais ces inégalités.

jeudi 3 décembre 2015

Le Retour à Salem d'Hélène Grimaud

Edition en Livre de
Poche, 2015.
Voilà un étrange roman, anachronique et futuriste, fantastique et didactique. Une sorte d'OVNI littéraire qui ne manque pas de maladresses, les parties didactiques sur les dégradations de la planète sont sans doute justifiées mais était-il nécessaire qu'elles soient aussi circonstanciées;
Pour le reste c'est un livre authentiquement romantique : la narratrice, pianiste découvre chez un antiquaire un manuscrit de Brahms qui relate un voyage du musicien sur l'île
de Rügen dans la Baltique. Le récit fait alterner les réflexions et décisions de la pianiste enthousiasmée par sa découverte et les voyage initiatique du grand musicien dont les pérégrinations font un peu penser à celle d'Arthut Gordon Pym. Si le récit de Brahms nous renvoie peu à peu à la réalité d'aujourd'hui et aux "souffrance" de la terre mère, la narratrice est amenée à douter de sa propre expérience dans le magasin d'antiquité. L'ensemble est construit avec une virtuosité digne d'Hoffmann (convoqué d'ailleurs dans l'intrigue) et une sensibilité dont on aimerait entendre plus souvent l'expression en littérature.

mercredi 2 décembre 2015

Article sur Frankenstein dans l'école des lettres


L'adaptation faite par Malika Ferdjoukh rend possible la lecture de ce roman qui reste malgré tout résistant par des élèves de collèges. La séquence proposée dans ce recueil est le fruit d'un travail de synthèse puisque l'article a été réduit au tiers de ses dimensions initiales. J'ai voulu y montrer comment un grand roman pouvait donner lieu à une grande adaptation cinématographique qui tout en le trahissant et le récréant s'avère finalement respectueuse. je ne sais pas si ce sera le cas de celle qui passe actuellement sur les écrans et dont la bande annonce laisse craindre le pire.

dimanche 29 novembre 2015

Sylvia Plath dessinatrice

L'édition des dessins chez Faber
 & Faber, 2013.
Un peu de vacance entre deux travaux, je feuillette des recueils de poèmes, des livres oubliés, et je tombe sur ce Sylvia Plath Drawings, acheté à Exeter il y a deux ans. L'ouvrage préfacé par Frieda Hughes, la fille de l'artiste, donne à voir des esquisses ou des dessins achevés classés en ensemble géographiques :
"Drawings from England"
"Drawings from Paris"
"Drawings from Spain"
"Drawings from USA"
Autant d'étapes dans la courte vie de cette femme remarquable.
Study of shoes, 1956
Dans les dessins d'Angleterre, ces chaussures abandonnées, au-dessus, The Bell Jar, titre de son futur roman qui sera publié en 1963. SP (Sylvia Plath?) sous le talon de la chaussure gauche. Le roman est aussi un livre sur la vacuité, ces chaussures abandonnées qui ne semblent pas savoir quelle direction emprunter sont déjà tout un programme.
Wuthering Heights Today, 1956
Sylvia s'était rendue à Haworth, avait pris le temps de se rendre à Top Withens et réalisé cette encre sur papier. Les Hauts avaient encore un toit. Curieux cette propension qu'ont bien des poètes à vouloir dessiner. Le vers est bien une ligne (étymologiquement un sillon dû à la charrue), Emily Brontë aussi dessinait. Le trait du poète est ici celui d'un d'une artiste qui découpe sans hésitation dans le réel pour en donner sa vision, personnelle et universelle, Sylvia plath a indéniablement saisi quelque chose des Hauts de Huele-Vent désertés par Heatcliff depuis longtemps.
The pleasure of odds and ends, 1957
Toujours cette idée d'abandon des choses.
On croit entendre Baudelaire
"Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées
Où git tout un fouillis de modes surannées
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher
Seuls respirent l'odeur d'un flacon débouché."

Nature morte. L'un de ses baraquements encombrés qu'on ne s'étonnerait pas de trouver dans un roman d'Eskirne Caldwell. Et de l'Angleterre aux Etats-Unis toujours ce même et lancinant sentiment d'abandon.

L'ouvrage est encore disponible sur Amazon UK
http://www.amazon.co.uk/Sylvia-Plath-Drawings-Frieda-Hughes/dp/0571295215

Les Contes d'Aulnoy

Les programmes de 6e signalaient jusqu'à présent, la possibilité de faire étudier les contes de madame d'Aulnoy et je me suis avisé - c'était en 2013  -qu'il n'existait aucune édition de poche des principaux contes de la baronne. L'école des loisirs a accepté le projet et l'ouvrage devait sortir en décembre 2014 mais la publication en a été retardée.
J'ai retravaillé un peu le texte, dans le sens d'une modernisation de l'orthographe et de la ponctuation pour le rendre accessible à des élèves de 6e, j'ai aussi pondéré la surcharge de superlatifs et d'hyperboles qui témoignent de l'origine orale des contes. Non que la baronne ait été une collectrice - comme le seront plus tard les frères Grimm - mais la tendance à l'excès montre simplement que la conteuse a cherché à frapper l'imagination de ses interlocuteurs, le public des courtisans qui fréquentait alors les salons en vogue.
L'ouvrage contient un dossier qui montre comment la mode du conte de fées s'est imposée en France à la fin du règne de Louis XIV et rapporte la vie aventureuse de Madame d'Aulnoy, l'une des plumes les plus alertes de cette époque charnière.
La directrice de la collection, Marie-Hèlène Sabbard a fait un remarquable travail de recherche pour livrer des illustrations variées et surprenantes qui rehaussent, si besoin en était, la qualité du texte.

Malgré les changements de programme, l'ouvrage reste d'actualité, il permettra d'aborder le thème de la métamorphose en sixième et bien évidemment le conte en cinquième.


