Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

lundi 15 novembre 2010

Spell for creation de Kathleen Raine


Within the flower there lies a seed,
Within the seed there springs a tree,
Within the tree there spreads a wood.

In the wood there burns a fire,
And in the fire there melts a stone,
WIthin the stone a ring of iron.

Within the ring there lies an O,
Within the O there looks an eye,
In the eye there swims a sea,

And in the sea reflected sky,
And in the sky there shines the sun,
Within the sun a bird of gold.

Within the bird there beats a heart,
And from the heart there flows a song,
And in the song there sings a word.

In the word there speaks a world,
A world of joy, a world of grief,
From joy and grief there springs my love.

Oh love, my love, there springs a world,
And on the world there shines a sun,
And in the sun there burns a fire.

Within the fire consumes my heart,
And in my heart there beats a bird,
And in the bird there wakes an eye,

Within the eye, earth, sea and sky,
Earth, sky and sea within an O
Lie like the seed within the flower.

Incantation du monde

Au sein de la fleur demeure la graine
Au sein de la graine l'arbre possible
Au sein de l'arbre l'expansion de la forêt.

Là, dans la forêt, brûle un feu
Et là, dans la flamme se consume la pierre,
Au sein de la pierre un anneau de fer.

Au sein de l'anneau demeure un O
Au sein de cet O regarde un oeil,
Et dans l'oeil nage un océan.

Et dans la mer, le ciel réfléchi
Et là, dans le ciel, brille un soleil,
Au sein du soleil, un oiseau d'or.

Au sein de l'oiseau, un coeur qui bat,
Et de ce choeur s'écoule un chant
Et de ce chant, chante une parole.

Dans la parole, parle un monde,
Parole de joie, monde de souffrance,
De la joie, de la souffrance naît mon amour.

Amour, mon amour d'où provient le monde,
Et sur le monde brille un soleil
Et dans le soleil se consume un feu.

Au sein du feu brûle mon coeur
Et dans mon coeur bat un oiseau,
Et dans l'oiseau s'éveille un oeil.

Dans l'oeil, la terre, la mer et le ciel,
Terre, mer et ciel dans un O
Résident telle la graine dans la fleur.

Kathleen Raine, poème figurant dans Le premier jour, Granit, 1980, avec une traduction de F.-X. Jaujard.

Trad. S. Labbe

samedi 2 octobre 2010

Le récit de Gilgamesh

Travail de commande, Gilgamesh m'a coûté énormément de recherches et d'investissement. J'ai pensé un temps opter pour l'écriture romanesque et au final, j'ai choisi de restituer la brièveté et la poésie - dans la mesure du possible du texte antique.
Je me suis principalement appuyée sur les trois ouvrages suivants, signalés en bibliographie:
Bottéro Jean, L’Épopée de Gilgameš, Le grand homme qui ne voulait pas mourir, « L’aube des peuples », Gallimard, 1992.
Tournay Raymond-Jacques & Shaffer Aaron, L’Épopée de Gilgamesh, « Littératures anciennes du Proche-Orient », Édition du Cerf, 2007.
Foster Benjamin, The Epic of Gilgamesh, Norton & Company, 2001.
Au final, le souvenir d'une formidable aventure à l'aube de l'humanité!


Le Dossier
La Mésopotamie - Qui était Gilgamesh? - la Formation de la légende - La découverte de la version ninivite - La construction de l'épopée - La Douzième tablette - La descente d'Ishtar aux Enfers - Bibliographie

Une critique dans la revue des livres pour enfants

Remarquable édition  abrégée à l’intention des jeunes mais aussi  pourra-t-elle être une bonne première lecture pour tous ceux qui hésiteraient à se lancer dans un texte lacunaire, difficile. Ici, le texte a été habilement réécrit pour que la lecture soit aisée sans retirer l’esprit du texte. Il est suivi d’une tablette tardive qui narre la descente d’Enkidu aux enfers et « la descente d’Ishtar aux enfers » qui ont le mérite de nous donner une idée des conceptions des anciens Mésopotamiens de l’ « après vie ». On trouvera en outre, en fin de volume un index très utile car les noms des dieux mésopotamiens ne nous sont point familiers, une bibliographie aussi brève qu’intéressante et , surtout, une présentation claire et rapide de la Mésopotamie. On ne peut que recommander sa lecture à tous – on peut lire à haute voix ce beau texte : il sonne bien. L’émotion nous saisit au récit de ces aventures, de la douleur indicible de Gilgamesh quand Enkidou meurt, de sa peur de mourir et de cette quête désespérée qui se termine dans une sorte de paix. Chef d’œuvre  qui n’a pas pris une ride depuis plus de quatre mille ans !