Une recension sur un blog éclectique

mercredi 1 juillet 2015

Tatiana de Rosnay raconte la vie de Daphné du Maurier

Le biographe et son sujet


Pourquoi diable s’intéresser à un auteur de best-sellers des années cinquante ? Manderley for ever, le dernier ouvrage de Tatiana de Rosnay, est en effet une biographie documentée de Daphné du Maurier, l’auteur de Rebecca  et de L’Auberge de la Jamaïque. Les lecteurs de la romancière britannique auront reconnu dans le titre la référence à la demeure mystérieuse qui sert de décor aux aventures de la pauvre Mme de Winter dans Rebecca.
Pour Tatiana de Rosnay, le choix de sujet s’est imposé naturellement, fruit d’une vielle passion pour les œuvres de la romancière découverte dans sa jeunesse. Mais le sujet dont s’empare un biographe n’est-il pas toujours, au fond, un reflet de lui-même ? Tatiana de Rosnay, Daphné du Maurier. Toutes les deux ont des origines anglaise et française, toutes les deux sont l’auteur d’un livre qui tend à occulter les autres, toutes les deux ont vu leurs œuvres adaptées au cinéma, toutes les deux ont un pouvoir de séduction qu’une discrétion maladive rend peut être encore plus touchant, toutes les deux se sont faites biographes, et la première doit partiellement à la seconde sa vocation littéraire.
On peut toutefois se demander s’il y a encore aujourd’hui un intérêt à lire Daphné du Maurier et, par conséquent à s’intéresser à la biographie de cette enfant gâtée dont on a longtemps pensé qu’elle était complètement passée à côté de son siècle ?

Une romancière sous estimée

À la première question, je répondrai « oui ! ». À l’occasion d’un projet inter disciplinaire, je me suis retrouvé, il y a peu, en train de travailler sur L’Auberge de la Jamaïque. Et là, je dois confesser ma surprise, j’ai tout de suite été frappé par l’envergure de ce texte dont le propos et la tonalité dépassent les cadres étroits du roman sentimental ou du roman d’aventures, genres dans lesquels on a voulu enfermer l’œuvre de la romancière.
Daphné du Maurier, c’est une écriture. Une écriture efficace puisque même des élèves de quatrième parviennent au bout de ce qu’aujourd’hui on considère comme un « pavé » et qu’ils réussissent aussi à digérer ces longueurs que sont les descriptions dont on faisait encore usage dans l’écriture populaire des années quarante. C’est d’ailleurs l’angle que j’avais chois, pour aborder le roman : la description.
Et c’est précisément l’étude de la description qui m’a fait comprendre la dimension littéraire de l’œuvre. Chez Daphné du Maurier, comme dans tous les grands romans, la description crée non seulement une atmosphère mais joue aussi un rôle symbolique et structurant qui renforce la cohésion de l’œuvre. L’Auberge de la Jamaïque fait au fond s’affronter deux morales, la morale chrétienne de laquelle se réclame, au moins dans sa dimension humaniste, l’héroïne Marie Yellan et un morale païenne, nietzschéenne incarnée par les méchants de l’histoire. Le lecteur qui voudra s’attarder sur les descriptions de Daphné du Maurier, pas trop malmenées d’ailleurs dans la traduction de Léo Lack (1) comprendra comment ce conflit primitif irrigue toute l’œuvre avec une force décuplée par l’art de la narration.
La traduction récente de Rebecca (2) rendra sans doute aussi justice à cet autre chef d’œuvre de Daphné du Maurier qui a fondé sa notoriété. Tatiana de Rosnay montre à quel point cette traduction en français fut une trahison. « Traduction par Denise Van Mopès. J’avais tout de suite remarqué des coupes dans la version française, elles étaient bien trop importantes pour qu’on ne les voie pas, surtout si on connaît bien le texte d’origine. En tout une quarantaine de pages ont sauté. […] La traduction française occupe toujours mon esprit, Daphné lisait parfaitement notre langue. A-t-elle comparé cette édition avec son texte original, constaté à quel point ses descriptions avaient été tronquées ? »

L’écriture biographique

Tatiana de Rosnay n’hésite pas à s’introduire en tant que biographe dans son texte, le livre est structuré en cinq grandes parties qui correspondent en gros aux demeures qu’a habitées Daphné du Maurier, la maison jouant dans son œuvre, son imaginaire et sa vie un rôle fondamental. En biographe consciencieuse Mme de Rosnay s’est rendue sur les lieux et nous fait part de ses recherches de ses impressions dans les ouvertures des cinq parties : le procédé souligne la connivence qui existe entre l’auteur et son sujet, il brise aussi l’illusion référentielle que la biographie dite « à l’américaine » a réussi à imposer comme une sorte de standard du genre et qui, par une sorte de revanche facétieuse, manifeste l’impérialisme du roman – longtemps le roman a dû se faire passer pour biographique, la biographie semble désormais devoir endosser l’identité du roman pour être créditée d’un quelconque succès.
Virginia Woolf (3) qui s’est interrogé sur l’absence singulière de biographie dans le champ patrimonial de la littérature pensait que si la « biographie ne compte pas encore de chef d’œuvre », c’est parce qu’elle est le « plus contraint des arts ». La biographie de Tatiana de Rosnay n’échappe pas aux contraintes de la chronologie, ni des choix à établir dans un matériau auquel elle a, semble-t-il, la première, eu accès – Margaret Foster qui avait, dans une biographie de 1993, révélé la bisexualité de Daphné du Maurier n’avait pas pu consulter le journal intime de l’écrivain auquel Tatiana de Rosnay se réfère de façon constante. Mais son texte constitue malgré tout une réussite un peu comme la biographie de Branwell Brontë ‑ Le Monde infernal de Branwell Brontë (4)par Daphné du Maurier le fut en son temps. L’art du romancier se met au service des faits. Et si la biographie obtenue n’est sans doute pas le chef d’œuvre qu’appelait de ses vœux Virginia Woolf, elle se tient à la frontière de la biographie universitaire sagement étayée de sources référencées et de l’art du roman qui génère le plaisir de l’histoire, le plaisir de s’abandonner à l’illusion référentielle.