E.C.  Revue des livres pour enfants, sept. 2010.



mercredi 15 septembre 2010

Les quatre réformateurs

L'écriture de Stevenson est tout entière habitée de son goût pour l'apologue. Docteur Jekyll et Mr Hyde mais aussi l'Île au trésor sont, d'une certaine façon des fables. Rédigées entre 1874 et 1888, ses Fables sont l'aboutissement d'une oeuvre dont l'écriture n'a cessé de gagné en maîtrise et en finesse, elles ont attiré particulièrement l'attention du grand Borgès qui, on le sait, vénérait les prose de Stevenson. Nous sommes bien loin, avec Stevenson, de la tradition de Florian et La Fontaine, la morale se fait ambigüe, l'humour tourne en dérision l'entreprise du fabuliste et la fable interroge, bouscule, se jouant des certitudes, bien éloignée de tout souci d'édification morale.


Four reformers met under a bramble bush.
They were all agreed the world must be changed.
“We must abolish property,” said one.
“We must abolish marriage,” said the second.
“We must abolish God,” said the third.
“I wish we could abolish work,” said the fourth.
“Do not let us get beyond practical politics,” said the first.
“The first thing is to reduce men to a common level.”“The first thing,” said the second, “is to give freedom to the sexes.”
“The first thing,” said the third, “is to find out how to do it.”
“The first step,” said the first, “is to abolish the Bible.”
“The first thing,” said the second, “is to abolish the laws.”
“The first thing,” said the third, “is to abolish mankind.”

On trouvera les fables de notre auteur sur : http://www.authorama.com/fables-1.html

Quatre réformateurs s’étaient réunis sous une haie de ronces.
Tous étaient d’accord, il fallait changer le monde.
- Nous devons abolir la propriété, dit le premier.
- Nous devons abolir le mariage, dit le second.
- Nous devons abolir Dieu dit le troisième.
- Je voudrais tellement que nous puissions abolir le travail, dit le quatrième.
- Ne dépassons pas le cadre d’une politique réaliste, dit le premier. La première chose à faire est de réduire les inégalités entre les hommes.
- La première chose à faire, dit le second, est de donner la liberté aux deux sexes.
- La première étape, dit le premier, consistera à abolir la Bible.
- La première chose à faire, dit le second, est d’abolir les lois.
- La première chose à faire, dit le troisième, est d’abolir l’humanité.

La traduction des fables de Stevenson est diponible dans le t. 2 de l'intégrale des Nouvelles de Stevenson, chez Phébus.

jeudi 19 août 2010

On the beach at night (3)


Then, dearest child, mournest thou only for Jupiter?
Considerest thou alone the burial of the stars?

Something there is,
(With my lips soothing thee, adding, I whisper,
I give thee the first suggestion, the problem and indirection,)
Something there is more immortal even than the stars,
(Many the burials, many the days and nights, passing away,)
Something that shall endure longer even than lustrous Jupiter,
Longer than sun, or any revolving satellite,
Or the radiant brothers, the Pleiades.

Alors, enfant chérie, est-ce pour la seule Jupiter que tu te désoles ?
Est-ce seulement la mort des étoiles qui te préoccupe ?

Il existe quelque chose
(Je te le murmure de ma voix apaisante
Je te confie la suggestion initiale, le problème et le moyen de l'éviter)
Il existe quelque chose de plus éternel que les étoiles,
(Qui dépasse les jours et les nuits qui meurent sans cesse,)
Quelque chose qui durera plus longtemps que l'éclatante Jupiter,
Plus longtemps qu'aucun soleil ou qu'aucun satellite en orbite,
Plus longtemps que les soeurs radieuses des Pléiades.

Leaves of grass, 1855, pour la première publication .

mardi 17 août 2010

On the beach at night (2)

From the beach, the child, holding the hand of her father, 
Those burial-clouds that lower, victorious, soon to devour all,
Watching, silently weeps.

Weep not, child,
Weep not, my darling,
With these kisses let me remove your tears;
The ravening clouds shall not long be victorious,
They shall not long possess the sky—shall devour the stars only in apparition:
Jupiter shall emerge—be patient—watch again another night—the Pleiades shall emerge,
They are immortal—all those stars, both silvery and golden, shall shine out again,
The great stars and the little ones shall shine out again—they endure;
The vast immortal suns, and the long-enduring pensive moons, shall again shine.

De la plage, l'enfant qui tient la main de son père,
Observe ces nuages, fossoyeurs funestes qui se pressent de tout engloutir
Et pleure, en silence.



Ne pleure pas, mon enfant,
Ne pleure pas, ma chérie;
Laisse ces baisers, chasser ces larmes.
Ces nuées voraces ne seront pas tout le temps victorieuses.
Elles ne possèderont pas le ciel très longtemps, et ne dévooreront les étoiles que de façon
illusoire.

Prends patience, Jupiter émergera, contemple le ciel une autre fois, les Péïades se
lèveront.