Une femme moderne

Tatiana de Rosnay dresse au long de ces 436 pages le portrait d’une femme complexe et torturée. Fille préférée d’un acteur célèbre, elle a la jeunesse dorée des jeunes aristocrates de l’entre-deux guerres. Mais cette jeunesse est aussi un carcan de mondanités qui enferme la jeune femme dans un cercle des relations superficielles très éloignées de sa nature.
Sa véritable nature, artiste et contemplative, c’est en Cornouailles qu’elle la trouvera, d’abord au cœur d’une propriété acquise par ses parents à Fowey, puis dans la maison de Menabilly la propriété qui lui a inspiré Rebecca. Tatiana de Rosnay met parfaitement en lumière les liens étranges qui ont attaché la romancière à cette demeure qu’elle habita plus de vingt-six ans mais dont elle n’était pas propriétaire. Demeure qui, dans sa vie, aura plus d’importance même – c’est Daphné du Maurier qui le confesse ‑ que certains de ses proches. Le sortilège « Manderley » dans Rebecca est bien l’écho d’une attraction intime dont la psychanalyse et le goût récurrent de la romancière pour la généalogie pourrait sans doute seuls nous livrer les clés.
La biographie de Tatiana de Rosnay aura en outre l’intérêt de montrer que Daphné de Maurier est une femme de son époque, bien éloignée des stéréotypes d’épouse modèle et de mère de famille accomplie qu’elle a cherché à mettre en scène par le biais de la presse. Son union au beau général Browning fut loin d’être un conte de fée et si elle dissimula ses penchants homosexuels, elle ne refoula jamais totalement. Elle fut en premier lieu une femme libre qui sut  se préserver et placer, au-dessus de tout, son activité créatrice.
Son œuvre porte la marque de ces ambivalences, ses chefs d’œuvre (L’Auberge de la Jamaïque, Rebecca, Ma cousine Rachel, Le Bouc émissaire) – la biographe montre d’ailleurs qu’ils furent tous écrits dans une sorte d’état second – sont des romans vénéneux qui interrogent la dualité humaine et les conflits issus de l’inconscient et qui mettent littéralement en scène la noirceur de l’âme humaine. Ce n’est pas le moindre des mérites de cette biographie que de restituer avec une compréhension que seule une romancière pouvait manifester l’acte créateur, si essentiel dans la vie de Daphné du Maurier, dans sa fébrilité.
Le travail de Tatiana de Rosnay nous livre donc la première biographie de madame du Maurier en français c’est un travail documenté et soigné qui met en lumière la complexité d’une des figures essentielles de la littérature du XXe siècle. Le livre est bien écrit et sait éviter les pièges du sensationnalisme – à l’inverse d’un Piers Dudgeon par exemple – les passages où Tatiana se met en scène dans son travail de recherche, au prise avec l’incertitude des lieux ou des témoignages, sont bienvenus, ils montrent combien l’écriture d’une biographie exige à la fois de rigueur, compréhension et sympathie pour son sujet.

(1) Daphné du Maurier, L’Auberge de la Jamaïque, Le livre de poche, 2012.
(2) Daphné du Maurier, Rebecca, trad. d’Anouk Neuhoff, Albin Michel, 2015.
(3) Virginia Woolf, « L’Art de la biographie », Essais choisis, folio classique, Gallimard, 2015.

(2) L’ouvrage a été réédité aux éditions Phébus.

mardi 14 avril 2015

Petite interview au sujet de Peter Pan

Caroline R, qui prépare un master sur Peter Pan m'a adressé un questionnaire auquel j'ai répondu un peu hâtivement.

Pourquoi avoir accepté de traduire Peter Pan ?
Je n’ai pas « accepté » de traduire Peter Pan, je l’ai proposé à l’école des loisirs pour lequel j’avais déjà effectué un certain nombre de travaux. Peter Pan est sans doute l’une des grandes frustrations de mon enfance, attiré par l’univers que développait Disney, je n’ai jamais réussi à voir son film, c’est l’apparition des magnétoscopes qui m’a permis d’enfin le visionner. Je ne l’ai lu que tardivement, devenu jeune professeur,et j’ai été frappé par la richesse de l’écriture.

Qu’est-ce que la traduction de Peter Pan présente comme difficulté particulière ?
Et bien, comme Barrie s’amuse avec son lecteur, de ses personnages, de son univers, il joue aussi avec le langage, transforme des noms en verbes, utilise parfois des expressions régionales. Tous ces écarts m’ont posé problème, d’autant que je n’ai pas une formation d’angliciste mais une formation de lettres modernes. Pour excuser mon incompétence, j’ai l’habitude de dire que la littérature n’a pas de frontière. Et puis, Giono a bien traduit Moby Dick.

Des traductions préalables de l’œuvre existaient, en quoi la vôtre diffère-t-elle ? En quoi une nouvelle traduction de l’œuvre était-elle nécessaire ?
Il y a bien des traductions de Peter Pan, trois d’entre-elles m’ont été utiles
Celle d’Yvette Métral chez Flammarion, celle de Michel Laporte au livre de Poche et celle d’Henri Robillot pour Gallimard. La première est, par moment, inspirée mais elles présente des contre-sens fâcheux. La seconde est une traduction quasiment littérale et son français manque singulièrement de naturel. La dernière est une traduction littéraire, souvent recherchée mais qui s’éloigne considérablement du texte d’origine.
J’ai donc voulu éviter les trois écueils précédents.

Que désiriez-vous souligner dans cette nouvelle traduction ?
J’aurais aimé atteindre à cette dimension ludique que Barrie met en œuvre mais c’était impossible, à défaut, j’ai cherché la fidélité à l’idée. Neverland par exemple est devenu le Pays-Hors-Du-Temps, ce qui me semble plus fidèle que « Pays Imaginaire » ou « Pays de Nulle Part », l’adverbe "never" nous renvoyant au temps, pas au lieu.

A quel lectorat votre traduction s’adresse-t-elle ? Quel lecteur aviez-vous en tête lorsque vous projetiez de traduire Peter Pan, lorsque vous le traduisiez effectivement, et après l’avoir traduit ?
Au lectorat de Tintin, de 7 à 77 ans. Je ne me suis pas posé la question pour être honnête. Je crois qu’un texte littéraire doit être traduit en tenant compte des effets qu’il suscite dans la langue d’origine. Les Misérables conviennent aussi bien à des 4e qu’à des étudiants de licence. Lorsque j’ai adapté Gilgamesh, destiné à des 6es, j’ai avant tout cherché à rendre la petite musique que rend le texte antique. C’est un texte que d’aucuns trouveront dur pour des 6es, je crois simplement qu’il respecte son lectorat.

Le site internet de l’Ecole des loisirs adresse Peter Pan à un lectorat âgé de 9 à 12 ans. Marie-Hélène Sabard visualise plus des sixièmes, et vous adresser une séquence pédagogique pour des élèves de troisième. Comment comprendre ce désaccord ?
Je profite de votre question pour remercier Marie-Hélène Sabard qui, elle, est traductrice de profession et a su réparer une grande partie de mes maladresses. On lui doit par exemple l’idée de faire de l’Oiseau-Hors-Du-temps, une « Oiselle », c’est joli et c’est cohérent. Pour répondre à la seconde partie de votre question, je vous renvoie à ce que ce que je disais précédemment. Quand j’ai conçu la séquence, j’ai immédiatement pensé troisième: pourquoi ? 1/ Les IO invitent à faire étudier un roman du XXe 2/ Elles mettent aussi l’accent sur le récit d’enfance ‑ notion nébuleuse entre nous ‑ surtout quand on voit qu’à titre d’exemple y figurent des autobiographie (Sarraute) des romans autobiographiques (Bazin, Gary), des contes (Amos Oz) ou des récits philosophiques (Calvino). Peter Pan me semble idéal pour aborder toutes ces notions. Si en outre on accorde foi aux réflexions de Kundera, dans l’Art du roman, qui déplore les « occasions manqués » du roman en évoquant le roman onirique et le roman jeu (façon Jacques le fataliste) on voit que Peter Pan est une œuvre résolument moderne.
Dernier point qui m’a fait préférer les 3e : la dimension théâtrale du texte. Peter Pan vient d’une pièce de théâtre. Et la transposition du récit au théâtre est l’un des exercices que l’on recommande en 3e.

Pensez-vous que des jeunes lecteurs français soient à même de se retrouver, de s’identifier dans une œuvre telle que Peter Pan ?
Et pourquoi non ? La palette des personnages offre à chacun le choix d’opter pour son préféré. Je crois que le fossé qui a pu exister entre les imaginaires du nord et ceux du sud (je paraphrase vaguement Mme de Staël) est désormais comblé – Merci Disney ! Personnellement j’ai une nette préférence pour Wendy, j’aurais d’ailleurs aimer redonner au roman son titre initial, Peter and Wendy, mais pour d’évidente raisons commerciales, l’idée a été écartée. Je ne crois pas que la traducteur de The Call of the Wild qui avait choisi L’Appel sauvage ait remporté un franc succès avec ce titre, sa maison d’édition est d’ailleurs revenue à l’Appel de la forêt. Il y a un peu de nous dans tous les personnages, Clochette est teigneuse, Peter vaniteux, Wendy fidèle à l’enfance et soucieuse de grandir… Nous avons été enfant, et confronté à l’impitoyable pragmatisme des adultes. Peter Pan est une œuvre qui peut toucher tout le monde.

Mes entretiens et enquêtes révèlent que Peter Pan est une œuvre peu empruntée en bibliothèque, donc peu lues, comment comprendre cela ? Comment rendre accessible cette œuvre aux jeunes lecteurs ?
Je ne sais pas. En tant que professeur, j’aurai à cœur de la faire connaître ou intégralement ou par extrait. Aux éditeurs de faire leur travail, en ce qui concerne la promotion de l’ouvrage. Ce que vous me dites m’étonne un peu malgré tout car l’œuvre est régulièrement retraduite et reprise, c’est donc qu’elle doit se vendre. J’ai eu la surprise de constater par exemple que Payot avait publié, en même temps que sortait ma traduction une version de Maxime Rovère qui doit être tout à fait intéressante.

A quel niveau situez-vous la complexité de lecture Peter Pan ?
Ma fille qui l’a lu, s’est dite gênée par les interventions incessantes du narrateur. Ce mode de narration libre et désinvolte gêne l’illusion référentielle qu’affectionnent les amateurs de romans.  Mais c’est très bien ainsi, la littérature est aussi faite pour déranger. Par ailleurs, Barrie se moque un peu de son histoire, je l’ai évoqué dans la préface. Ce qui l’intéresse c’est le jeu mais quand il s’agit de rapporter les scènes cruciales d’affrontement au danger ou de combat, il s’en tire par une pirouette.

Vous qui êtes enseignant, comment comprenez-vous l’absence de Peter Pan sur les listes de
recommandations de l’Education Nationale ?
V. E. me racontait que sa fille lors des TPE a travaillé sur Peter Pan. Lors de la présentation de son travail, le professeur de français lui a rétorqué que Peter Pan n’était pas de la littérature et que son choix donc n’était pas pertinent pour une filière littéraire. Comment comprendre un tel rejet ?
Je réponds à vos deux questions en même temps. Nos institutions scolaires souffrent d’un incroyable « provincialisme ». C'est-à-dire que, pour elles, la littérature se borne à la littérature française. Armel Guerne qui fut un grand traducteur stigmatisait déjà cette tendance dans les années soixante-dix – et c’est à lui que j’emprunte l’expression. On aurait pu croire que les choses allaient changer avec la mondialisation, l'identité européenne. Les programmes de collège autorisent quelques incursions dans les littératures étrangères. Mais au lycée… Regardez l’épreuve dite de littérature en terminale L, soumise à un programme national, on aurait pu penser que l’on proposerait aux élèves des œuvres qui sortent des sentiers battus mais au lieu de Barry Lindon nous avons eu Zazie dans le métro. Lorenzaccio et Madame Bovary, œuvres régulièrement abordées en première et qui sont à nouveau proposées en terminale. Il m’est arrivé de faire étudier des œuvres de Shakespeare en 1e, sur une classe de trente-trois, pas un seul élève n’a été interrogé à l’oral sur la pièce. Il n’est donc rien d’étonnant à trouver cette réaction chez un professeur de lycée. On ne peut que lui conseiller la lecture des essais d’Armel Guerne ou des réflexions de Steiner .

De quelle manière cette œuvre peut-elle être ou non abordable par les plus jeunes, à l’école élémentaire par exemple ?

Vous me faites sortir de mon domaine de compétence. On peut peut-être tout simplement la lire à voix haute, non ? Pennac n’est pas complètement dépassé.