Elles sont immortelles, toutes ces étoiles aux éclats d'or et d'argent resplendiront
encore,

De la plus grande à la plus infime, elles brilleront encore - elles durent;
Vastes soleils éternels et lunes toujours pensives brilleront de nouveau
.
Leaves of grass, 1855, pour la première publication .

mercredi 11 août 2010

Klimt, les trois âges de la femme

Allégorie dans la tradition de Baldung et du Titien, les trois âges de la femmes présentés par Klimt en 1905 délivrent néanmoins un discours résolument moderne. Le cadrage tout d'abord s'avère des plus intéressant, on ne pourra que déplorer les reproductions du tableau qui resserrent l'espace entourant les femmes. Délester le tableau de ses espaces latéraux, c'est évidemment élargir proportionnellement l'espace vital et amoindrir le discours du peintre : le couloir de la vie n'est qu'un goulet entre la terre où germe la vie et le néant vers lequel semble léviter la vielle femme. Toutes le figures sont penchées (à l'exception de l'enfant), telle la Mélancolie de Dürer. Mais si l'inclination de la mère, baignée dans les bleus, signifie douceur et tendresse, celle de la vieille femme qui porte la main gauche à ses yeux manifeste son désespoir. La vieille femme en question a les pieds qui reposent sur un espace de néant faisant écho au noir de l'arrière plan; des bulles, exhalaison de la vie, s'échappent de l'espace vital où elle baigne; la mère a, au contraire, au dessus de la tête une mosaïque colorée, espace de ses rêves, métaphore de ses espoirs. Klimt nous propose une superbe méditation ontologique qui déplace l'espoir des régions éthérés de l'au-delà (Baldung) à la transmission de l'humanité dans le renouvellement des générations.

lundi 9 août 2010

On the beach at night (1)

Première partie d'un poème de Walt Whitman, extrait des Feuilles d'herbe. Ce recueil traduit par Laforgue exercera une influence durable sur les derniers symbolistes belges, le verset claudélien lui doit beaucoup et le lyrisme de Saint-John Perse ne lui est pas étranger.


On the beach, at night,

Stands a child, with her father,

Watching the east, the autumn sky


Up through the darkness,

While ravening clouds, the burial clouds, in black masses spreading,

Lower, sullen and fast, athwart and down the sky,

Amid a transparent clear belt of ether yet left in the east,

Ascends, large and calm, the lord-star Jupiter;

And nigh at hand, only a very little above,
Swim the delicate brothers, the Pleiades.
Leaves of grass, 1855, pour la première publication .

La nuit, sur la plage,
Se tient une enfant qui, avec son père
Regarde, l'est, le ciel d'automne.

En haut, à travers les ténèbres,
Alors que les nuages, voraces fossoyeurs, dans la profusion de leur masse noir
S'amoncellent rapides et maussades au creux d'un ciel bas,
Au coeur d'une bande d'éther demeurée limpide, à l'est,
Monte, calme et imposante, Jupiter, la noble planète;
Et tout près, à peine au dessus,
Barbotent les soeurs délicates, les Pléïades.


Traduction approximative, S. Labbe, il faut avouer que le bon Walt n'est pas toujours aussi limpide que ses éthers célestes.

Photo : John Patronie, 2011.

dimanche 25 juillet 2010

Des quatre filles du Docteur March à la légende de Bloodsmoor (suite)

Octavia est la mieux traitée des filles Zinn par notre infernale narratrice; pétrie de morale chrétienne et d'abnégation, elle est l'idéal incarné par les filles March dans le roman de Louisa. Résignée à devenir vieille fille s'il le faut, elle finit par épouser un pasteur vieillissant, héritier d'une fortune ancestrale et dont la respectabilité alimente les commentaires bienveillants de notre narratrice.
Malgré "l'épreuve laborieuse" que constitue "l'acte conjugal", Octavia aura trois enfants de son pasteur. L'aîné surnommé Petit Godfrey suscite les éloges de notre narratrice, suspicion donc ! L'enfant est robuste, expansif, plein de vitalité, court, crie, a tendance à brutaliser objets et animaux mais séduit, aux dires de notre conteuse, tout le monde. La suspicion s'accroît lorsque la narratrice mentionne les "farces insignifiantes" impliquant chiots, rats et poussin, l'enfant est même accusé d'avoir disséqué le chien d'un domestique mais rien n'est sûr et puis quelle importance? Il est si charmant, si prometteur. La naissance de sa petite soeur le rend colérique, mais n'est-ce pas naturel? Il l'adore d'ailleurs cette petite soeur Sarah et déploie toute sa vitalité pour la distraire, imitant toutes sortes d'animaux, criant et cherchant sans cesse à la prendre dans ses bras.
"Le matin ou la petite Sarah fut retrouvée morte dans son joli berceau d'osier blanc, aucun présage n'annonçait de malheur aux chrétiens éclairés." Octavia aura juste rêvé que son fils était une créature démoniaque mais quel crédit le "chrétien éclairé" doit-il accorder aux rêves? Curieusement, c'est petit Godfrey qui trouvera le cadavre de sa petite soeur avec laquelle il est resté seul un certain temps dans sa chambre, et personne ne saura jamais donner d'explication à ce décès subit.
Les faits démontrent avec certitude que petit Godfrey est un monstre mais le discours du narrateur minimise les atrocités commises par l'enfant et ne cesse de proclamer sa gentillesse, N'est-il pas le fils du respectable pasteur Rumford? La romancière lui réservera un sort atroce dont le lecteur ne peut s'empêcher d'estimer qu'il l'a mérité. De façon tout a fait inexplicable, le singe apprivoisé de son grand père, Pip, se saisit de l'enfant et se précipite avec lui dans un puits où tous deux trouvent la mort. Le lecteur n'a nul peine a imaginé que le singe martyrisé s'est vengé mais pour la narratrice les faits sont inexplicables.
Octavia aura de nouveau un garçon de son infatigable pasteur dont les pratiques sexuelles sado-masochistes échappent à notre narratrice qui n'y voient que fantaisies, avant de mourir grotesquement dans les bras de sa femme.
Joyce Carol Oates fait du narrateur une composante essentielle à l'élaboration du sens, son aveuglement, ses préjugés sont essentiels, et créent une suspicion généralisée qui fait le sel du roman. Il y a, derrière ce narrateur un autre metteur en scène qui prend plaisir un plaisir manifeste à violenter ces valeurs rétrogrades et nous ne révélerons pas le devenir des quatre autres soeurs, sachons seulement que le personnage de l'aînée (Constance Philippa) qui apparaît peu dans le roman connaît un destin étonnant qui est à la fois une dénonciation de la condition féminine au XIXe et un programme révolutionnaire burlesque et parodique des plus réjouissant. Espérons donc que l'éditeur prenne la décision de rediffuser ce roman qui par son imagination, son humour et sa densité fait penser aux meilleurs John Irving.

Des quatre filles du docteur March à la légende de Bloddsmoor

Le narrateur s’est trompé, l’auteur aussi…

Préparant un dossier sur les quatre filles du Dr March, j’ai commencé à me documenter sur Louisa M. Alcott. L’un des seuls ouvrages en français consacré à l’illustre créatrice des Quatre filles du docteur pasteur est celui de Pascale Voillev, chargée de cours à l’université de Princeton, un bon petit livre somme toute, dans l’esprit de cette collection, « voix américaines », qui tache de faire le tour d’une vie et d’une œuvre en un peu plus d’une centaine de pages, pari difficile donc.

Comme j’ai l'intention de m’interroger sur ce qui a fait le succès de cette histoire un peu mièvre, en passe cependant de devenir un véritable mythe, je me suis mis à chercher les œuvres littéraires qu’on pourrait aujourd’hui considérer comme des « avatars » des Quatre filles. Mme Voilley signale donc, au début de son ouvrage, Bloodsmoor romance de Joyce Carol Oates, qui serait traduit en français sous le titre Confessions d’un gang de filles. Je me suis donc procuré lesdites confessions, déception : rien, dans cet ouvrage qui puisse rappeler les quatre filles du docteur inexistant.

Partant du titre anglais, il était logique de penser que Bloodsmoor romance avait donné, en français la Légende de Bloodsmoor et de fait, La Légende de Bloodsmoor est bien cet ouvrage qui, avec esprit, dessine le destin de cinq filles qui ne sont pas sans rappeler celles du pasteur.

L’auteur s’est trompée, donc, Bloodsmoor romance a donné en français la Légende de Bloodsmoor, pavé de 500 pages, publié chez stock en 1985 et délaissé depuis. Stock, s’étant lancé dans une entreprise de réédition de son fond littéraire, nous donnera peut-être la bonne surprise de reprendre cette Légende de Bloodsmoor, excellent roman de Joyce Carol Oaates qui manifestement s’est amusée à démonter et démontrer les ruses du « bon sentiment » en littérature.

Ce roman tour à tour dramatique, excentrique, hilarant, émouvant, sérieux sans jamais l’être vraiment, constitue un véritable tour de force littéraire et risque de prendre une sérieuse place au sommet de mon petit panthéon littéraire personnel. J’ai une admiration particulière pour les prouesses narratives, je relis toujours avec plaisir et admiration les romans de Hammett, par exemple parce qu’ils constituent, à ma connaissance, les seul exemples de romans rédigés d’un point de vu objectif – focalisation externe dirait l’aimable jargonnant Genette.

La particularité de cette Légende de Bloodmoor est de mettre en place un narrateur (une narratrice, en l’occurrence) que son étroitesse d’esprit, ses préjugés, sa mauvaise foi rendent immédiatement suspecte. Joyce Carol Oates (ou faudrait-il parler d’un « archinarrateur », instance malicieuse qui avertit le lecteur que, sans cesse le narrateur se trompe) met donc en place un jeu subtil qui conduit son lecteur a systématiquement prendre le contre-pied des jugements de la narratrice en question sur les personnages ou leurs actions, nous sommes donc pris dans un jeu permanent et jouissif de décryptage qui de rebondissement en rebondissement nous conduit vers un dénouement inattendu et immoral aux yeux de la narratrice donc attendu et moral, en ce qui nous concerne.

Situation initiale : la famille Zinn constituée de Prudence, la mère, supposée héritière de la plus riche famille de Bloodsmoor, les Kiddemaster a épousé John Quincy Zinn – auquel la narratrice voue une admiration sans borne - , inventeur raté, enfermé dans un chimérique projet de machine à mouvement perpétuel et qui vit aux crochets de sa belle famille. John Quincy et Constance auront quatre fille, l’énergique et masculine Constance Philippa, la sage Octavia, la coquette Malvinia et la fidèle Samantha. On peut s’amuser à retrouver, derrière ces quatre personnalité, celles de Meg, Jo, Beth et Amy, il y a certainement des échos entre les deux œuvres mais Joyce Carol Oates a voulu ajouter une cinquième fille Deirdre, adoptée par M. Zinn et vilain petit canard de la famille, puisque ne faisant pas partie de l’auguste tribu des Kiddemaster.