Une séquence sur Peter Pan destinée aux classes de troisième

Peter Pan est sans doute plus connu que son créateur, James Barrie, dont les contemporains, durant la période édouardienne, plébiscitèrent l’œuvre dramatique.
Son travail de romancier (Margaret Ogilvy,AdieuMiss Julie Logan), beaucoup plus confidentiel, mérite néanmoins d’être redécouvert pour sa fantaisie déroutante et parce qu’il fait preuve d’une étonnante modernité. Peter Pan (Peter and Wendy), adapté de la pièce de théâtre à succès, annonce pourtant certaines grandes tendances idéologiques de notre époque en exaltant la jeunesse aux dépens d’une maturité rendue synonyme d’avidité bourgeoise.
Par le recours à un merveilleux inquiétant, le récit de Barrie apparaît aussi comme un ouvrage précurseur de l’heroic fantasy qui, de Tolkien à Rowling, ne cessera de séduire de nouveaux publics. Mais Peter Pan est également une aventure de l’écriture. Adapté du théâtre, le roman illustre le concept de « roman-jeu » évoqué par Milan Kundera dans son Art du roman (Gallimard, 1986). C’est ce dernier aspect auquel nous nous attacherons, entre autres, dans une séquence destinée à des classes de troisième.
L’œuvre de Barrie est à la fois un récit d’enfance et une grande œuvre littéraire du XXe siècle. Elle permettra non seulement d’analyser le concept de « roman-jeu » mais aussi d’exercer les élèves à l’exercice de la transposition dramatique, préconisé en troisième. On pourra placer son étude dans le courant du premier trimestre ; il est souhaitable d’avoir abordé au préalable le théâtre tragique, ce qui fournira les pré-requis nécessaires aux exercices d’écriture dramatique et certaines notions utiles à la compréhension des enjeux de l’intrigue.
Illustration de C. Buchet, l'une des premières (1904)
Organisation de la séquence
Séance 1. – Situer l’œuvre dans la tradition du merveilleux anglais et dans la biographie de l’auteur. Analyse de documents, lectures documentaires et recherches au CDI.
Séance 2. – Prendre conscience des exigences de mise en scène qu’impose un texte théâtral. Lecture analytique de l’ouverture de la pièce et réflexion sur la mise en scène de l’extrait.
Séance 3. – Comprendre en quoi les langages romanesque et dramatique exigent des écritures différentes. Lecture du chapitre d’ouverture et retour sur la scène de théâtre précédemment étudiée pour comparer les modalités de transmission de l’information.
Séance 4. – Transposer une scène de roman sous forme dramatique. Entraînement à l’expression écrite à partir d’un extrait du roman.
Séance 5. – Revenir sur la notion de merveilleux et caractériser l’imaginaire de Barrie avec le Pays-hors-du-temps. Application du concept de merveilleux à la première partie du roman.
Évaluation de lecture. QCM évaluant la lecture des chapitres III à IX.
Séance 6. – Comprendre en quoi l’esthétique de Barrie relève de ce que Kundera appelle le « roman-jeu ». Lecture analytique de la fin du chapitre VII.
Séance 7. – Reconnaître et conjuguer le conditionnel, identifier ses valeurs. Morphologie des conditionnels présent et passé, analyse des valeurs du présent à partir d’une fiche d’exercices.
Évaluation de lecture. Résumé à trous pour vérifier la lecture des chapitres XI à XIII.
Séance 8. – Réinvestir les notions de merveilleux et de « roman-jeu » abordées au cours de la séquence. » Lecture analytique de la fin du chapitre XIII.
Évaluation de lecture. QCM évaluant la lecture des chapitres XIV et XV.
Séance 9. – Évaluations. Sujet de type brevet élaboré à partir de la scène des adieux entre Peter et Wendy (pp. 216-219).

Je tiens la séquence à disposition des collègues qui voudraient l'exploiter : utiliser l'adresse liée au blog.

jeudi 19 mars 2015

"Orwell ou l'horreur de la politique" de Simon Leys

Simon Leys nous a quittés, il y a quelques mois. Essayiste de talent, il avait fait polémique dans les années soixante-dix en publiant Les habits neufs du président Mao, ouvrage dans lequel il dénonçait la révolution culturelle comme l’une des pires manifestations du totalitarisme maoïste. Les éditions Flammarion ont réédité son Orwell ou l’horreur de la politique, un essai en forme d’hommage à celui que Pierre Ryckmans – Simon Leys est un pseudonyme – a pu considérer à certains égard comme un modèle.

Simplicité de l’homme, sobriété de l’art

L’épigraphe de l’abbé Brémond, « Rien de plus mystérieux qu’un homme simple », trouve vite son explication dans le portrait psychologique qu’esquisse Simon Leys en s’appuyant sur les témoignages de contemporains et sur la magistrale biographie de Bernard Crick (1) : « Il était foncièrement vrai et propre ; chez lui l’écrivain et l’homme ne faisaient qu’un… » Il y a de fait chez Orwell une forme de pureté qui l’amène à récuser toute forme de mensonge. Son œuvre peut d’ailleurs apparaître comme l’extension de ce trait de caractère qui l’a conduit à refuser les compromissions que ce soit en matière d’esthétique, d’éthique ou d’idéologie.
Leys cherche alors dans la biographie de l’homme, qui a peiné à trouver sa voix propre les points d’inflexions qui permettent de comprendre comment l’écrivain est parvenu à cette sobriété qui caractérise l’art du journaliste puis du romancier. Son premier ouvrage Down and Out in Paris and London, traduit sous le titre Dans la dèche à paris et à Londres (2), en était aussi la première manifestation. Orwell apportait ainsi à l’ordre littéraire, « sa contribution stylistique la plus originale », à savoir, « la transmutation du journalisme en art. »

Les révélations de 1936

Les romans qui suivent s’avérant plus conventionnels, il faut attendre 1936 et la révélation de la misère – consécutive à un reportage effectué auprès des ouvriers dans le Nord de l’Angleterre industrielle ‑ pour voir Orwell renouer avec cette sobriété de l’écriture et s’engager de façon radicale sur la voie du socialisme. Leis compare cette révélation à l’expérience du « malheur » que décrit Simone Weil dans la Condition ouvrière(3), une forme de « dévastation de l’âme », un écrasement de l’humain réduit à une pure fonction. « The Road to Wigan Pier (4), écrit Leys, fut son chemin de Damas. »
Orwell se convertit littéralement à la politique – à moins qu’il ne faille comprendre derrière ce mot, la compassion. Cette conscience de la misère qui le hante désormais va trouver son accomplissement dans le reportage (Wigan Pier) qui conduit aussi notre auteur à mûrir sa conception de l’écriture, il va certes adopter le style dépouillé du documentaire qui confronte le lecteur au réel (ou à sa parfaite illusion). La vision qu’il donne du réel s’avère néanmoins très travaillée, l’imagination se devant de recréer la réalité pour mieux la donner à voir.