La narratrice, vieille fille anonyme, appartenant à la bonne société de Bloodsmoor, chosit de commencer sa relation au moment où, un fait extraordinaire va jeter le trouble et la confusion dans la famille Zinn : alors qu’on s’apprête à marier l’ainée, au cours d’une réception donnée chez les Kiddemaster – la famille Zinn vit dans une modeste maison, située à quelques encablures du « château » des Kiddemaster où demeurent le grand-père et sa sœur Edwina, auteur de traités de morales à succès -, un ballon noir surgi de nulle part descend du ciel et emporte la malheureuse Deirdre sous les yeux horrifiés de ses sœurs.

Sans cesse condamnée par la bonne conscience de la narratrice, Deidre est en fait la véritable héroïne de la Légende de Bloodmoor. Elle deviendra une médium de renommée internationale, on appréciera, entre parenthèses, le travail de documentation auquel a dû se livrer l’auteure pour ressusciter l’engouement médiumnique qui s’empara du monde anglo-saxon dans la fin de dix-neuvième siècle positif. Deirdre, n’hésitant pas à livrer ses talents de médium à la sagacité des scientifiques mettra en déroute la Société de recherche psychique de New York dans un chapitre d’anthologie (le 36) qui interroge sur la dimension idéologique du roman, si tant est qu’on puisse lui en prêter une ! À noter aussi, dans l’ombre de Deirdre, la figure pittoresque de la célèbre madame Blawatski dont Oates nous fait un portrait aussi fidèle semble-t-il à l'original, que saisissant.

Si l’enlèvement de Deirdre constitue, aux yeux de notre narratrice, un événement aussi funeste, c’est qu’il va servir de modèle à toutes les filles Zinn qui tour à tour vont déserter le nid familial, déjouant les projets matrimoniaux de leur mère et contrevenant à tous les préceptes des guides de bonne conduite publiés parleur tante. Constance Philippa s’évanouira, au lendemain de son mariage avec un noble allemand douteux, Malvinia s’enfuira avec un acteur et Samantha avec l’apprenti de son père. Octavia, seule, acceptera le chemin tout tracé et convenu qui attend les jeunes filles de la bonne société dans ce XIXe sicle finissant et ce, pour son plus grand malheur.

Je m’arrêterai un peu sur le cas d’Octavia pour expliquer ce qui fait le caractère absolument réjouissant de cette trouvaille narrative : confier à un narrateur obtus et pétri de préjugés la narration de quatre destins exceptionnels auxquels il ne comprend rien et qu'il ne cesse de fustiger. On verra, à travers celui d’Octavia qui, lui n’a rien d’exceptionnel comment le narrateur s’est trompé.

Illustration : la couverture du livre pour son édition en espagnol qui choisit de représenter l'emblématique ballon ravisseur.

vendredi 2 juillet 2010

"Ella l'ensorcelée" de Gail Carson Levine, portrait d'une héroïne insoumise

Séquence didactique publiée dans le n° 8 de L'Ecole des lettres 2009-2010.

Isabelle Smadja évoque le roman dans un essai paru aux PUF, Le Temps des filles, excellente réflexion sur le rôle des filles dans la littérature de jeunesse. Ce qui m'a terriblement donné envie de lire ledit roman et de le proposer à des classes de sixième. Le projet est un peu ambitieux mais fonctionne.

Étape 1 : Lecture d’image,    Objectif : comprendre en quoi la couverture d’un roman propose déjà une lecture de l’ouvrage.
Étape 2 : Ouverture du roman.  Objectif : analyser comment la narration met en place le thème de la malédiction ainsi qu’une tonalité spécifique au genre de la réécriture humoristique.
Étape 3 : Étude de la langue, l’impératif. Objectif : Savoir conjuguer, reconnaître et interpréter l’impératif présent.
Étape 4 : Lecture comparée. Comparer l’ensemble du chapitre premier à l’ouverture de deux contes de Perrault pour saisir ce qui fait la spécificité de l’écriture romanesque.
Étape 5 : Entrainement à l’expression écrite, ouverture des Fées de Perrault. Objectif : Transposer une ouverture de conte sous forme de scène romanesque, réutiliser les notions grammaticales et littéraires abordées dans les premières séances.
Étape 6 : L’arrivée au pensionnat de Jenn. Objectif : Analyser un texte : de « L’institution pour jeunes filles était une maison en bois ordinaire… », p. 78 à la fin du chapitre IX, p. 82, saisir la dimension symbolique d’une notation descriptive et la singularité de l’héroïne.
Étape 7 : Le Mythe de Cendrillon. Objectif : Mesurer et comprendre la fonction de l’intertextualité dans Ella, définir la notion de mythe.
Séance 8 : Objectif : Etudier l’expression du dilemme et saisir en quoi la résolution de l’intrigue relève plus de la psychologie que du merveilleux.
Séance 9 :Objectif : Comprendre qu’un récit revêt une portée idéologique et que le personnage d’Ella, symbolisant d’une certaine façon la condition féminine, indique la nécessaire révolte pour accéder à la liberté.
Evaluation et prolongements 
Evaluation : sujet d’expression écrite.
Utilisation de l’adaptation cinématographique de

Orthographe

lundi 31 mai 2010

Elizabeth Browning, sonnet 28.