Les raisons d'un engagement

Leys s’attache ensuite à chercher dans la biographie les raisons de cet engagement, faut-il l’attribuer à la détresse que connut l’auteur adolescent dans un pensionnat dont Eric Blair ­ Orwell est aussi un pseudonyme ‑ fait état dans un essai qui ne fut pas publié ? Est-ce le déclassement social de ses parents dans une Angleterre ou les « stratifications de classe […] empoisonnent la société à un degré inconnu du reste de l’Europe » ? Est-ce l’expérience birmane – rappelons que le jeune Eric Blair devait s’engager dans les forces de police anglaise en Birmanie et y travailler pendant cinq ans ?
Orwell évoluera bien sûr vers l’anticolonialisme, mais son expérience birmane devait lui apporter une vision du monde nuancée qui l’amènera à ménager Rudyard Kipling par exemple, pour lequel il éprouve des sentiments ambivalents, mélange d’irritation et d’admiration. Il lui reconnait pour le moins, une forme de réalisme, un « sens de la responsabilité » que n’ont pas les intellectuels de gauche qui condamnent la colonisation. « Vous vous moquez, avait écrit Kipling, des uniformes qui veillent sur votre sommeil. » Orwell a au moins partagé son agacement envers ces bonnes consciences qui condamnaient un système dont elles profitaient.
À la prise de conscience de Wigan devait succéder l’engagement dans la guerre d’Espagne. On connait les grandes étapes de son itinéraire : atteint par une balle alors qu’il combat au côté des républicains, il est transféré à l’arrière et découvre que les staliniens s’avèrent plus préoccupés de détruire leurs alliés anarchistes que de défendre la république. Ce qu’il a vu et compris en Espagne lui donnera à tout jamais ‘l’ « Horreur de la politique » dont naîtront ses trois chefs d’œuvres, Hommage à la Catalogne, La Ferme des animaux et 1984.

Socialisme et humanisme

Après l’aventure espagnole Orwell conjugue une morale qui place l’individu au centre de ses préoccupations et un socialisme qui relègue l’idéologie au second plan, se donnant pour vocation première une fraternité dénuée d’arrière pensée. Pour Orwell, le socialisme conduit naturellement à la lutte antitotalitaire. C’est précisément au nom du socialisme, qu’il considère comme un idéal trop élevé pour être soumis aux manigances de la politique, qu’il récuse la violence et toute forme d’accaparement du pouvoir.
Simon Leys évoque aussi certains aspects moins connus du travail d’Orwell, alors qu’on pourrait le penser désintéressé des préoccupations esthétiques, il montre que l’auteur de 1984 sut manifester son intérêt pour des écrivains a priori très éloignés de son univers : Julien green, D.-H. Lawrence, Henri Miller, preuve s’il en est que l’esthétique demeurait pour Orwell, un champ de réflexion permanant.
L’essai de Simon Leys nous donne d’Orwell une vision enthousiaste mais nuancée. Leys reconnait qu’Orwell na pas le génie de Kafka ou remarque que l’absence de perspective sur une quelconque forme de transcendance l’empêche d’accéder à la poésie qui émane de l’œuvre d’une Simone Weil. Mais la sympathie entre l’auteur et son sujet est totale. Orwell aurait sans doute pu écrire Les habits neufs du président Mao et si Simon Leys a osé un tel ouvrage, c’est parce qu’avant lui ont existé des Camus et Orwell qui ont compris que l’idéologie avait avant tout pour vocation de servir l’homme et non l’inverse.

(1) Bernard Crick, George Orwell, une vie, Points Seuil, 1984.
(2) Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres, 10/18, 2003.
(4) Simone Weil, La Condition ouvrière, Folio, 2002.
(4) Orwell, The Road to Wigan Pier, Penguin, 2001 ‑ en français, Sur le quai de Wigan, Ivrea, 1982.


mercredi 11 février 2015

Pour un enseignement des sciences humaines au collège

Notre système scolaire est vieux, où du moins il fonctionne sur des bases anciennes qui au fond tiennent peu compte de l'évolution des savoirs.
Les événements malheureux et récents qui ont créé un mouvement d'union nationale ont aussi suscité des réflexes de pensée, en gros, face à l'adversité et au terrorisme il faut
- apprendre la Marseillaise
- plus de discipline
- plus de mixité sociale
- plus de français (la discipline)
Les deux derniers points ne sont guère contestables, surtout lorsque l'on voit à quelle peau de chagrin s'est réduit l'enseignement du français, ces vingt dernières années.
Je crois malgré tout qu'il manque dans notre enseignement une discipline qui permette à nos élèves de se placer en situation d'empathie. Notre ministre remet l'accent sur la lutte contre le harcèlement à l'école et c'est très bien. Harcèlement, fanatisme procèdent d'une incapacité à considérer l'autre comme un autre soi-même.
Quelles sont les disciplines qui nous permettent de comprendre l'autre ? Psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, linguistique. Il ne s'agit pas d'asséner deux heures supplémentaires de cours mais de procéder à un enseignement vivant qui, fort des théories, découvertes effectuées dans ces domaines permettent de comprendre, ressentir, admettre la différence.
On peut expliquer en classe le phénomène du bouc émissaire, on peut faire éprouver par des jeux de rôles le poids de l'inconscient dans les relations humaines et parvenir à faire admettre que certaines relations, certains comportement sont toxiques. Un collégien peut interroger le langage, la religion, la différence des sexes, le rôle de l'art ...
Térence et son "rien de ce qui est humain ne m'est étranger" sont toujours d'actualité. Nous avons désormais plus d'outils pour cerner l'humanité, faisons en sorte qu'ils servent.

samedi 7 février 2015

"Dans la nuit blanche et rouge" de Jean-Michel Payet

La jeune comtesse Tsvetana Kolipova est prise dans les tourments de la révolution russe de 1917. Elle rêve d'un monde plus juste et s'active secrètement pour aider à la publication d'une revue contestataire. Mais dans cette Russie en ruine épuisée par la famine, les épidémies et des années de conflits, la police secrète veille. Et Tsvetana ne doit son salut qu'aux interventions d'un mystérieux jeune homme, Roman Vrabec, dont elle tombe amoureuse.
Parallèlement la jeune femme cherche à pénétrer les arcanes d'un secret de famille, son défunt père a mené une double vie et Tsvetana aimerait connaître cette demi-soeur qui lui ressemble de façon troublante.
Roman historique teinté de fantastique, le roman de Jean-Charles Payet reprend de façon jubilatoire et maîtrisée les recettes du roman d'aventures historique. Dumas énergisé par une écriture moderne qui joue avec brio des points de vue narratifs divers. L'oeuvre est recommandée en lecture cursive par le ministère de l'éducation nationale, niveau 3e, mention méritée.