C'est une lettre reçue en janvier 1845 qui fit basculer le destin d'Elizabeth Barret. la mort tragique de son frère préféré, l'autorité écrasante d'un père exclusif la clouent dans sa chambre, elle est de surcroît affligée de troubles hystériques (une forme de paralysie) et se sent condamnée naturellement à cette vie de recluse "Nous nous habituons à la pensée du tombeau, écrit-elle. Et j'étais enterrée." La lettre provient de Robert Browning, fervent admirateur d'Elizabeth qui s'est acquis une certaine renommée aussi bien en Angleterre qu'aux Etats-Unis avec ses deux volumes de Poems. "J'aime vos vers de tout mon coeur, chère miss Barrett " Deux ans plus tard Robert enlèvera Elzabeth pour en faire son épouse et l'emmener en Italie. Les Sonnets Portugais publiés en 1850 sont l'écho de cette romanesque et romantique histoire d'amour.

My letters! all dead paper, mute and white!
And yet they seem alive and quivering

Against my tremulous hands which loose the string
And let them drop down on my knee tonight.

This said—he wished to have me in his sight
Once, as a friend: this fixed a day in spring
To come and touch my hand. . . a simple thing,
Yes I wept for it—this . . . the paper's light. . .

Said, Dear, I love thee; and I sank and quailed
As if God's future thundered on my past.
This said, I am thine—and so its ink has paled

With lying at my heart that beat too fast.
And this . . . 0 Love, thy words have ill availed
If, what this said, I dared repeat at last!


Elizabeth Browning, Poetical works, Chapman & Hall, 1856.

Mes lettres, toutes de papier mort, blanches et silencieuses,
Et pourtant, elles semblent vivantes et frémissantes
Dans mes mains tremblantes qui, les défaisant de leurs liens,
Les laissent tomber sur mes genoux ce soir.

Celle ci disait que me voir était son plus cher désir
Une fois, en ami.: celle-là fixait le jour de printemps où
Il viendrait toucher ma main, chose simple
Et pourtant j'en pleurais - Celle ci, feuille légère,

Disait "Chère, je vous aime", et je défaillis, tremblante,
Comme si Dieu, l'avenir eussent foudroyé mon passé
Celle-là "Je suis à vous" - aussi son encre a-t-elle pâli

Se diluant sur mon coeur qui battait trop vite,
Et celle-là : Amour, que les mots ne soient que non sens
Si ce qu'elle dit, j'osais moindrement l'évoquer!

Trad. S. Labbe.

samedi 29 mai 2010

Le Portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde

Oscar Wilde, accomplit au fil d'une oeuvre variés, ce prodige de métamorphoser la légèreté en profondeur. Le dandy étincelant, à forces de paradoxes et de bons mots nous interroge sur l'essentiel, là réside sa force. La séquence qui suit a été publié dans la revue l'école des lettres n° 4-5 de mai 2010.
"Le Portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde", 55 p., L'Ecole des lettres n° 4-5, 2009-2010. Séquence destinée aux classes de 4e et prenant appui sur la version abrégée de Boris Moissard  (L'école des loisirs 2009).

Vérification de lecture préalable. Questionnaire à choix multiples.
1. Situation du roman : 1. Biographie d'Oscar Wilde, 2. Le surnaturel dans la littérature anglaise de la fin du XIXe siècle. Recherche au CDI guidée par une série d’indices. Définition des différents genres qui font usage du surnaturel. Rédaction d’une synthèse à partir de sources documentaires multiples.
2. Lecture analytique d’un extrait du chapitre II, p. 27-29. Comprendre comment, par le biais de procédés stylistiques et l’utilisation d’un topos littéraire, l’auteur met en place la tonalité fantastique de l’œuvre.
3. Étude de la langue : la fonction sujet. La leçon sur le sujet permettra de synthétiser les connaissances sensément acquises, d’initier les élèves à la notion de sujet grammatical (les nouveaux programmes de 4e mettent l’accent sur la reconnaissance des tournures impersonnelles) et de fournir un outil précieux pour la reconnaissance des « focalisations ».
4. Comparaison de la narration dans divers extraits du roman. Comprendre la distinction entre les trois modes de « focalisations », la « focalisation » ou point de vue se définissant comme le rapport qu’entretient le narrateur avec les personnages qu’il évoque. Interpréter l’utilisation et l’efficacité d’un point de vue particulier.
5. Schéma narratif de la première partie du roman   Analyser l’intrigue par l’élaboration d’un schéma narratif et mener une réflexion sur les fondements du découpage obtenu.
6. Étude du chapitre XI: Analyser la temporalité au sein de ce chapitre et comprendre en quoi il manifeste la sensibilité décadente de l’œuvre.
7. Le Portrait de Dorian Gray, un roman fantastique ? Démontrer que le roman répond à la définition du fantastique élaborée en début de séquence. Réfléchir à la construction de l’ensemble et comprendre en quoi elle renforce la thématique surnaturelle. S’interroger sur les significations du portrait animé.
8. Lecture analytique d’un extrait du chapitre   XVI: Analyser la portée symbolique du parcours du héros et analyser l’efficacité de la focalisation interne pour faire partager au lecteur les tourments de ce dernier.

9. Evaluation sujet type DNB : Analyse d’un épisode clé qui permet de réinvestir les principales notions littéraires abordées au cours de la séquence. La dictée proposée peut être soumise comme dictée de contrôle ou être préparée.

samedi 8 mai 2010

Lamentations de Gilgamesh


La première épopée de l'histoire humaine est aussi une formidable trace d'humanité. L'orgueilleux Gilgamesh du début y apprendra la vie et la mort, il apprendra aussi à transcender cette terrible défaite qu'est l'illusion de l'éternité pour accéder à la sagesse du renoncement ce qui, paradoxalement, fera de lui un être digne des dieux. Ce qui me fascine, travaillant désormais à la réécriture de cette histoire, c'est son étonnante actualité, son universalité. Notre condition d'être humain, la filiation, l'amitié, le divertissement pascalien, l'ubris, l'amour, le rapport aux dieux, le désespoir, tout y est avec en plus une poésie qui n'appartient qu'à ces temps lointains ou l'acte même d'écrire était un art. Ci-dessous : les lamentations de Gilgamesh, à la mort de son ami, Enkidu.

Quand parurent les premières lueurs de l'aube,
Gilgamesh, ouvrant la bouche, dit à son ami « Enkidu, mon ami, ta mère', une gazelle, et l'âne sauvage, ton père, t'ont engendré, toi c'est le lait des onagres qui t'a élevé, toi, et la harde te faisait découvrir tous les pâturages.
Qu'ils te pleurent, les chemins d'Enkidu jusqu'à la forêt des Cèdres, qu'ils ne se taisent ni de jour, ni de nuit
Qu'ils te pleurent, les anciens de la vaste' cité d'Urukk l'Enclos,
eux dont le doigt bénissait derrière nous'
Qu'elles te pleurent, les eaux pures des régions montagneuse que tant de fois nous avons gravies .
Que les campagnes poussent des cris comme le ferait ta mère,
qu'elles te pleurent, les forêts de cyprès, de cèdres,
dont nous nous sommes approchés de si près dans notre colère !
Qu'ils te pleurent ours, hyène, léopard, tigre, cerf, guépard, lion, buffle, daim, bouquetin, la harde de la steppe !
Qu'il te pleure, Oulaî, le fleuve sacré, dont nous arpentions avec entrain la rive !
Qu'il te pleure, l'Euphrate pur où nous versions en libation l'eau des outres
Qu'elle te pleure, la jeunesse de la vaste cité d'Uruk-l'Enclos qui a vu nos combats quand nous avons tué le Taureau céleste !
Qu'il te pleure, l’Euphrate pur où nous versions en libation l’eau des outres... "

L'Epopée de Gilgamesh, trad. de Jacques Tournay et Aaron Shaafer, Editions du Cerf, 2007.
Illustration : Tête de bronze supposée de Sargal, Iraq Museum, Bagdad.

mercredi 5 mai 2010

Dying! Dying in the night!

La nuit, la blancheur des neiges éternelles et le même sentiment de perdition. Quant au Christ, il semble avoir ignoré jusqu'à l'existence même de la Maison, image du moi. C'est donc à Dolly que revient le rôle de figure christique et de guide dans la mort.



Dying! Dying in the night!
Won't somebody bring the light
So I can see which way to go
Into the everlasting snow?

And "Jesus"! Where is Jesus gone?
They said that Jesus - always came -
Perhaps he doesn't know the House -
This way, Jesus, Let him pass!

Somebody run to the great gate
And see if Dollie's coming! Wait!
I hear her feet upon the stair!
Death won't hurt - now Dollie's here!

Cahier 9

Mourir! Mourir dans la nuit!
N'y aura-t-il personne pour apporter
La lumière que je sache quel chemin
Prendre en ces neiges éternelles?

Et Jésus! Où s'en est-il allé?
Ils disaient que Jésus - venait toujours -
Peut-être ne connaissait-il pas la Maison -
Par ici, Jésus, qu'on le laisse passer!

Que quelqu'un coure jusqu'au portail
Et voie si Dolly arrive! Attends
J'entends ses pas dans l'escalier!
La mort sera paisible - Dolly est là!


Poème reproduit dans Y aura-t-il pour de vrai un matin, José Corti, 2008.


Trad. S. Labbe.