jeudi 5 février 2015

"En Syrie" de Joseph Kessel

Une expérience de la nostalgie

Les reportages de Kessel appartiennent probablement à ces objets que Frederic Jameson (1) qualifie de « camp », ces œuvres qui suscitent en nous un intérêt nostalgique. Il serait vain de chercher une explication aux conflits qui déchirent actuellement la Syrie dans ces pages de Kessel (2), que réédite Gallimard et qui figurent parmi les premières enquêtes du futur grand reporter.
L’expérience nostalgique fait remarquer Jameson se caractérise généralement par « un attachement à un moment du passé entièrement différent de celui que nous vivons aujourd’hui ». Si les reportages de Kessel relèvent du « camp » c’est parce qu’ils renvoient à un monde disparu. Un monde où voyager avait encore du sens. Où prendre le train, le bateau, voire même l’avion, constituait en soi une aventure, parce qu’il fallait du temps pour franchir les distances, parce que le risque n’était jamais vraiment très loin.

Éviter de vivre en journaliste

Kessel s’intéresse peu à la politique ou aux institutions, il aime les hommes, la vie, les grands espaces qui lui inspirent de belles pages lyriques. Lorsqu’il arrive en Syrie en il avoue très peu connaître la situation : le pays, sous mandat français, est déchiré par les conflits religieux, et la France ne se montre pas à la hauteur du rôle que lui a confié la SDN. Mais Kessel se refuse à « vivre en journaliste », à perdre « ses journées avec des généraux et des hauts-fonctionnaires. »
À Beyrouth, Il veut rencontrer les hommes, l’émir Haïdar, chef – et allié ‑ druse avisé, les chrétiens de l’Ouest qui confessent leur culte de l’argent et l’étourdissent d’un luxe de conte de fée. Se rendre à Damas distante de cent cinquante kilomètres prend douze heures en train. L’auteur de L’Équipage se fait une joie d’accompagner les aviateurs français au-dessus du Djebel druse révolté. « Aucune description n’aurait pu me faire saisir ce que ce lieu a de tragique, d’inhumain, aucun récit ne m’aurait donné cette vision, ni permis de comprendre le danger de survoler un pays en révolte. »

Entre épopée et poésie

Kessel pénétrera aussi dans la ville souterraine de Beyrouth, « labyrinthe de cauchemar », où ne se hasardent jamais les occidentaux. On y entrevoit les Barnabagues, ces tueurs pénétrés du sentiment « qu’Allah les avait mis au monde comme un coutelier fait des couteaux. » On y rencontre aussi, au cœur du labyrinthe, sous la ville souterraine elle-même, des « spectres », victimes du haschich, qui tel les Lotophages de l’Odyssée ont perdu à la fois la mémoire et leur âme.
L’écriture de Kessel revêt souvent cette dimension initiatique et poétique qu’on aime à trouver dans les bons romans d’aventure, elle se fait aussi épique quand le journaliste rapporte ses rencontres avec ces officiers français, mi-soldats, mi renégats, les capitaines Muller (l’inspirateur de La Châtelaine du Liban) ou Colet dont les exploits héroïques rappellent la figure de Lawrence d’Arabie. Comme le fera Saint-Exupéry dans Terre des Hommes, Kessel célèbre le courage de ces officiers à qui l’on refuse une légion d’honneur quand on l’accorde aux financiers véreux e aux tenanciers de tripots.

« Camp ». Les reportages de Kessel le sont moins par leur célébration virile du courage que par l’intime confiance en la vie qui les sous-tend. Il s’agit d’un univers encore ouvert qui autorise l’expérience du dépaysement, l’enthousiasme de la rencontre fortuite avec l’autre, la sensation du danger, la confrontation émerveillée aux espaces vierges du monde. Aux antipodes du notre menacé d’une déprimante uniformisation.

(1) Frederic Jameson, Raymond Chandler. Les Détections de la totalité, Les Prairies ordinaires, 2014.

Joseph Kessel, En Syrie, « Folio », Gallimard, octobre 2014.

vendredi 23 janvier 2015

La "Qualité du pardon" de Peter Brook

La réflexion du metteur en scène

Peter Brook entretient avec Shakespeare une intimité que seuls les metteurs en scène ou les acteurs peuvent cultiver. Pour un professeur de lettres, la lecture qu’un homme de théâtre peut faire d’une œuvre dramatique a quelque chose de vivifiant. Le metteur en scène ne considère pas la comédie ou la tragédie comme un ensemble de signes à décrypter mais comme un texte vivant dont il convient de restituer l’émotion, la justesse, la force ou la vérité.

Un essai sur La Tempête

La Qualité du pardon – le dernier ouvrage de Peter Brook, un recueil de réflexions sur le théâtre shakespearien ‑ est aussi le titre d’un essai consacré à l’une des pièces les plus énigmatique de Shakespeare, La Tempête. Peter Brook commence par la fin, par ces derniers mots de Prospero qu’on prend généralement « pour un [simple] adieu avant la fin du rideau ». « Ma fin est désespoir, dit en l’occurrence Prospero, à moins qu’elle ne soit secourue par une prière si perçante qu’elle s’élance même à l’assaut du pardon. »
Quelle signification attribuer à ces étranges paroles qui manifestent toute la profondeur de Shakespeare ? Peter Brook revient sur l’intrigue, montre que Prospero qui a été dépossédé du pouvoir et débarqué ‑au sens propre, comme au sens figuré ‑ par son frère sur cette île ou commence l’action était probablement un mauvais roi. Dans cette dynamique qui oppose l’ordre au chaos, le prince est le garant de l’ordre, or Prospero s’intéressait à la culture aux livres, aux idées mais pas à son royaume. Il a « trahi l’ordre » que son frère a su restaurer.
Sur l’île Prospero devient un puissant magicien, domptant les esprits et les forces de la nature. Il acquiert ainsi une liberté véritable. Mais à la fin de la pièce, après avoir essuyé les conspirations et intrigues de ses proches, après en avoir triomphé, il comprend qu’il lui faut renoncer à la magie pour n’être qu’un homme parmi les hommes. Et Peter Brook de montrer que, dans les balancements entre l’ordre et le chaos, entre le pouvoir et le renoncement au pouvoir, entre l’orgueil et l’humilité, le discours final de Prospero est une résolution qui est aussi solution : il n’est qu’une force pour métamorphoser positivement et durablement toute vie humaine. Et cette force, c’est ce qu’ailleurs Shakespeare appelle « the quality of mercy » ‑ la qualité du pardon – dont la valeur n’est assurée que par l’authenticité d’une prière acérée. On peut lire l’ensemble des essais à la lueur de cette réflexion qui résume la force de Shakespeare.

Shakespeare a-t-il existé?

Peter Brook s’amuse des conjectures que soulève l’existence même de Shakespeare. Fort de son expérience d’homme de théâtre, il constate qu’ « Il est étrange » et « même irréel, d’imaginer que Shakespeare qui, année après année, » travaillant au cœur d’une troupe, « au milieu de tous ces employés fatigués et mécontents, n’ait jamais vu sa qualification d’auteur mise en doute. Toutes les théories qui ne prennent pas en compte les répétitions et les représentations restent flottantes. » Shakespeare est Shakespeare parce qu’il fut un homme de théâtre qui travaillait au sein d’une équipe dont les résultats dépendaient de ses écrits et réflexions qu’il devait confronter, jour après jour, à l’épreuve de la scène et des répétitions. On pourrait faire remarquer au passage que sa théorie vaut aussi pour Molière. Comment aurait-il pu se faire passer avec autorité, auprès de sa troupe, de son public, de ses protecteurs, pour le maître de son théâtre, de ses représentations si Corneille avait été l’auteur caché de son œuvre ?
Mais si Peter Brook dénie à Francis Bacon et à une soixantaine d’autre prétendants la pérennité d’Hamlet, c’est parce qu’il craint pour l’économie de Stratford. On l’aura compris, il sait aussi évoquer avec humour l’énigme Shakespeare. Il raconte, à ce sujet, une anecdote des plus amusantes : peu après la guerre, le metteur en scène qui préparait une représentation de Roméo et Juliette, se rendit à Vérone. La ville prospérait déjà sur le commerce engendré par les amants malheureux de Shakespeare. À un guide qui déployait des trésors d’éloquence pour lui montrer la maison des Capulet et l’endroit exact où Roméo s’est donné la mort, notre metteur en scène jugea bon d’objecter que Roméo et Juliette n’avaient au fond jamais existé. Comment le guide pouvait-il, jour après jour, raconter de telles histoires ? Il faut sans doute tout le fair-play anglais pour rapporter la réplique du guide : « Oui vous avez raison, c’est vrai. Et nous ici à Vérone, savons tous que Shakespeare n’a jamais non plus existé. »

De l'expérience à la réflexion

Les propos de Peter Brook sont riches d’anecdotes que le lecteur se réjouira de découvrir. Lorsque notre metteur en scène se rendit à Vérone, la pièce de Shakespeare n’y avait jamais été mise en scène. Et Peter Brook a eu le privilège d’assister à cette mise en scène qui devait rester dans les mémoires des Véronais. Nous ne raconterons pas ici comment le public de Vérone fut sidéré par le texte de Shakespeare, sans doute très éloigné de ses attentes mais l’anecdote manifeste la force inaltéré du dramaturge élisabéthain.
Les réflexions du metteur en scène s’ancrent toujours dans la vie et dans l’expérience qu’il a de la scène, elles touchent aussi bien aux célébrités ‑ et l’amateur de théâtre lira avec émotion, sinon une certaine nostalgie, le récit que rapporte Peter brook de la tournée européenne de Titus Andronicus ; la pièce était interprétée par Laurence Olivier et une Vivien Leigh déjà taraudée par la maladie – qu’à ses expériences d’improvisation avec les jeunes des cités, il montre, par exemple,  comment certains d’entre eux sont parvenus à une compréhension de Mesure pour mesure que pourraient leur envier bien des acteurs.
C’est par l’épreuve de la mise en scène que Peter Brook a conquis une compréhension aussi profonde du théâtre élisabéthain : il confesse que sa propre adaptation de Roméo et Juliette fut un échec.  Rétrospectivement, il y voit un échec salutaire qui lui aura permis d’appréhender la qualité dramatique des pièces de Shakespeare : « ce qu’il manquait, constate-t-il, c’était un tempo continu, une pulsation irrésistible menant d’une scène à l’autre », ce « tempo », constituant l’essence même du théâtre élisabéthain.
De l’échec de son Roméo et Juliette à la réhabilitation de pièces comme Timon d’Athènes ou Titus Andronicus, nous assistons aux tâtonnements du metteur en scène, à l’acquisition de quelques certitudes. Comme celle qui résulte d’une observation du dénouement de Peines d’amour perdues. Alors que les metteurs en scène ont tendance à minimiser ou édulcorer, la nouvelle de la mort du père de la princesse, qui passe généralement pour une simple astuce de clôture, Peter Brook considère qu’il faut au contraire lui donner toute sa place, sinon, écrit-il, « on néglige l’intuition du jeune Shakespeare qui a parfaitement compris que la légèreté, pour être vraie, a besoin de l’ombre de l’obscurité. » Il réhabilite aussi le Roi Lear (le personnage) nous rappelant qu’un « héros tragique est toujours un être humain de valeur » et il montre la nécessité de ne pas réduire ses filles Goneril et Régane, à des caricatures. Il saisit dans le monologue d’Hamlet un point d’inflexion qui pourrait bien aussi être celui de la pièce.

Sur le métier, sans cesse...


La Qualité du pardon est donc un recueil d’articles essentiels qui confirment si besoin en était à quel point le théâtre de Shakespeare est actuel et universel, combien, à l’image de la vie, il est fluide, complexe et, parfois, insaisissable. Évoquant sa mise en scène de Titus Andronicus ‑ qui fut pourtant un succès ‑  Peter brook a ces mots qui, d’une certaine façon, légitiment de façon définitive et la lecture de Shakespeare et le nécessaire travail du metteur en scène toujours recommencé : « La pièce doit de nouveau être ramenée à la vie, mais avec les yeux d’aujourd’hui. Avec les yeux du passé, rafraîchis par le sentiment de la réalité présente, elle nous montre des formes nouvelles, des montagnes et des gouffres nouveaux, des lumières et des ombres nouvelles. Et nous sommes étonnés de ne pas les avoir remarqués plus tôt. »