La page Emily Dickinson sur le site de chez Corti :
http://www.jose-corti.fr/auteursromantiques/dickinson.html

samedi 27 février 2010

Les devoirs d'Emily

Les éditeurs, ou plutôt les chercheurs qui les sollicitent ont parfois de drôles d'idées. Le chercheur, c'est en l'occurence Augustin Trapenard, qui dut se mettre un jour en tête d'éditer les devoirs de français d'Emily Brontë (1). On peut rappeler brièvement les circonstances : en 1842, Charlotte et Emily, subventionnées par leur tante (Maria Branwell), se rendent à Bruxelles pour perfectionner leur français - Charlotte a dans l'idée d'ouvrir une école pour jeunes filles au presbytère de Haworth. Leur point de chute ? La maison d'éducation pour jeunes demoiselles de madame Zoé Héger-Parent. Pour les deux jeunes femmes, qui n'ont guère connu que le presbytère de Haworth, la pension Héger va constituer un choc. Elles sont protestantes, les Héger et la plupart de leurs pensionnaires sont catholiques. Alors que toutes ces jeunes filles appartiennent à des familles aisées qui leur permettent d'afficher les dernières robes à la mode nos deux anglaises n'ont qu'une garde robe des plus austères et des plus limitées qui signale immédiatement leur différence. Elles sont en outre les plus âgés du cours Héger puisqu'elles ont respectivement vingt-trois et vingt-cinq ans.
C'est constantin Héger, le mari de la directrice qui fait office de professeur de français. Il est également professeur de rhétorique à l'Athénée Royale, école de garçon, voisine de la pension Héger. Charlotte tombe immédiatement sous le charme de l'éloquent professeur. Son roman, Le Professeur, rendra compte de cette platonique histoire d'amour. Quant à Emily, elle semble beaucoup plus réfractaire aux consignes du maître. Les devoirs d'imitation que soumet Héger à ses élèves ne sont pas de son goût et les devoirs qu'elle remet témoignent de son esprit frondeur et de son attachement à son Angleterre protestante à laquelle elle ne cesse de se référer.
Lé séjour s'interrompra en novembre 42, la tante Branwell décède. Après les obsèques, Charlotte retournera à Bruxelles, Emily, non.
L'exercice proposé par Héger est le suivant : rédiger une lettre d'invitation et sa réponse. Emily imagine qu'une dame sollicite une pianiste à venir jouer un morceau lors d'une réception qu'elle donne chez elle le lendemain soir. La réponse de la pianiste ne manque pas d'effronterie et témoigne de l'esprit de rébellion d'Emily. Emily, à cette époque, donnait des leçons de piano aux pensionaires de l'institut Hger, tâche qui ne l'enthousiasmait guère. La réponse de la pianiste donc, qui ignore superbement les règles de la politesse la plus élémentaire :


Mademoiselle,
Il aurait été, en vérité, un grand plaisir pour moi si j'avais pu accepter votre invitation ; mais dans une vie comme la mienne, il ne faut pas toujours suivre notre inclination et malheureusement, le jour de votre soirée, est, de tous les jours de ma semaine, le plus occupé : ainsi je me trouve obligée à renoncer au bonheur de voir mes amis et de contribuer ce que je pusse à leur amusement.
Mais lorsque j'éprouve des contre-temps je cherche ordinairement quelque dédommagement en revanche, et à présent, je me console avec l'idée que si je suis privée de l'opportunité d'exhiber mon petit talent, au moins, je n'aurais pas la mortification d'être témoin du mauvais succès [de mon travail] à l'égard de vous ; parceque j'ai ouï dire que vous deviez ,jouer un morceau sur cette occasion, et pardonnez moi si je vous conseille (c'est par pure amitié) de choisir le temps quand tout le monde sont occupé d'autre chose que la musique, car je crains que votre exécution ne soit un peu trop remarquable.
Cependant je ne voudrais vous décourager, bon jour, et bon succès de tout mon coeur.
(1) Emily Brontë, Les devoirs de Bruxelles, introd. et notes d'Augustin Trapenard, Mille et une nuit.
Ill. Portrait d'Emily Brontë in William Scrutton, Thornton and the Brontës.

mardi 16 février 2010

Angels, in the early morning


Etrangeté des poèmes d'Emily, les anges, figures du destin? Insouciance de la vie ? L'eau, le feu, la mort, et le principe spirituel comme agent de la continuation...

Angels, in the early morning
May be seen the Dews among,
Stooping - plucking - smiling - flying -
Do the Buds to them belong ?

Angels, when the sun is hottest
May be seen the sands among,
Stooping - plucking - sighing - flying -
Parched the flowers they bear along.


Emily Dickinson, Y aura-t-il pour de vrai un matin, cahier 3, José Corti, 2008

Les anges, au petit matin,
Se laissent voir dans les Rosées - qui
Se baissent - herborisent - sourient - volent
Est-ce que les Bourgeons leur appartiennent ?

Les anges, dans l'incandescence de midi
Se laissent voir parmi les sables - qui
Se baissent - récoltent - sourient - volent -
Désséchées les fleurs qu'ils soutiennent .

Trad. S. Labbe.

Illustration de Claude Shepperson pour un poème d'Alfred Noyes in Princess Mary's Gift Book, 1914.